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Les recueils d’oracles delphiques : étude systématique de leur constitution et de leur

2.2 La tradition antique des archives et des catalogues

2.2.2 La vogue des livres de divination

2.2.2.3 Les traditions jusqu’à l’époque byzantine

Si les cités commencent assez tôt (sans doute dès le VIème siècle avant J.C.) à tenir des

collections officielles d’oracles, elles ne s’opposent pas non plus à la circulation de livres d’oracles qui passent pour efficaces, dont les auteurs sont le plus souvent anonymes, et qui, surtout à l’époque impériale romaine, imitent les recueils d’oracles traditionnels : la question est de savoir jusqu’à quel point ils les imitent.

Il existe ainsi des recueils que l’on peut qualifier d’officiels, si l’on considère qu’ils ont eu une influence non seulement sur la société, mais aussi sur la vie intellectuelle et spirituelle de l’époque antique ; ils peuvent être estimés comme représentants d’une pensée qui s’organise autour de l’oracle et de la prophétie : en ce sens ils ne sont pas simplement des réservoirs de textes, mais constituent par leur organisation une façon de concevoir le monde et les rapports entre les hommes et les dieux : Roessli (2007) a étudié ces textes et notamment les Libri

Sibyllini, qu’il considère comme un genre entre les oracula et les remedia, en ce sens qu’ils

peuvent servir d’expédients à des problèmes à régler : ils ont alors une fonction politique et religieuse évidente qui les rattache à une mantique inductive, voire artificielle, et à un corpus fermé et intouchable, ce que ne sont pas les recueils d’oracles delphiques, plus ouverts et non fixés.

Les Oracula Chaldaica constituent un texte poétique d’inspiration néo-platonicienne, sans doute du IIème siècle après J.C., sous le règne de Marc-Aurèle ; Cazelais les définit ainsi

(2005 : 276) : « Les Oracles Chaldaïques sont à juste titre l’un des ensembles pseudépigraphiques les plus mystérieux qui aient circulé dans l’Empire romain et pour lesquels nous avons des témoignages littéraires ». Seuls quelques fragments nous sont parvenus, édités en 1894 par le philologue et érudit Kroll, dans un essai en latin296. Ce titre

Χαλδαικὰ λόγια apparaît chez Proclus dans le Contre Parménide (800, 19C) ; ce recueil

d’essence philosophique, qui ne se référe à aucun dieu, a influencé Porphyre, Jamblique, Proclus, comme une « source d’inspiration valable pour la philosophie et la spiritualité » (Cazelais, 2005 : 274). Le titre est en lui-même révélateur : la tradition de leur édition ne les a jamais désignés sous le nom de χρησμοί, mais les connaît sous le vocable de λόγια, mot qui au pluriel signifie « discours, paroles », ou encore plus spécifiquement « enseignements » ; à ces significations on peut ajouter une connotation sacrée d’inspiration oraculaire, en référence aux oracles païens, mais aussi aux oracles prophétiques bibliques de la Septante. Le nom de Chaldaïques ne fait bien entendu aucune référence à l’origine géographique de ces oracles, censés provenir d’Orient ou du moins censés transmettre une sagesse orientale : il s’interprète plutôt, selon Cazelais, au sens de « magiques, divinatoires, astrologiques », car, dans le monde gréco-romain impérial, le terme « chaldéen » sert à désigner un mage, ou un astrologue. Ces oracles ne sont donc pas des réponses à caractère privé comme les χρησμοί de l’Apollon delphien, mais la révélation d’un enseignement divin, comme le sont en règle

Garnier-Flammarion, 1966, p. 119). L’emploi des verbes ἐλέγοντο et ᾖδον correspond bien aux habitudes de ces chresmologues qui colportent de bouche à oreille leurs oracles fabriqués et les débitent en les récitant.

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générale les λόγια : ce sont les « techniques théurgiques »297, c’est-à-dire révélées par les dieux, qui auraient figuré dans ce recueil, après un partie consacrée à une interprétation ésotérique de la philosophie de Platon.

Les Oracula Sibyllina sont des réécritures juives d’oracles païens, vaste recueil de textes poétiques dont la composition s’étend du IIème siècle avant J.C. au VIIème siècle après J.C.

Nous n’avons conservé de ce corpus qu’un peu plus de 4000 vers écrits en hexamètres dactyliques et distribués sur 12 livres de longueur inégale, numérotés de 1 à 14 en raison d’erreurs et de confusion dans la tradition manuscrite (les livres 9 et 10 n’existent en réalité pas) ; c’est un recueil à vocation religieuse, prédicative, composé par des auteurs juifs et chrétiens, sous l’autorité d’une Sibylle et qui expriment ainsi leurs convictions, faisant valoir les espérances messianiques et eschatologiques de leur communauté ; en ce sens ils imitaient les Païens sur leur propre terrain oraculaire. Oracles nés dans un but politique, ils deviennent un instrument de propagande juive et chrétienne. Le prologue de la collection A des Oracula

Sibyllina explique la démarche du compilateur de rassembler en un texte continu des oracles

jusque-là dispersés et d’accès difficile, de manière à faciliter leur interprétation et à promouvoir la diffusion des avantages spirituels que l’on peut tirer de leur lecture. Cette démarche peut s’appliquer à d’autres recueils, surtout ceux de l’époque romaine, où la visée didactique et philosophique est prioritaire (pensons notamment à Porphyre).

Les Sortes Astrampsychi298 sont un recueil d’oracles grecs du IIIème siècle après J.C.,

attribués au mage égyptien Astrampsychus : actuellement ils se présentent sous la forme d’une introduction, qui explique les motivations de leur édition et de 920 oracles. L’introduction est un mode d’emploi sous forme d’une lettre adressée au roi Ptolémée ; il y est dit que les oracles ont été inventés par le philosphe grec Pythagore ; les sortes sont une méthode de divination par les nombres et l’auteur de l’introduction donne des instructions pour consulter les oracles du recueil. Dans le recueil, 92 questions de base (à choisir par le consultant) donnent chacune accès à 10 réponses qui se présentent sous forme de textes rédigés. Le consultant choisit une question, puis un chiffre de 1 à 10 et obtient ainsi la réponse souhaitée. Chaque réponse est ensuite adaptée à l’individu qui a consulté et donc elle varie en fonction des attentes et des personnalités diverses.

Enfin La Théosophie de Tübingen (fin du Vème siècle) dont les restes sont disponibles

grâce à un épitomé du VIIIème siècle , est formée de 4 livres qui citent des oracles païens

(livre I), des maximes de philosophes et de poètes grecs (livre II), des prophéties sibyllines (livre III) et des citations du livre d’Hystaspès (livre IV), suivis d’un chronicon universel et millénaire depuis Adam jusqu’au règne de l’empereur Zénon (fin Vème siècle); il s’agit de

démontrer que les prophéties païennes avaient prédit les principales doctrines du christianisme comme l’existence de Dieu et de la Sainte Trinité 299.

297 « Ces techniques fournissaient à chaque individu qui les utilisait des outils afin de faire intervenir un ou des

dieux en sa faveur. Étant alors devenu propice, le dieu révèle ensuite au théurge des moyens devant permettre à son âme de se libérer de la matière. » (Cazelais, 2055 : 279).

298 Voir Naether (2010).

299 Le livre 1 est notamment dédié aux oracles des dieux grecs : 22 oracles d’Apollon, mais aussi 4 de Sarapis,

Hermès et Artémis ; 5 d’Égypte et 3 non attribués ; sans doute Porphyre a été le principale source de la

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Si l’on applique une méthode comparative avec les recueils d’oracles delphiques, quelques conclusions sont à formuler sur leur existence et leur mode de fonctionnement. Admettons que ces recueils cités ci-dessus aient fonctionné sur le modèle des recueils oraculaires delphiques, il est alors possible de reporter sur les recueils delphiques des méthodes de classement, une démarche peut-être comparable, mais seulement la démarche de constitution, puisque les fonctions sont divergentes. Des hypothèses permettent de comprendre certaines modalités de production des recueils, que nous ne pouvons pas expliquer, faute de preuves suffisantes.

Les textes eux-mêmes : ils sont versifiés et surtout en hexamètres. Ils sont brefs

(quelques vers seulement).

Les questions posées : elles sont simples, concernent des préoccupations privées et

courantes, ressemblent à celles qui sont posées à Dodone, et sans doute à Delphes.

L’introduction du recueil : y a-t-il pour chaque recueil une introduction, perdue

aujourd’hui, qui soit explicative de la démarche de l’œuvre? C’est le cas pour le recueil des Sortes Astrampsychi, ce qui s’explique par un double besoin : rendre officiel le texte en le dédiant à un monarque, dont on s’attire ainsi les bonnes grâces ; rendre explicite la façon d’utiliser le corpus, comme si on avait affaire à un mode d’emploi.

Le rattachement à une école ou à une vocation particulières : on peut distinguer,

parmi ces recueils connus et plus ou moins bien conservés, plusieurs types selon leurs fonctions et missions : recueils à des fins divinatoires et prophétiques dans la continuité des livres des chresmologues (ce sont les Sortes Astrampsychi) ; recueils à des fins philosophiques (ce sont les Oracles Chaldaïques) ; recueils à des fins politiques et religieuses (ce sont les Livres Sibyllins300, les Oracula

Sibyllina, les Oracula Leonis). Il est également important de signaler que les

recueils d’oracles de l’époque classique et alexandrine ne sont pas considérés comme des livres sacrés, porteurs d’un dogme, d’une morale, d’une théologie : toute la différence se fait donc entre les oracles de la tradition judéo-chrétienne (Oracles sibyllins et Oracula Leonis) et les recueils de la tradition grecque non chrétienne, qui étaient liés essentiellement à des problèmes de contrefaçon ou à des questions relatives à l’édition des textes littéraires. Le recueil qui circule est un moyen de connaître l’oracle, quand on n’a pas accès aux collections publiques ou privées, ou quand les collections ont été perdues.

L’auteur : la plupart des recueils sont soit anonymes, soit attribués faussement à un

auteur plus ou moins illustre (textes pseudépigraphiques), soit connus par le véritable auteur.

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