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Les recueils d’oracles delphiques : étude systématique de leur constitution et de leur

2.1.1 Les recueils du XX ème siècle

2.1.1.5 Proposition d’un classement personnel

Le classement et la présentation des oracles delphiques par Parke et Wormell ont été revus, nous l’avons constaté, par Fontenrose. Récemment, le travail de Fontenrose a été remis en cause par un article de Suárez de la Torre (2009 : 114-116) au nom d’une difficulté, liée à la mentalité et à la façon d’agir des anciens Grecs, à bien distinguer les res divinae, les res

publicae et les res domesticae et profanae : en effet, classer, par exemple, les oracles de

colonisation exclusivement dans les affaires politiques ne tient pas compte de l’étroite relation

234 Cela n’est pas sans rappeler la définition que donne de la poésie Octavio Paz : « La poésie est synthétique et

demande une concentration… Le poète comprime et doit tout dire en quelques lignes. » (Œuvres complètes, vol. 13, 1998).

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entre colonisation d’une part, organisation religieuse d’autre part ; la religion est omniprésente, même dans les affaires privées235. Suárez de la Torre propose alors une

nouvelle classification en 8 entrées, qui fait de la religion et des rituels religieux le critère essentiel : oracles de colonisation, oracles des rites et des cultes des dieux et des héros, oracles du dieu guérisseur, oracles du dieu qui punit et purifie, oracles des fondements religieux de la norme politique, 1) à Sparte, 2) à Athènes, 3) à Cyrène, oracles de l’asylie des cités.

Si nous partons nous-mêmes des 252 oracles retenus, desquels sont ôtés les textes en latin236, nous obtenons un corpus de 221 oracles237 sur lesquels il est possible de proposer, en

tenant compte des récentes réflexions de Suárez de la Torre, d’autres perspectives que le classement purement historique de Parke et Wormell, ou encore celui de Fontenrose dont l’intention est à la fois historique et sociale; ces entrées se justifient à la fois par la visée des oracles et par les outils grammaticaux employés ; elles permettent de jouer sur des associations binaires, qui opposent ou rapprochent les énoncés en fonction des intentions proférées par le dieu ; le dernier groupe du classement renvoie à une facture générique qui rappelle le goût des énoncés brefs et le rôle de Delphes dans l’éducation morale des Grecs.

Il existe des oracles de persuasion, ceux qui invitent le consultant à prendre une décision, politique quand il s’agit de colonies à fonder ou de constitutions à établir, morale quand il s’agit d’appliquer des principes de vertu individuelle ou sociale, religieuse quand il s’agit de préserver ou de rétablir un culte.

Ces oracles sont à mettre en perspective avec les oracles de dissuasion, qui donnent des avertissements ou formulent des interdits.

Les oracles de malédiction, parfois très brefs, expriment avec force la haine du dieu pour les meurtriers, les parjures, les impies.

Ils côtoient les oracles de protection, qui apportent un soutien du dieu, confirmant que le consultant est l’ami du sanctuaire et que le dieu a le pouvoir de l’aider.

Enfin, les oracles moralisateurs, de morale individuelle ou collective, abondent sous forme d’aphorismes et de proverbes.

Les critères concernent essentiellement des faits pragmatiques et culturels ou parfois historiques ; le classement a l’avantage de mettre l’accent sur certains faits linguistiques et aboutit à la présence d’oracles personnels à la première et à la deuxième personnes, d’oracles impersonnels, sans le « je », à la troisième personne, d’oracles se référant à un

lexique sacré où l’autorité mantique est explicitement annoncée ; cela permet de rappeler à

quel point la parole du dieu et de la Pythie joue un rôle essentiel dans la transmission du message : s’il y a oracle, il y a avant tout expression du verbe divin.

235 « Au final, l’oracle s’immisce dans tous les aspects de la vie collective (et, bien que dans une mesure plus

réduite, privée) […] Dans une culture où la religion a une présence constante, on peut facilement imaginer à quel point il a pu devenir un instrument doté de possibilités extraordinaires pour maints aspects de la vie des gens, surtout de la vie politique. » (Suárez de la Torre, 2009 : 114).

236 Ils ne constituent pas en effet un objet d’étude dans les limites que nous nous sommes fixées dans cette

recherche. Tous sont des « evidences », des témoignages, sauf ceux que l’Histoire Auguste (Pescennius Niger, 8) nous rapporte traduits en latin (PW510, PW511, PW512, PW513). Parke et Wormell les considèrent comme des créations artificielles : « They were probably simply invented as literary ornaments long after the events concerned. » (1956, II : 206).

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Sans distinguer comme le fait Fontenrose les res publicae et les res privatae, puisque souvent les unes empiètent sur les autres et se superposent, mais en mettant l’accent sur les enjeux religieux de la parole d’Apollon, une typologie reste à fonder sur le contenu des oracles et à les classer en fonction des indications prescrites ; il existe ainsi

 soixante-quatorze oracles religieux concernant le respect des règles, le respect des dieux, les purifications, l’installation d’un culte238,

 quarante-sept oracles politiques, qui se préoccupent des guerres, des successions, de l’accès au pouvoir, des rivalités239,

 trente-cinq oracles de colonisation240,

 trente-neuf oracles prescriptifs, qui donnent des leçons de morale, de sagesse241,

 vingt-six oracles traitant de thèmes très variés, liés à des préoccupations certes privées, mais démontrant la supériorité d’un dieu qui peut et sait tout: sur la descendance à assurer, sur la mort, sur les hommes célèbres qui sont presque héroïsés (Hésiode, Laïos, Plotin, Homère), sur la guérison, sur les origines de tel ou tel individu242.

Cependant, pour montrer la multiplicité des points de vue, nous proposons aussi une typologie243, qui fonctionnerait mieux en relation avec l’acte d’énonciation que constitue un

oracle, et se réfère ainsi aux personnages qui consultent et échangent avec le dieu244 : il

existe des oracles adressés à quelqu’un qui est nommé.

quarante-deux oracles s’adressent, en employant la deuxième personne, à un personnage en particulier : Entimos (3), Éétion (6), Cypsélos (8, 9), Lycurgue (29,

216), Glaucos (35), Battos (39, 41, 71, 416), Myscellos (43, 45), Crésus (54, 55, 250), Erginos (111), Thésée (154), Hésiode (206), Caranos (225), Carystos (228), Télésiclès (230, 231), Archiloque (232), Ancaeus (233), Myson (245), Callistrate (259), mon

238 Il s’agit des oracles connus dans le corpus comme PW4, PW14, PW63, PW74, PW88, PW91, PW99, PW106,

PW122, PW130, PW133, PW163, PW210, PW220, PW235, PW236, PW248, PW257, PW266, PW273, PW276, PW282, PW283, PW292, PW311, PW326, PW329, PW337, PW338, PW339, PW358, PW361, PW362, PW374, PW376, PW388, PW389, PW390, PW391, PW408, PW409, PW414, PW429, PW443, PW447, PW466, PW467, PW469, PW470, PW471, PW472, PW475, PW487, PW488, PW489, PW490, PW493, PW514, PW517, PW518, PW537, PW538, PW539, PW575, PW576, PW577, PW581, PW591, PW592, PW607, PW610, PW611, PW612, PW615.

239 Il s’agit des oracles connus dans le corpus comme PW1, PW6, PW7, PW8, PW9, PW16, PW18, PW24,

PW29, PW48, PW53, PW54, PW65, PW68, PW70, PW84, PW92, PW93, PW94, PW95, PW96, PW100, PW112, PW121, PW154, PW169, PW173, PW181, PW214, PW216, PW222, PW254, PW259, PW301, PW327, PW357, PW363, PW364, PW365, PW366, PW428, PW431, PW476, PW507, PW508, PW509.

240 Il s’agit des oracles connus dans le corpus comme PW2, PW3, PW31, PW33, PW41, PW42, PW43, PW44,

PW45, PW46, PW47, PW69, PW71, PW225, PW226, PW228, PW229, PW230, PW232, PW233, PW280, PW302, PW310, PW314, PW321, PW371, PW379, PW380, PW381, PW382, PW416, PW433, PW497, PW498, PW501.

241 Il s’agit des oracles connus dans le corpus comme PW15, PW17, PW25, PW35, PW52, PW73, PW109,

PW127, PW131, PW135, PW170, PW198, PW218, PW245, PW247, PW250, PW268, PW270, PW289, PW291, PW312, PW373, PW375, PW420, PW421, PW422, PW423, PW424, PW464, PW474, PW492, PW579, PW580, PW595, PW597, PW598, PW608, PW613, PW614.

242 Il s’agit des oracles connus dans le corpus comme PW55, PW89, PW110, PW111, PW129, PW202, PW206,

PW231, PW242, PW243, PW316, PW317, PW318, PW319, PW372, PW377, PW383, PW406, PW407, PW418, PW446, PW465, PW468, PW473, PW515.

243 Le nombre s’élève à 236, car certains mêmes oracles apparaissent en plusieurs endroits.

244 Parmi ces oracles, se distinguent ceux qui nomment les consultants et ceux qui ne les nomment pas. Il existe

ainsi des personnes à qui s’adresse directement et officiellement l’oracle, qu’elles soient présentes ou non au moment de la consultation. Le consultant peut en effet être directement présent, ou être représenté par un intermédiaire : ainsi Battos est présent physiquement; Crésus ne se déplace pas, mais se fait représenter.

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enfant – Alexandre - (270), Asclépios (276), Néléus (301), Laïos (372), Cadmos (374, 501), Leucippe (382), Céyx (383), Agamemnon (408), Mnésarchidès (418), Iphitos (490), Philippe de Macédoine (507), un étranger anonyme (592), un descendant d’Ajax (595), les Muses (473)

trente-sept oracles s’adressent à des personnages indéterminés (peuples, cités) : les

Argiens (1), les Corinthiens (7, 424), les habitants de Cyrrha (17), un Sybarite (73), Milet (84, 247), les Delphiens (96, 515), un Perse (99), les Spartiates (100, 112), Athènes (121, 133, 282, 283, 466, 470), un Locrien (169), les habitants de l’Oeta (170), les habitants de l’Achaïe (181), un Thessalien (257), les Piériens (376), les Magnésiens (338, 379, 380), les habitants de Phaestos, Tarrha et Dios (339), les Thébains (409, 508), les habitants de Méthymne (337), Sicyone (358), un Romain (428, 433), les Péloponnésiens (487, 488), les Éléens (489), les Arcadiens (493)

soixante-dix-huit oracles s’adressent aux consultants sans les nommer (par les

pronoms Sg2 ou Pl2) :

- cinquante-huit oracles emploient le pronom σύ245. - vingt oracles emploient le pronom ὑμεῖς246.

cinquante-neuf oracles ne s’adressent pas à une personne en particulier, mais profèrent une parole (comme certains sont très mutilés, il est impossible de savoir si,

dans ce qui a disparu, n’apparaissait pas un nom, ou un pronom)247.

Ces typologies sont toutes justifiées, parfois indépendantes les unes des autres, et prouvent à quel point la production oraculaire de Delphes est riche d’identités diverses, pourvoyeuse de perspectives d’analyse (historiques, linguistiques, thématiques), qui se recoupent ou convergent : on ne peut, comme le voit, vraiment comprendre le fonctionnement du texte oraculaire qu’en conjuguant ces entrées et ces classements vus ci-dessus.

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