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Notre étude, intitulée La langue de l’Apollon de Delphes : analyse linguistique, poétique

et systématique des recueils d’oracles, passant par l’analyse des recueils oraculaires, en

arrivera à une conclusion sur les textes eux-mêmes. Elle s’intéressera à la diffusion des oracles, pour cerner plus particulièrement la forme de l’oracle delphique, ses codes linguistiques, rhétoriques, lexicaux et stylistiques. Ce qui pourra constituer un prolongement et une nouvelle contribution à l’ensemble des recherches faites sur les textes oraculaires delphiques prendra appui plus particulièrement sur les acquis actuels de la linguistique : la mise en perspective des niveaux pragmatiques, sémantiques, morphosyntaxiques de la création textuelle, orale ou écrite, les critères de la communication et de l’énonciation dans la constitution d’une parole entre un locuteur et un destinataire, les conclusions apportées par les études sur la stylistique.37

Dans le cadre de notre problématique, nous nous intéressons à la question suivante : si nous analysons les oracles répertoriés par la recherche anglaise de Parke et Wormell ou américaine de Fontenrose38, en tenant compte des difficultés de classement, des références aux sources, des origines diverses comme textes cités par de nombreux auteurs , en sachant que ces textes ne fonctionnent pas, dans l’état actuel de la connaissance que nous en avons, comme des textes indépendants, appartenant à une œuvre indépendante, mais soumis à des conditions de citations et de conservations variées, nous pourrons démontrer qu’il existe, malgré tout, des liens communs entre ces textes, si nombreux, dont les procédés de création sont divers et variables, liens qui leur donnent une spécificité linguistique, stylistique, voire générique. L’hypothèse est qu’il existe bel et bien une langue d’Apollon, facilement identifiable, reconnaissable par des marques typiques. La réflexion a été subtilement lancée, sans être menée à son terme, par Fernández-Delgado, quand il parle de « género "literario" »

37 Notamment par ordre chronologique : Fromilhague / Sancier, Introduction à l’analyse stylistique, 1991 ;

Molinié, Dictionnaire de rhétorique, 1992 ; Charaudeau / Maingueneau, Dictionnaire d’analyse du discours, 2002.

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ou qu’il soutient l’existence d’un « estilo oracular mas o menos común y reconocible » (1985 : 155).

Nous déduisons de cette problématique les hypothèses suivantes que nous classerons selon des perspectives littéraires, grammaticales, rhétoriques ou proprement linguistiques.

 On ne doit pas considérer les corpus oraculaires que nous analyserons comme formant une unité indiscutable : certes on relève des traits communs entre tous les oracles delphiques répertoriés, et il apparaît qu’une langue oraculaire spécifique semble avoir existé, reconnaissable dans ses structures rhétoriques, ses formulations antithétiques, proches de celles de l’énigme, dans le goût des formules brèves sous forme de proverbes ou d’aphorismes, dans ses paradoxes sémantiques créés à partir de jeux phonétiques. Mais il n’en reste pas moins clair que les textes sont variés, dans leur conception et leur présentation.

 Formellement, la langue oraculaire de Delphes semble fonctionner selon une logique qui lui est propre et qui se rapproche de celle d’une langue « toute intentionnelle, purement intellective » (Pucci, 1993 : 9). Mais cette logique reste à définir selon des critères objectifs : considérer l’oracle, quel qu’il soit, comme un acte de communication peut donc être un moyen de révéler qu’il repose avant tout sur une intention de pure relation entre une instance religieuse et un fidèle qui vient consulter le dieu Apollon. Ont été émises des hypothèses (que nous poursuivrons) sur les traces d’oralité conservées par certains textes oraculaires ; est-ce suffisant pour déterminer une spécificité delphique ?

 Les recherches effectuées dans notre étude peuvent rendre compte de plusieurs éléments indiscutables : l’acte de communication et de parole que constitue l’oracle suppose un échange in praesentia. Le caractère sacré est rendu par la présence explicite, dans la plupart des textes, du dieu qui parle ou dont la parole est rapportée par son truchement. Le caractère noble dont se pare la langue de nombreux oracles est souligné par une métrique en hexamètres dactyliques ou trimètres iambiques, par l’utilisation récurrente d’images tantôt réalistes, tantôt fantaisistes, par la récurrence de métaphores, de périphrases parfois recherchées et par les nombreux emplois d’une langue de référence, celle de l’épopée en priorité.

Nous nous proposons de présenter l’étude en trois parties, de façon progressive et qui bâtisse peu à peu la théorie de la langue d’Apollon delphique. La première partie intitulée « Les oracles : étude pragmatique de leur production et de leur réception » a pour but de se concentrer sur la façon dont les textes oraculaires sont des témoignages : ils conservent en eux et dans leur langue des marques de la conception divinatoire pratiquée à Delphes (la mantique inspirée), ils donnent une image du dieu prophète et de son intermédiaire la Pythie, ils permettent de se poser des questions sur l’origine de leur réalisation : qui les a conçus et qui les a transformés en textes écrits ? C’est là sans doute incontestablement un signe de convergence vers une unité, une marque propre à Delphes, qui se cite elle-même. La deuxième partie intitulée « Les recueils d’oracles delphiques : étude systématique de leur constitution et de leur diffusion » a pour but de faire un historique de la tradition oraculaire dans le domaine des recueils et des catalogues, en partant de l’époque actuelle pour arriver à

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l’époque antique, sans oublier que les recueils antiques ont été perdus pour la plupart, et que l’état de fragments est le plus fréquent. Constituer des recueils consacrés spécifiquement à Delphes devient alors une preuve intuitive, ou plus largement, scientifique, de l’appartenance des textes oraculaires concernés à une sphère d’influence spirituelle et linguistique facilement reconnaissable. La troisième partie intitulée « La langue d’Apollon: étude linguistique, grammaticale et stylistique des oracles de Delphes » a pour but de définir les caractéristiques de la langue pratiquée à Delphes, une langue qui se forge au gré de l’histoire du sanctuaire, de son prestige, et du mythe que crée la littérature en s’emparant des oracles apolliniens. Sa conclusion portera sur les critères (peut-être aussi, osons l’affirmer, les recettes de fabrication) retenus pour reconnaître un oracle delphique et évaluer les degrés de performance de la langue delphique. Une longue annexe est consacrée aux traductions personnelles des oracles delphiques conservés et permet ainsi de revenir sur ce qui manque dans la publication française, un recueil complet de textes traduits.

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