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Le recueil de Parke et Wormell comme fondement de cette étude

Les recueils d’oracles delphiques : étude systématique de leur constitution et de leur

2.1.1 Les recueils du XX ème siècle

2.1.1.1 Le recueil de Parke et Wormell comme fondement de cette étude

Parke et Wormell ont constitué leur catalogue en recueillant les textes dans la littérature et parfois dans les catalogues d’inscriptions grecques et latines223 : en tout 615 occurrences (qui

ne sont pas toutes des réponses) réparties entre le VIIIème siècle avant J.C. et le IVème siècle après J.C. Ce corpus, facilement accessible et d’une exploitation aisée, classe les oracles versifiés ou non en neuf périodes historiques, des origines à la fin de l’histoire du sanctuaire ; à ces entrées s’ajoutent une section intitulée « Uncertain date » (oracles numérotés de 520 à 590), et une section appelée « Appendix ; Dubious and Pseudonymous oracles : i.e. texts

wrongly cited as oracles in our authorities or wrongly assigned to Delphi » (oracles

numérotés de 591 à 615).

Voici un tableau qui résume la situation et donne un aperçu de l’organisation interne du catalogue : est faite exception des derniers oracles jugés incertains et douteux.

Période historique désignée Numéros des oracles cités First period. To the end of the first sacred war Oracles de 1 à 22

Second period. To the burning of the temple in 548 B.C. Oracles de 23 à 62 Third period. To the end of the Persian wars (479 B.C.) Oracles de 63 à 111 Fourth period. To the beginning of the Peloponnesian war

(431 B.C.) Oracles de 112 à 157

221 Les deux éditions ont paru aux éditions de la Différence (Paris), la seconde étant une édition revue et

augmentée de la première version.

222 Yourcenar (1979).

223 Müller, Fragmenta historicorum graecorum ; Jacoby, Die Fragmente der griechischen Historiker (FGH ou

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Fifth period. To the destruction of the temple in 373 B.C. Oracles de 158 à 252 Sixth period. To the Aetolian occupation of Delphi, c. 300

B.C. Oracles de 253 à 328

Seventh period. 300 B.C. to 190 B.C. Oracles de 329 à 425 Eighth period. 190 B.C. to 30 B.C. Oracles de 426 à 456 Ninth period. 30 B.C. to the end Oracles de 457 à 519

On comprend par ce tableau que le choix des périodes se fait en fonction de l’histoire même du temple et du sanctuaire, de certaines grandes dates de l’histoire grecque (Guerres Médiques, guerre du Péloponnèse, mainmise de Rome sur tout le bassin méditerranéen). Pour chaque période, les chercheurs répartissent les oracles en deux groupes, « historical and fictitious », fictitious s’entendant comme supposés authentiques, mais en réalité inventés pendant les périodes dans lesquelles ils sont répertoriés. L’adjectif historical ne signifie pas que ces oracles sont forcément authentiques, et la catégorie des fictitious responses comprend des oracles « legendary, pseudo-historical, and invented », invented se comprenant au sens de composés pour des œuvres littéraires.

L’analyse du second volume correspond aux attentes de cette recherche ; sa préface (Prolegomena, pp. VII – XXXVI) explique les procédés de la démarche, en déterminant trois centres d’intérêt :

 l’insertion des oracles connus dans la grande tradition littéraire qui les rapporte en les citant,

 les sources indirectes dues aux archives et aux inscriptions,

 enfin une réflexion rapide sur le style des oracles et leur versification.

Parke et Wormell insistent longuement sur les sources exclusivement littéraires : sont concernés Hérodote, Diodore de Sicile, Strabon, Plutarque, Pausanias, Oenomaos de Gadara (par l’entremise d’Eusèbe de Césarée), avec de l’un à l’autre des recoupements, des reprises, des modifications. Certes, si la tradition littéraire est bien établie, les autres sources nous livrant des oracles sont moins connues et beaucoup moins bien sûres : archives des villes, informations données par les prêtres, guides pour les visiteurs (qui ont tendance à embellir et à déformer les réponses par le recours à des légendes populaires, collectionneurs professionnels comme les chresmologues ou les amateurs d’oracles, ce que résume cette assertion en considérant comme sources possibles « delphic records, tales told by periegetai, state archives, and collections made by chresmologoi … [with] their special tendencies in inventions and distorsions » (1956, Prolegomena : XVIII).

Il ne faut pas oublier que seule une petite partie des oracles nous est parvenue : la question est de savoir s’ils sont suffisamment représentatifs de ce qu’était la réalité de l’oracle delphique. Quand une recherche s’intéresse à l’oracle delphique, il faut toujours avoir à l’esprit cette difficulté liée au nombre restreint de témoignages ; on doit aussi tenir compte des falsifications, des remodelages, des censures qui avaient pour objectif d’étayer la croyance en l’omniscience d’Apollon, ou encore d’illustrer l’infaillibilité de sa parole, et plus tard, notamment à l’époque chrétienne, de saper cette foi. Cette remarque n’est pas sans conséquence, puisqu’elle soulève la question de l’authenticité oraculaire : « There are thus practically no oracles to which we can point with complete confidence in their

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authenticity. Nor can we expect to establish any general criteria of genuineness. » (1956, Prologemena: XXII) Comment alors distinguer entre ce qui était la réelle prophétie d’Apollon, transmise par la Pythie et ce qui ne l’était pas ? Histoire incroyable, fabrication

post eventum, inadaptation de la langue, autant de raisons qui nous poussent personnellement

à favoriser non pas un classement en fonction d’une authenticité historique irréprochable, mais plutôt en fonction d’un esprit, d’un état d’esprit, d’une atmosphère relevant de l’oracle. Le catalogue présente de façon invariable les oracles retenus et recueillis, numérotés et accompagnés de longs appareils critiques ; il en faut analyser les principes et les démarches pour comprendre les intentions profondes de ce corpus. Voici la reproduction de la présentation détaillée du premier oracle, qui prend l’allure d’une fiche signalétique de portée littéraire :

1.

ENQUIRER.The Men of Aegium.ENQUIRY. Τίνες κρείττους εἶεν τῶν Ἑλλήνων REPLY γαίης ἐν πάσης τὸ Πελασγικὸν Ἂργος ἄμεινον, ἵπποι Θεσσαλικαί, Λακεδαιμόνιαί τε γυναῖκες, ἄνδρες δ’ οἳ πίνουσιν ὓδωρ καλῆς Ἀρεθούσης. ἀλλ’ ἔτι καὶ τῶν εἰσὶν ἀμείνονες, οἵ τε μεσηγύ Τίρυνθος ναίουσι καὶ Ἀρκαδίης πολυμήλου Ἀργεῖοι λινοθώρηκες, κέντρα πτολέμοιο. ὑμεῖς δ’ Αἰγίεες, ούτε τρίτοι ούτε τέταρτοι ούτε δυωδέκατοι, ούτ’ ἐν λόγῳ ούτ’ ἐν ἀριθμῷ.

EVIDENCE. Ion Hist. (FHGII, 51) fr. 17, and Mnaseas (FHGIII, 157) fr. 50 = Suid. And Photius, s.v. Ὑμεῖς, ὦ Μεγαρεῖς … χρησμοῦ κομμάτιόν ἐστι παροιμιαζόμενον οὕτως…

Line 1 omitted. Line 2 ἵππον Θεσσαλικήν Λακεδαιμονίαν τε γυναῖκα Line ἄνδρες 3 GVM, ἄνδρας cet. (Suid.) ἱστορεῖ δὲ Μνασέας ὅτι Αἰγιεῖς οἱ ἐν Ἀχαίᾳ καταναυμαχήσαντες Αἰτωλοὺς καὶ λαβόντες πεντηκόντορον αὐτῶν δεκάτην Πυθοῖ ἀνατιθέντες ἠρώτων τίνες κρείττους εἶεν τῶν Ἑλλήνων. ἡ δὲ Πυθία ἔχρησεν αὐτοῖς τὰ προκείμενα. καὶ Ἴων δὲ Αἰγιεῦσι δοθῆναι τὸν χρησμὸν ἱστορεῖ τινὲς δὲ οἴονται Μεγαρεῦσιν εἰρῆσθαι αὐτὸν καὶ προφέρονται – Ὑμεῖς δ’, ὦ Μεγαρεῖς, οὔτε τρίτοι κτλ ὡς καὶ Καλλίμαχος ἐπὶ τοῖς Ἐπιγραμματίοις

AP. 14, 73 χρησμὸς δοθεὶς τοῖς Μεγαρεῦσι (as above exc. Line 7. ὦ Μεγαρεῖς) Oenom. ap. Eus. PE. 5, 29. Lines 1-3

Line 1 οὖδας ἄμεινον Line 2 Θρηίκειαι Α, Θρηίκιαι cet. Line 3 ἄνδρας θ’

Str. 10, 1, 13 περιφέρεται δὲ καὶ χρησμὸς ἐκδοθεὶς Αἰγιεῦσιν, ἵππον Θεσσαλικόν, Λακεδαιμονίαν δὲ γυναῖκα,

ἄνδρας θ’, οἳ πίνουσιν ὕδωρ ἱερῆς Ἀρεθούσης,

τοὺς Χαλκιδέας λέγων ὡς ἀρίστους. ἐκεῖ γὰρ ἡ Ἀρέθουσα. Cf Eust. ad D.P. 472. Ath. 7, 278e … ὥσπερ ὑποτιθέμενος αὐτοῖς κατὰ τὴν Πυθίαν ζητεῖν

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ἵππον Θεσσαλικήν, Λακεδαιμονίην τε γυναῖκα, ἂνδρας δ’ οἵ πίνουσιν ὓδωρ καλῆς Ἀρεθούσης.

Dinias, Sch. Theoc. 14, 48 (F. Gr. Hist. 306 f 6) ἱστορεῖ γὰρ Δεινίας, ὅτι οἱ Μεγαρεῖς φρονηματισθέντες ποτέ ὅτι κράτιστοι τῶν Ἑλλήνων εἰσίν, ἐπύθοντο τοῦ θεοῦ κρείττονες τυγχάνουσιν, ὁ δὲ ἒφη …

As above, but Line 2 ἵπποι Θρηίκιοι Λακεδαιμόνιαι δὲ. Line 4 οἳ τὰ μεσσηγὺ. Line 7 ὦ Μεγαρεῖς

Clem. Al. Strom. 7,18,110. Lines 7 and 8, with ὦ Μεγαρεῖς, cited from Theognis. Suid., s.v. Αἰγιεῖς ούτε τρεῖς ούτε τέσσαρες. οἱ γὰρ ἐν Ἄργει Αἰγιεῖς νικήσαντες Αἰτωλοὺς ἠρώτων τὴν Πυθίαν τίνες εἶεν, ἀνεῖλε δὲ αὐτοῖς …

Line 7, and for Line 8 simply ἀλλ’ οὐδὲ δεκαταῖοι

Cf. Zen. 1, 48.Diogenian.1, 47.Apostol.1, 59. St. Byz., s.v. Αἲγιον Line 7 only.

Theodoret.Gr. Aff. Cur.141, 14. Lines 1-3

Line 1 Ἄργος (contrast Oenomaus). Line 2 Θρηίκιαι and δὲ Cf. Tz. H. 10, 382 and 9, 863.

Other references to this oracle. – Pl. Hp. Ma. 288b. θήλεια δὲ ἵππος καλὴ οὐ καλόν, ἣν ὁ θεὸςἐν τῷ χρησμῷ ἐπῄνεσεν; Theoc.14, 49.δύστηνοι Μεγαρῆες ἀτιμοτάτηι ἐνὶ μοίρηι AP. (Call.) 5, 6, 6 . ὡς Μεγαρέων οὐ λόγος οὐδ ‘ἀριθμός. Plu. 4, 682f. τῶν δὲ Δημοκρίτου … εἰδώλων, ὥσπερ Αἰγιέων ἢ Μεγαρέων, ἀριθμός οὐδεὶς οὐδὲ λόγος. 4, 730d. τῶν δ’ ἐμῶν … πολιτῶν ὥσπερ Μεγαρέων οὐδεὶς λόγος. Jul. Or. 249c … οὐκ ἄδοξοί τινες οὐδ’ ἐν τῇ Μεγαρέων ἄξιοι τάττεσθαι μερίδι. And there may be an echo in D. 18, 310… ἐνοἷς οὐδαμοῦ σὺ φανήσει γεγονώς, οὐ πρῶτος, οὐ δεύτερος, οὐ τρίτος, οὐ τέταρτος, οὐ πέμπτος, οὐχ ἕκτος, οὐχ ὁποστοσοῦν …

Remarquons dans un premier temps le souci des sources qui, dans chaque présentation d’un oracle, offre la même proportion, augmentée parfois d’un commentaire plus personnel, comportant une explication ou une note historiques : sont ainsi envisagées les références (dans un souci d’exhaustivité), les variations du texte oraculaire, présentes chez tel ou tel écrivain. Le souci du contexte historique, du contexte philologique est aussi au nombre des intentions des chercheurs, qui cependant ne produisent aucune traduction du texte224. En

entrant dans le détail, nous remarquons que sont prises en compte les conditions de la question : identité du consultant (quand c’est possible225), formule de la question (qui est le plus souvent empruntée à un texte littéraire ou non, qui fait mention de l’anecdote de l’oracle, comme c’est le cas ici226). Il est nécessaire cependant de rappeler l’incertitude des recherches

sur la forme exacte de la question, contrairement aux découvertes faites à Dodone. C’est

224 On peut trouver parfois une traduction, plus ou moins complète, de tel ou tel oracle dans le volume I qui

étudie l’histoire de l’oracle delphique.

225 Le corpus mentionne Not stated, quand ce n’est pas possible. 226 Le texte est mis en caractères gras.

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pourquoi, en toute objectivité, Parke et Wormell ne se prononcent pas sur cette étape de la consultation. Vient ensuite la réponse telle qu’elle est connue, extraite d’une référence littéraire (la première référence donnée, comme ici les historiens et lexicographes Ion et Mnaséas, est toujours celle qui est choisie comme source de la réponse retenue) ; d’autres sources sont citées, constituant dans certains cas une longue liste (tout dépend de la portée de l’oracle en question et de l’exploitation qui en est faite, certains oracles étant plus célèbres que d’autres, ou bien les aléas de l’histoire des textes faisant que l’on perd trace de certains témoignages). Retenons que la majorité des sources citées sont littéraires, et très rares sont les oracles conservés par l’épigraphie. Sont mentionnées aussi avec soin et esprit d’exhaustivité les variantes : elles consistent soit en des oublis (omitted, par exemple), soit en des citations incomplètes (texte incomplet), soit en des différences lexicales (par exemple, ici, ἵπποι Θρηίκιοι, qui remplace ἵπποι Θεσσαλικαί) ou morphologiques (un accusatif à la place d’un nominatif, par exemple : ἵππον Θεσσαλικήν au lieu de ἵπποι Θεσσαλικαί). Il est notoire par ces observations faites que l’’intérêt de ce corpus rejoint diverses préoccupations : philologiques, linguistiques, textuelles, faisant comprendre l’état d’une langue, ou celui d’un texte qui n’est presque jamais fixé.

Rappelons que sur les 615 citations227, seules 252 correspondent dans le recueil de Parke et Wormell à des « replies », soit 41% de l’ensemble du catalogue. Nous rétablissons comme oracle à part entière l’occurrence PW14 qu’ils ne considèrent pas comme une réponse, parce qu’il est un pastiche d’Epiménide (mais dans ce cas, il faudrait aussi exclure les oracles fictifs du roman d’Héliodore). Sur les 252 occurrences considérées comme des réponses et non comme des paraphrases,

 10 sont réduites à un mot (soit environ 4%),

 16 sont visibles et repérables dans un texte littéraire ou dans des inscriptions (soit environ 6%),

 5 sont rapportées par des textes latins en langue latine (soit environ 2%),

 15 sont en prose, soit énoncés directement en prose, soit paraphrasés et rapportés en prose (soit environ 6%).

Les 363 occurrences qui restent correspondent à des témoignages recueillis dans la littérature ou dans les inscriptions qui rapportent qu’un oracle a été prononcé, sans que le texte ait été conservé ou cité. Seul est pris en compte le témoignage. Voici alors comme se présente l’élément du corpus, quand il est dépourvu de texte :

10

ENQUIRER. The Epidaurians. ENQUIRY. For a remedy for a famine.

EVIDENCE. Hdt. 5, 82, 1. Ἐπιδαυρίοισι ἡ γῆ καρπὸν οὐδένα ἀνεδίδου περὶ ταύτης ὧν τῆς συμφορῆς οἱ Ἐπιδαύριοι ἐχρέωντο ἐν Δελφοῖσι. ἡ δὲ Πυθίη σφέας ἐκέλευε Δαμίης τε καὶ Αυξησίης ἀγάλματα ἱδρύσασθαι καί σφι ἱδρυσαμένοι ἄμεινον συνοίσεσθαι.

Cf. Paus .2, 30, 4.Sch. Aristid. 216 and 598.

Herodotus appears to indicate the latter half of the seventh century B.C. as the supposed date of this response.

227 Sur les 615 attestations retenues, 40 sont rapportées en latin, la plupart sous la forme de paraphrases ou de

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ENQUIRER.The Epidaurians. ENQUIRY. κότερα χαλκοῦ ποιέωνται τὰ ἀγάλματα ἢ λίθου

EVIDENCE. Hdt.5, 82, 2. ἐπειρώτεον ὧν οἱ Ἐπιδαύριοι κότερα χαλκοῦ ποιέωνται τὰ ἀγάλματα ἢ λίθου. ἡ δὲ Πυθίη οὐδέτερα τούτων ἔα, ἀλλὰ ξύλου ἐλαίης.

Sont ici présentés deux cas d’oracles paraphrasés, rapportés dans un discours narrativisé : ils se suivent dans le même chapitre du livre 5 des Histoires d’Hérodote ; tous les éléments sont présents qui constituent les piliers de l’énonciation oraculaire : les consultants sont nommés, la Pythie est présentée dans sa fonction de porte-parole du dieu, et les recommandations faites aux consultants sont clairement définies : mais reste à se demander pourquoi le texte est absent. Est-ce par manque de preuve tangible, ou bien comme le confesse Hérodote lui-même la preuve qu’il a entendu dire, par les guides ou le personnel du temple, en quoi consiste l’oracle, comme une sorte de passation des textes de bouche à oreille, mais sans pouvoir le confirmer de visu, par une lecture d’un texte écrit. Cependant il est à constater que les conseils donnés sont présents : ce sont des recommandations qui touchent la vie religieuse et le culte des dieux ; ériger des statues en l’honneur de telle ou telle divinité, et surtout choisir le matériau dans lequel doit être taillée la statue (bronze, pierre, bois d’olivier). Ces deux exemples sont intéressants pour montrer que dans l’esprit de Parke et Wormell sont considérés comme oracles, même ceux dont on ne connaît pas le texte originel : seul compte alors le fond, la forme étant jugée superfétatoire. Cette remarque induit d’une part que la question est parfois réinterprétée, puisqu’elle n’apparaît absolument pas dans le texte littéraire (c’est le cas de l’oracle 10), d’autre part que l’on n’attache pas une importance capitale à la forme de la parole oraculaire, car ce qui compte, ce ne sont pas les mots qui disent l’oracle, mais ce que ces mots, quels qu’ils soient et de quelque manière qu’ils soient rapportés, contiennent. Ces oracles donnent une leçon de sagesse par la façon qu’ils sont rapportés, en nous apprenant qu’il faut tenir compte de l’esprit et non de la lettre. C’est d’ailleurs un fait général, qui pousse à la conclusion que l’oracle n’est pas un texte sacré, immuable et révélateur de la seule pensée du dieu. Remarquons enfin que les sources sont parfois très réduites, à un seul écrivain qui a cité l’oracle textuellement ou n’y a fait qu’une allusion, par une paraphrase.

Il arrive aussi que Parke et Wormell n’indiquent aucun texte verbatim, mais considèrent que le texte existe sous forme d’oratio obliqua, comme c’est le cas de l’oracle 260 :

260.

ENQUIRER. The Chalcidians and Philip II of Macedon.ENQUIRY. Not precisely stated : apparently on their alliance.

REPLY. No verbatim texte, but a close paraphrase in oratio obliqua.

EVIDENCE.Inscription from Olynthus (apparent date 356 B.C.).Tod, Greek Historical Inscriptions, Vol. 2, N° 158, ll. 12ff.

[ἔχρησεν ὁ θεὸς Χαλκιδεῦσι κ]αὶ Φιλίππωι λῶ[ι]όν τε κα[ὶ ἄμει]νον εἶμεμ φίλους τε καὶ [συμμάχους γίνεσθαι κατὰ τὰ ὡμο]λογημένα· θῦσαι δὲ καὶ [καλ]λιερῆσαι Διὶ Τελέοι καὶ [Ὑπάτωι, Ἀπόλλωνι Προστατηρίωι], Ἀρτεμίδι {[[ο]]ρ} Ὀρθ[ω]σίαι,

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Ἑρμ[ῆι], καὶ κατὰ τύχαν ἀγαθὰν [ἐπεύχεσθαι τὰν συμμαχίαν] ἐσσεῖσθαι καὶ Πυθ[ῶδ]ε τῶ[ι Ἀ]πόλλωνι χαριστήρια [ἀποδιδόναι καὶ μνασιδωρ]εῖν.

Il semble que les inscriptions, à de rares exceptions près, rapportent le plus souvent l’oracle sous une forme indirecte, qui retient seulement l’esprit de la consultation ; il est toutefois remarquable que même dans ces circonstances le vocabulaire de base du langage oraculaire, notamment les formules spécifiques (comme λῶ[ι]όν τε κα[ὶ ἄμει]νον) est repris, le groupe sujet introducteur ἔχρησεν ὁ θεὸς marquant que l’oracle a bien eu lieu et qu’une consultation a été donnée aux habitants de Chalcis.

L’observation des textes retenus par Parke et Wormell permet une classification qui repose sur les manières d’introduire la parole prophétique : la réponse est donnée, mais paraphrasée. Les formules impersonnelles les plus fréquentes sont représentées dans soixante- quatorze occurrences : κατὰ χρῆσμον, χρῆσμον δοῦναι, χρῆσμος, χρηστήριον, μαντεία, μάντευμα, λόγιον, θεοπροπία. Les verbes sont plus fréquents avec pour sujets tantôt le dieu, tantôt Apollon, tantôt la Pythie : soixante cas emploient χρᾶν, vingt-neuf ἀναιρεῖν, vingt- deux κελεύειν, vingt-et-un λέγειν et ses composés, six προστάττειν, cinq φᾶναι, quatre ἀποκρίνειν, trois ἐᾶν, ou θεσπίζειν, deux κρίνειν ou προφέρειν, et très rarement (une seule fois chaque fois), ὑποκρίνεσθαι, προσαγορεύειν, ἐλέγχειν, μυθεῖσθαι. Ces emplois portent sur la façon dont est considéré l’acte oraculaire ; ainsi se distinguent trois orientations possibles en fonction du verbe utilisé : l’acte de prophétiser est rendu dans 64 textes par χρᾶν, θεσπίζειν, μυθεῖσθαι ; 63 textes sont marqués par l’ordre, la prescription (προστάττειν, κελεύειν, ἐᾶν, ἀναιρεῖν, κρίνειν, ἐλέγχειν), l’oracle est aussi une parole simplement prononcée, c’est-à-dire le simple fait de dire les choses ou de donner une réponse à une question : λέγειν et ses composés, φᾶναι, ὑποκρίνεσθαι, προσαγορεύειν, προφέρειν, ἀποκρίνειν sont alors employés dans 34 textes.

Parfois c’est un texte latin, et seulement ce texte latin, qui donne la référence à un oracle prononcé à Delphes, mais dont l’original grec a disparu ; c’est le cas de d’un oracle (PW59), dont voici la présentation :

59.

ENQUIRER. Aesop. ENQUIRY. Not stated.

EVIDENCE. Auianus, Fab., epistula ad Theodosium.

Huius ergo materiae ducem nobis Aesopum noueris, qui response Delphici Apollinis monitus ridicula orsus est, ut legenda firmaret.

Il existe aussi des cas particuliers, qui ne citent pas de texte connu, mais qui retrouvent des traces de l’oracle dans un texte paraphrasé, notamment par l’intermédiaire de la versification, comme c’est le cas d’un oracle adressé aux Thébains (PW81) :

81.

ENQUIRER.The Thebans.ENQUIRY.For vengeance on the Athenians. REPLY. No verbatim text, but traces of a response in hexameters.

EVIDENCE.Hdt. 5, 79, 1 ….Θῃβαῖοι δὲ μετὰ ταῦτα (after their defeat by the Athenians in the battle of the Euripus) ἐς θεὸν ἔπεμπον, βουλόμενοι τίσασθαι Ἀθηναίους. Ἡ δὲ Πυθίη ἀπὸ σφέων μὲν αὐτῶν οὐκ ἔφη αὐτοῖσι εἶναι τίσιν, ἐς

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πολύφημον δὲ ἐξενείκαντας ἐκέλευε τῶν ἄγχιστα δέεσθαι· ἀπελθόντων ὦν τῶν θεοπρόπων, ἐξέφερον τὸ χρηστήριον ἁλίην ποιησάμενοι· (They decide to interprete οἱ ἂγχιστα not geographically of Tanagra, Coronea, and Thespiae, but by mythical genealogy of Aegina, the sister of Thebe.)

La remarque porte sur la formule ἄγχιστα δέεσθαι où l’on peut reconnaître en effet une clausule de vers si l’on rythme ainsi : ἄγ/ χιστα δέ/ εσθαι, avec deux pieds complets :

‒ / ‒ ˘ ˘ / ‒ ˘

Reste enfin le cas des oracles réduits à un seul terme, recueillis sous le titre général de

Fragments et dont il est, semble-t-il, inutile de donner l’identité du consultant et la question

posée, tant l’information que l’on en a est très restreinte : c’est le cas de 9 oracles répertoriés entre le numéro 582 et le numéro 590 et présentés tantôt avec un témoignage à l’appui :

582.

REPLY. Ἰαονίαν

EVIDENCE. Plu. Sol. 10 τῷ μέν τοι Σόλωνι καὶ Πυθικούς τινας βοηθῆσαι λέγουσι χρησμοὺς μἐν οἷς ὁ θεὸς Ἰαονίαν τὴν Σαλαμῖνα προσηγόρευσε.

tantôt sans autre indication que la réponse : 583.

REPLY. πυρικάους

Ce travail jugé très complet explique pourquoi le corpus Parke et Wormell est souvent considéré comme abouti dans la recherche et l’étude sur l’oracle de Delphes ; d’ailleurs, aucun autre corpus comparable n’a été établi, avec les mêmes ambitions et les mêmes exigences (sauf, en 1978, le catalogue de J. Fontenrose, qui cependant repose en grande partie sur le corpus anglais, sans rajouter de textes, mais en refondant les principes de l’organisation). Il s’agit cependant d’établir les limites de ce corpus en fonction des recherches actuelles : si l’étude des oracles sur le plan historique est et a été nécessaire, il semble que ce dernier n’est plus le seul à prévaloir. Authenticité, historicité, liens entre l’oracle et l’événement historique, fiction et réalité, rapports entre oracles et personnages de l’Histoire ou de la légende sont autant de questions qui font oublier les textes eux-mêmes et qui laissent de côté leur lien avec la langue, le style et la poétique (au sens de démarche productive des textes). Sans doute une nouvelle typologie, plus proche des préoccupations textuelles, s’imposera228. Ces remarques nous invitent à reconsidérer ce que l’on appelle

l’authenticité des oracles.

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