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Les recueils d’oracles delphiques : étude systématique de leur constitution et de leur

2.1.1 Les recueils du XX ème siècle

2.1.1.2 Le recueil de Fontenrose

Nous étudierons ce recueil, mis en perspective avec le précédent, sur trois points : en quoi il est différent du corpus de Parke et Wormell, comment il s’organise, et quels sont ses apports nouveaux.

Fontenrose reprend, en 1978, les travaux de Parke et Wormell, mais propose un autre classement, dont la perspective historique est plus importante, et qu’il veut ainsi plus objectif (1978 : 7) : « In this study I attempt a more objective division of the responses. It is a fourfold division into Historical, Quasi-Historical, Legendary, and Fictional responses. » Ce choix explique les sigles utilisés dans son classement : H comme Historical, Q comme Quasi-

Historical, L comme Legendary, F comme Fictional. Les textes qu’il utilise sont en grande

majorité ceux du recueil Parke et Wormell, avec une numérotation différente229.

Explications du classement (1978 : 7-9) Numérotation des oracles concernés

HISTORICAL (H)

« By Historical responses I mean those which appear in contemporary records; that is, the accepted probable date of the response fell within the lifetime of the writer who attests it, or of the earliest writer when several attest it, or not long before the date of the inscription which records it. Obviously, most of these responses are genuine. »

Numérotés de H1 à H75

QUASI-HISTORICAL (Q)

« By Quasi-Historical responses I mean those which were allegedly spoken within historical times, i.e., after the legendary period, but which are, to our knowledge, first attested by a writer whose lifetime was later than the accepted or supposed date of the response. »

Numérotés de Q1 à Q268

LEGENDARY (L)

« By Legendary responses I mean those which belong to admittedly legendary narratives, i.e., the traditional tales of events which were supposed to have taken place in the dim past, sometime before the eighth century B.C., and those which belong to timeless folktales and fables. »

Numérotés de L1 à L176

FICTIONAL (F)

« By Fictional responses I mean those invented by poets, dramatists, and romancers to serve their creative purposes. »

Numérotés de F1 à F16

229 Un appendice est prévu à cet effet, intitulé « Correspondence of PW numbers with the catalogue » (p. 430-

435). Les oracles PW151, PW167, PW184-186, PW196, PW213, PW257, PW263, PW320, PW394 et 395, PW398, PW400, PW407, PW413, PW478, PW528, PW558, PW577, PW582-599, PW604-606, PW608-615 ne sont pas inclus dans le corpus ; deux oracles considérés comme delphiques sont rendus par Fontenrose à Didymes, ce qui semble indiquer une porosité et une fluctuation entre les deux centres de production oraculaire : PW130, PW475.

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Ainsi Fontenrose définit-il ce que d’aucuns appelleront des oracles historiquement authentiques (au nombre de 75) : tout dépendrait de la façon dont l’oracle est donné comme support d’une citation, ce qui signifie que tout oracle correspondant à un événement contemporain de l’écrivain citant est jugé comme garanti d’origine ; des écrivains qui citent un oracle correspondant à une période qui ne leur est pas contemporaine risquent de ne pas présenter des oracles entièrement authentiques (ils sont au nombre de 268) ; viennent ensuite des oracles qui appartiennent à la fable et aux légendes et qui se reconnaissent par leurs allusions à un passé très ancien, ou qui se réfèrent aux récits de la mythologie (au nombre de 176). Enfin, existent des oracles qui sont de véritables fictions littéraires, pastiches, recréations, imitations et que l’on reconnaît dans les pièces de théâtre, les romans ou les poèmes (au nombre de 16). Le catalogue proposé s’étend de la page 244 à la page 416.

Voyons comment Fontenrose présente chaque fois les oracles. La classification de Fontenrose repose sur ce qu’il appelle des modes et des topics.

Les modes correspondent aux intentions des oracles et se subdivisent en six ensembles principaux déterminés par les objectifs de la réponse, les simple commands (A), les

conditioned commands (B), les prohibitions and warnings (C), les statements on past or present (D), les simple future statements (E) et les conditioned predictions (F).

Les topics correspondent aux champs d’action des oracles et se subdivisent en trois catégories essentielles, les res divinae (1), les res publicae (2) et les res domesticae et

profanae (3). Ces grandes catégories (A, B, C, D, E, F, et 1, 2, 3) sont elles-mêmes

divisées en sous-catégories selon les principes et les critères suivants : Tableau complet des modes

A. Simple commands A1 Clear commands A2 Sanctions

A3 Ambiguous commands B. Conditioned commands

C. Prohibitions and Warnings C1 Clear Prohibitions C2 Ambiguous Prohibitions D. Statements on Past or Present D1 Commonplace statements

D2 Extraordinary statements E. Simple Future Statements E1 Non-Predictive statements

E2 Clear predictions E3 Ambiguous predictions F. Conditioned Predictions

Quelques remarques sont possibles sur cette organisation qui définit de manière explicite et objective le statut des oracles. Ceux-ci sont considérés avant tout comme des ordres (commands par deux fois), des constats (statements par deux fois), des avertissements et des interdictions, et enfin, ce qu’ils n’étaient effectivement pas dans leur emploi pragmatique, des prédictions. L’organisation détermine aussi des spécificités propres à la réception qu’en ont les fidèles ou tout autre destinataire, ce qui explique l’emploi récurrent des adjectifs clear,

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quand ils sont très explicites et sans ambiguïté, ambiguous quand ils sont soumis à une interprétation nécessaire, l’adjectif extraordinary renvoyant lui aussi à des révélations peut- être obscures sur des savoirs que seul un être aussi puissant que le dieu Apollon possède, opposé ainsi à commonplace qui traduit la banalité des connaissances révélées.

Tableau complet des topics 1. Res divinae 1a Cult foundations

1b Sacrifices, offerings 1c Human sacrifice

1d Religious laws, customs

2. Res publicae 2a Rulership

2b Legislation

2c City / Colony foundations 2d Interstate relations

2e War

3. Res domesticae et profanae 3a Birth, origin 3b Marriage, etc. 3c Death, burial 3d Careers, professions 3e Actions, events 3f Rewards, punishments 3g Persons, agents 3h Means, signs 3i Places, lands 3j Gnomic utterances

Fontenrose entend par res divinae tout ce qui concerne les oracles portant sur l’organisation, le respect, l’établissement et le fonctionnement des cultes et de la religion en général. Les res publicae, qui concernent aussi les res militares, ont comme préoccupations la vie politique en général et surtout la fondation des colonies, à laquelle Delphes est un sanctuaire particulièrement attentif ; enfin les res domesticae et profanae regardent tout ce qui est de l’ordre des affaires privées, essentiellement familiales et individuelles, mariages, naissances, carrières, etc. Cette classification, méthodique, donne un panorama du fonctionnement oraculaire delphique, en déterminant, pour reprendre la formule de Fernández-Delgado, la présence de « tipos fijos » (1985 : 156). Les critères de compréhension en sont essentiellement sémantiques et concernent le degré de signification de l’oracle, mais aussi syntaxiques, puisqu’ils sont soumis à l’emploi de moyens grammaticaux spécifiques pour exprimer tel ou tel énoncé.

 Certains oracles donnent plus ou moins explicitement des ordres ou des instructions, et se caractérisent grammaticalement par l’emploi de l’impératif (ou de ses équivalents, futur impératif ou présent général) ou l’expression de l’hypothétique. Par exemple, l’oracle adressé aux Amphictyons donne un ordre directement et sans détour :

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Κιρραίοις πολεμεῖν καὶ Κραγαλίδαισι κελεύω ἐνδυκέως πάσας νύκτας τε καὶ ἤματα πάντα. (PW17/Q70)

Aux habitants de Cyrrha et aux descendants de Kragalée j’ordonne de combattre ardemment toutes les nuits et tous les jours.

 Il existe aussi des oracles qui énoncent des interdictions et des avertissements ; par exemple un oracle (Élien, Histoires diverses, 3.44) renvoie avec force le consultant, un jeune homme qui a déserté et abandonné ses compagnons d’armes :

ἀνδρὶ φίλῳ θνήσκοντι παρὼν πέλας οὐκ ἐπαμύνας. ἤλυθες οὐ καθαρός· περικαλλέος ἔξιθι νηοῦ. (PW575/L141)

Alors que tu étais présent, près d’un ami mourant, tu ne l’as pas secouru.Tu es venu non sans souillure ; sors du très beau temple.

 Apollon peut de plus proférer des oracles qui rapportent une vérité seule connue de lui ; l’un des exemples le plus fameux est la réponse donnée à la question de Chaeréphon, qui veut savoir si Socrate est le plus sage des hommes :

σοφὸς Σοφοκλῆς, σοφώτερος δ’ Εὐριπίδης,

ἀνδρῶν δὲ πάντων Σωκράτης σοφώτατος. (PW420/H3)) Sophocle est sage, Euripide est plus sage, Socrate est le plus sage de tous les hommes.

 Apollon peut promettre un événement et annoncer ce qui va se passer : « Some are promises or statements of intention or the like expressed in the future tense… » (Fontenrose, 1978 : 19) ; par exemple, un oracle adresse à Solon un conseil qui prépare la future constitution que ce grand homme politique donnera à Athènes230 :

ἧσο μέσην κατὰ νῆα κυβερνητήριον ἔργον εὐθύνων· πολλοί τοι Ἀθηναίων ἐπίκουροι. (PW15/Q67)

Reste assis au milieu du navire à diriger le gouvernail ; beaucoup d’Athéniens seront tes auxiliaires.

Impératif, futur, métaphore autant de moyens pour annoncer une bonne nouvelle aux Athéniens.

230 Nous proposons pour le plaisir de la langue la traduction d’Amyot de la 4ème édition (1977), nrf, La Pléiade,

Tome 1, page 187, Vies Parallèles, Solon : Sieds toi en poupe au milieu droit / Et prends en main le timon hardiment /Pour gouverner : plusieurs Athéniens /Tu trouveras à ce faire des tiens.

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 Certains oracles donnent des ordres que seules certaines conditions permettent de réaliser : « The oracular command is made contingent upon a future event : the enquirer must act when such and such happens or is met or is seen – often something surprising or seemingly impossible … », selon le commentaire de Fontenrose (1978 : 15). Citons comme exemple les deux premiers vers de l’oracle rapporté par Plutarque (Moralia, 3.399C), qui donnent le ton et illustrent cette structure de la condition préalable à l’accomplissement d’un événement :

ἀλλ’ ὁπότε Τρώων γενεὰ καθύπερθε γένηται

Φοινίκων ἐν ἀγῶνι, τότ’ ἔσσεται ἔργα ἄπιστα. (PW357/Q238) Mais lorsque la descendance des Troyens se trouvera supérieure aux Phéniciens dans la bataille, alors il y aura des événements incroyables […]

Ainsi se comprend le fonctionnement original de ce catalogue ; rendant un hommage à ses prédécesseurs anglais, Fontenrose n’oublie pas de consacrer (comme nous l’avons déjà fait remarquer en note 229) un glossaire aux correspondances entre le classement PW et son propre classement. S’il tient compte des éléments qui structurent historiquement l’oracle : consultants, questions, événements associés à la consultation, réponses, sources, il ajoute des remarques sur les modes et les topics et un commentaire, comment. Le seul inconvénient de cette recherche est l’absence totale du texte en grec : seule une traduction anglaise apparaît, parfois incomplète ou du moins transposée et interprétée. Son catalogue faisant référence à celui des deux chercheurs anglais, les deux semblent fonctionner de pair et sont complémentaires ; le texte grec n’a donc pas besoin d’apparaître, puisqu’on le retrouve fidèlement rapporté dans l’édition anglaise de Parke et Wormell.

Les traductions proposées sont pratiquement toujours des interprétations qui nous éloignent parfois du texte grec, dont elles ne conservent que l’esprit de l’oracle rendu : le travail de Fontenrose ne vise donc pas une étude linguistique, stylistique et philologique, comme le laisse entendre cet exemple significatif de l’ensemble des présentations faites ; il s’agit dans la section Quasi-Historical Responses du quatrième oracle :

Q4 (PW488). [776 B.C.] Not genuine C. Peloponesians

Occ. Distrust of Q3 Q. On the content of Q3

R. Make sacrifice at Zeus’ altar and believe what seers tell you. Mode A1, Topic 1b

Delphi. Direct, Verse – Phleg. Ol. 1, 7 Eus. Chron.1, 192 Schoene = Synk. 196b. Comment: According to this response Delphi founded the oracle at Olympia.

Or si l’on se réfère à l’oracle correspondant de la collection PW, et si l’on lit le texte, on ne trouve qu’une traduction éloignée et indifférente à l’énoncé.

ὦ Πελοποννήσου ναέται, περὶ βωμὸν ἰόντες θύετε καὶ πείθεσθε τά κεν μάντεις ἐνέπωσιν.

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Cet oracle aurait donné, en traduction anglaise, non pas la version ci-dessus proposée par Fontenrose, mais celle-ci plus fidèle :

O inhabitants of Peloponnese, when approaching the altar, make a sacrifice and believe what seers tell you.

Il est alors possible de comprendre pourquoi Fontenrose ne travaille pas l’appareil critique complet des sources, ni les variantes lexicales, syntaxiques, mais fait uniquement porter son attention sur les origines et les travaux modernes concernant le texte cité.

Un autre exemple permet de concevoir que les intentions de Fontenrose sont avant tout celles d’un commentateur des circonstances qui ont produit et rendu exploitable l’oracle ; dans la section Historical responses se trouve cet oracle:

H1 (PW123). C. 440-430. C. Athenians

Occ. and Q. not stated

R. The persons specified shall receive public maintenance in the prytaneion. Mode A2, Topic 2b

Delphi.Testimony – Inscription of Athens, IG 1².77 = Oliver 1950: 13, lines 7-11. Comment: The text is mutilated and the exact sense unclear. On the inscription see Oliver 1950: 139-141; Wesley E. Thompson, “The Prytaneion Decree,” AJPh 92 ( 1971) 226-237. There can be little doubt that the inscription means the Delphic Apollo, who, if not definitely mentioned in a missing part of the inscription, is surely meant in lines 9-10 as the interpreter of nomina for Athens. The reference seems to be to an oracle that approved public maintenance for certain categories of persons, and I have therefore classified the mode as A2; if not that, it was a simple command (A1). We cannot be sure that this was a recent response.

Une comparaison entre le corpus de Parke et Wormell et celui de Fontenrose laisse apparaître de toute évidence des objectifs différents. Ci-dessous est donné le même oracle présenté par Parke et Wormell :

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ENQUIRER. The Athenians. ENQUIRY. Not precisely stated. Apparently on the right of the kin of Harmodius and Aristogeiton to banquet in the Prytaneion.

EVIDENCE. IG. I², 77, 11, 3ff. …ης [εἶπε. εἶναι τὴν σίτησιν τὴν ἐ]μ Πρυτανείωι πρῶτον [μ]ὲν τοῖ[σιν ἱερεῦσι τοῖν θεοῖν κ]ατὰ τὰ π[ά]τρια. ἔπειτα τοῖσι Ἁρμ[οδίου καὶ τοῖσι Ἀριστογεί]τονος, ὃς ἂν ᾖ ἐγγυτάτω γένος [υἱῶν γνησίων μὴ ὄντων, εἶν]αι αὐτοῖσι τὴν σίτησι[ν κ]αὶ ἐ[ς τὸ λοιπὸν ὑπάρχειν δωρειὰ]ν παρὰ Ἀθηναίων κατὰ τὰ [δ]εδομ[ένα κατὰ τὴν μαντείαν ἣ]ν ὁ Ἀπόλλων ἀνεῖλ[εν ἐχ[σ]ηγούμε[νος τὰ πάτρια λαβεῖν τούτου]ς σίτησιν, καὶ τ[ὸ λοιπόν ὃς ἂν [γένηται, τὴν σίτησιν εἶναι] αὐτοῖσι κατὰ ταὐτά, κτλ. If we accept Wade-Gery’s restoration, BSA. XXXIII. Pp. 123ff, the inscription does not record a particular enquiry, but refers to the general institution of the Exegetai Pythochrestoi as a class entitled to banquet.

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Parke et Wormell sont soucieux de donner la source grecque dans son intégralité, Fontenrose extrayant simplement le contenu substantiel qui structure cet oracle, dont on remarque qu’il n’a pas de texte connu, mais seulement une référence historique repérée dans une inscription, contenant la formule significative κατὰ τὴν μαντείαν ἣ]ν ὁ Ἀπόλλων ἀνεῖλ[εν.

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