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Temps long et « tourisme » pénitentiaire

3/ « Leurs » prisons ? Le transfert en ligne de mire

3.2 Temps long et « tourisme » pénitentiaire

L’allongement considérable des durées d’enfermement179 dans les prisons françaises, et tout particulièrement dans les maisons centrales, produit des conditions de vie difficilement supportables, sources de désespoir et de résistances ultimes. Une pluralité de facteurs complémentaires explique sans doute cet allongement des peines et des durées effectives de détention depuis une vingtaine d’années. D’abord un effet pervers de l’abolition de la peine de mort et la multiplication des périodes de sûreté, venant pallier la disparition de la transportation180 ou des enfermements de neutralisation en hôpitaux psychiatriques181. Ensuite la nouvelle surcharge symbolique du système pénal – dont la nouvelle place centrale de la victime est un symptôme parmi d’autres182 – et le retour progressif à une « justice expressive183 », dans laquelle les peines deviennent, plus que jamais, des peines « exemplaires », destinées au coupable bien sûr mais également au « public184 » ; enfin, de nouvelles formes de crispations punitives dans le cadre d’une montée grandissante de

179

Voir Tournier, 1996. 180 Faugeron, 1995, 135-136. 181 Jean, 1995.

182 La place grandissante des victimes tout au long du processus pénal est un sympôme d’une mutation sociale majeure que J. M. Chaumont (2000, 180), à partir d’une analyse historique de l’évolution du statut des victimes de la Shoah puis d’un élargissement de la réflexion au champ des crimes privés, met en question : « Comment est-on passé en quelques décennies, du point de vue des

sensibilités morales collectives, d’une conception méritocratique (il est juste d’être rétribué pour ce que

l’on fait) à une conception « victimaire » (il est juste d’être récompensé pour ce que l’on subit) de la justice ? ».

183 Garland, 2002. 184 Pires, 2001.

l’insécurité sociale et existentielle185, au sein desquelles le renforcement punitif vise tout particulièrement certains délits, tels les infractions sexuelles et le trafic de stupéfiants186. Parmi ces « longues peines », certains sont considérés comme plus dangereux que d’autres. Le critère de « dangerosité » et le calcul des « risques » qui lui sont associés – qui déterminent dans de nombreux pays le type d’établissement vers lequel le détenu sera acheminé – résulte d’abord de la réputation du détenu lorsqu’il rentre dans la machine carcérale, mais elle résulte également, bien souvent, de problèmes directement liés à l’ordre carcéral lui-même, tel le « risque d’évasion », et leurs tentatives concrètes. Julien et Stéphane sont les deux uniques personnes rencontrées dans le cadre de notre enquête qui ont concrètement tenté de s’évader. Julien a réussi provisoirement son évasion, avant d’être rattrapé au bout d’un mois de cavale. Stéphane, lui, a échoué. Nous examinerons plus loin les contextes au cœur desquels se forgent les désirs d’évasion, comme refus d’adaptation radical à l’institution. Décryptons plutôt ici les conséquences de ces tentatives : des transferts incessants savamment calculés par l’administration pénitentiaire, visant à briser toute tentative de reconstruction de liens et d’ébauche de plan pouvant aboutir à une nouvelle tentative, entraînant un ensemble de solitude, de souffrances et de privations spécifiques.

Julien : Longue peine, évasion et… longue peine.

Julien a 36 ans ; il est Français de parents français, célibataire. Il a une sœur et deux enfants – enfants qu’il n’a jamais vus. C’est en réalisant des entretiens au quartier femmes que je rencontrai F., incarcérée pour « complicité d’évasion » qui m’expliqua que son ami était « à côté » [au quartier hommes] et que son histoire m’intéresserait sûrement. Je notai son nom et le rajoutai sur ma liste. J’allais vite comprendre que Julien n’était pas un détenu comme les autres : il arrive menotté, entouré de surveillants. Sa présence et l’ultra surveillance dont il est objet font incontestablement monter la tension dans le rond-point, grande salle centrale de la prison, où je réalise mes entretiens, dans l’un des petits boxs individuels qui m’a été affecté. Nous serons régulièrement dérangés pendant l’entretien, et celui-ci fut écourté ; au bout deux heures et demi de mobilisation, l’ultime intrusion d’un surveillant dans notre box mit fin à la discussion d’un commun accord. Julien a poursuivi ses études jusqu’en terminale. Sa trajectoire carcérale est dense. En 1979, il entre pour la première fois en prison alors qu’il est encore mineur pour vol, condamné à 2 mois de prison ferme. En 1982, il est condamné à 2 ans de prison ferme pour vol à nouveau. En 1985 braquage, condamné à 6 ans de prison ferme. En

185 Castel, 1995 ; Crawford, 2001 ; Beck, 1995/2001 [1986] ; Pires, 2001.

1989, il est condamné à 10 ans de prison ferme pour braquage. Il sort, puis au bout de quelques mois, il est à nouveau incarcéré, en 1995, pour vol avec armes à nouveau. Il s’évade alors qu’il est en détention préventive, lors d’un passage au tribunal, avec l’aide de son amie, d’abord visiteuse de parloir puis amante – elle est depuis incarcérée pour complicité d’évasion et quelques délits liés à la cavale. Il est condamné en 1998 à 20 ans de prison ferme, et doit encore être jugé pour trois autres affaires. En mars 1999, il apprend que sa demande de pourvoi en cassation a été rejetée.

Les pratiques de transferts incessants empêchent toute construction de projet, si minime soit- il, et, avant tout, toute construction de relation sociale durable avec d’autres détenus.

On peut pas avoir de relations durables, d’amitié, tout ça. Pourquoi ? Parce que moi, ma situation, du jour au lendemain, je peux partir. C’est comme là, avant de venir, j’étais dans une cellule, ils m’ont changé de cellule sans me prévenir… Pour eux, c’est une question de sécurité. Il y a pas longtemps que je suis arrivé ici, ça fait un mois et demi, avant j’étais à R., avant j’étais à P., ils me font tourner comme ça, c’est une question de sécurité. C’est pour ça que je peux pas avoir de relations, lier d’amitié avec quelqu’un en prison. En CD ou en centrale. Moi, ça me dérangerait pas, au contraire, d’avoir quelqu’un avec qui discuter, c’est sûr. Mais ici, c’est pas évident.

(Julien, 36 ans, MA, 5ème détention, vol avec armes, condamné (20 ans), en

détention depuis 20 mois).

Le fait de « tourner » en maison d’arrêt est aussi l’occasion de constater l’hétérogénéité des traditions locales de contrôle de la population pénale. Rattrapé après sa courte cavale, Julien est réintégré dans la prison de laquelle il s’est échappé. Son nouveau statut, celui de « bête noire », le constitue en objet d’une ultra-surveillance qu’il ne connaissait pas jusqu’à présent. La volonté d’absence de construction de relations durables trouve son apogée dans deux dispositifs qui assurent la solitude du Julien : l’isolement187 et le mitard.

Je me suis déjà évadé de R. Alors à partir du moment où je suis arrivé là-bas, à R. j’étais la bête noire quoi. Surveillé 24 heures sur 24. Ce qui fait, je sais pas, il y en a ils me charriaient… Il y en a d’autres, ça allait. Mais il y en a d’autres, ça plaisait pas, donc je m’accrochais souvent avec les surveillants, ce qui fait que je me retrouvais souvent au mitard. Le mitard, c’est pour un mois ou 45 jours, après c’est l’isolement total, et au début… Je suis obligé d’encaisser, c’est pas évident, à force ça agit sur le mental, c’est forcé. Mentalement c’est pas bon.

(Julien, 36 ans, MA, 5ème détention, vol avec armes, condamné (20 ans), en

détention depuis 20 mois).

187 Signalons que le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a défini certaines peines d’isolement, notamment les plus longues, comme des « traitements inhumains et dégradants ». L’Observatoire International des Prisons définit l’absence de réglementation réelle des durées d’isolement comme « l’un des scandales majeurs du droit pénitentiaire » (2000, 314). Pour une description du régime d’isolement, voir OIP, 2000, 310-318.

Croisons ces premières données avec le récit de Stéphane. Militant corse, il est, avec Sylvain dont nous avons décrit la proximité avec le groupe anarchiste Action Directe, le second détenu autoproclamé « politique » de notre corpus. Comme Julien, il n’est pas en prison pour crime de sang. C’est la première fois qu’il est en prison… depuis onze ans.

Stéphane : du militantisme au terrorisme

C’est Stéphane qui est venu à ma rencontre et non l’inverse. Alors que je passais mes mardis et jeudis après-midi au rond-point de la maison d’arrêt, j’avais déjà remarqué ce détenu qui dénotait franchement du reste de la population pénale. Au lieu d’un survêtement de sport ou d’habits pauvres, il avait opté pour une tenue plutôt classique, qu’il s’attachait à maintenir en bon état. Ses lunettes et son petit foulard autour du cou lui donnaient un petit air d’intellectuel, image renforcée par les chemises en carton remplies de papiers divers, documents et cours, qu’il trimbalait constamment sous le bras lorsqu’il se rendait au rond-point. La raison était simple : il venait rencontrer une adhérente du GENEPI, association d’étudiants qui organise bénévolement des cours individuels ou collectifs en prison ; celle-ci l’aidait à préparer un DEUG de psychologie. Nous nous croisâmes deux ou trois fois, puis Stéphane, curieux et constamment motivé par toute création de relation avec quelqu’un de l’extérieur, me demanda ce que je faisais à longueur d’après-midi dans le rond-point. Nous étions d’ailleurs renforcés dans l’idée que « l’autre » y passait beaucoup de temps pour la simple raison que nous nous y rendions aux mêmes horaires, renforçant l’idée que l’autre était « tout le temps là ». Je lui expliquai que je réalisai une étude de sociologie sur la prison. Emballé, il me convainc rapidement que son histoire pouvait m’intéresser, ce dont je ne doutais pas. Les prisons, je connais bien, ça fait 11 ans que je suis dedans, et j’en suis à ma vingt-troisième. Alors que je ne pensais pas intégrer à mon étude des longues peines, en voulant rester concentré sur l’analyse de la maison d’arrêt, je découvrai que, précisément, l’on pouvait rencontrer des « longues peines » en maison d’arrêt. Les parents de Stéphane sont des « notables» corses décrits comme conservateurs. Il a un frère et une sœur, aucun enfant. Avant d’entrer en prison, il était célibataire, a passé et obtenu un baccalauréat. Ça a pris un petit peu un aspect illégal, c’est à partir du moment où on a commencé à distribuer des tracts qui étaient illégaux puisqu’ils stigmatisaient les institutions judiciaires en Corse, institutions judiciaires, institutions préfectorales, institutions scolaires, quasiment tout quoi. Tout ce qui pouvait représenter l’Etat. Donc ces tracts-là, on les distribuait, on avait une façon particulière, c’est-à-dire que bon, on mettait des treillis, on s’armait, on mettait des cagoules, et puis on surgissait comme ça sur des places, souvent l’été d’ailleurs, et donc bourrées de monde, et puis on jetait des tracts, et on se tirait. Donc voilà, il y avait l’aspect… On s’armait… Il commence à faire des attentats sur le « continent », visant des bâtiments publics, puis des braquages pour financer des attentats. il fallait une autonomie au niveau de l’argent, et on s’est mis à faire des hold-up… En Corse, les butins étaient relativement

dérisoires par rapport aux frais engagés, on prenait en moyenne 100 000 francs en Corse, quand on arrivait à les prendre, or il nous fallait toujours beaucoup plus pour payer un peu tout. Moi j’avais des bases sur le continent, puisque j’ai de la famille à Marseille, à Toulon, à Nice, etc., donc on a commencé à attaquer les banques sur le continent. Les butins ont été beaucoup plus importants, ils tournaient toujours autour de 800 000 francs ou plus, la moyenne, c’était ça. A l’âge de 21 ans, il est incarcéré et reclus sous le régime de la détention préventive, soupçonné d’« infraction à la législation des armes et explosifs, entreprise terroriste, destruction de biens immobiliers de l'Etat, atteinte à la sûreté de l'Etat, vols à main armée ». Il est ensuite condamné à des peines de 3, 4, et 10 ans de prison. En 1992, il est condamné à une peine supplémentaire de 8 ans de prison, pour « tentative d'évasion, corruption de fonctionnaire ». Je réalisai l’entretien avec Stéphane en avril 1999, alors qu’il était en lutte contre l’administration pénitentiaire. Il avait en effet réussi à négocier des privilèges qui lui permettaient de préparer, dans des conditions acceptables, un DEUG de psychologie. Le changement de direction l’obligeait à recommencer l’ensemble de ces négociations (essentiellement un accès facilité à une salle informatique), négociations qui ne prenaient pas pour l’instant la tournure qu’il désirait188.

Stéphane tourne et tourne encore. Parfois, un rapprochement familial améliore ses conditions de détention. D’autres fois au contraire, l’éloignement détériore son sort, parfois « cauchemardesque » :

J’en suis à ma 23ème prison. Je bouge sans arrêt. A un moment donné, je suis

transféré au centre de détention de V., fin 92, où on me re-transfère encore au mois de janvier, et où on me ramène ensuite à V. au mois d’avril, pour me re-transférer au mois d’août, et au mois d’août on m’envoie à T. ; j’y reste deux mois, et je me retrouve dans un centre de détention cauchemardesque aussi pour moi, qui est N. ; là, on me bloque là-bas longtemps pendant longtemps, d’octobre 93 à janvier 95. Pour moi, c’était un cauchemar, parce que c’est loin de chez moi, d’abord.

(Stéphane, 32 ans, MA, 1e détention, entreprise terroriste, vols à main armée,

tentative d'évasion + divers, en détention depuis 11 ans).

A chaque nouvelle arrivée, Stéphane tente d’améliorer sa condition en négociant avec la direction des petits arrangements qui lui permettront de réaliser dans des conditions acceptables ses études. L’attitude du directeur de la maison d’arrêt est alors primordiale.

A L., je tombe quand même sur un directeur, monsieur H., qui était quelqu’un qui a le même profil que R. Il y en a trois en fait, il y a monsieur H., monsieur G., et monsieur D.. C’est vraiment le haut du panier, après t’as tout le reste. Donc j’arrive là-bas, et lui, il m’aménage plus ou moins une vie… il était bloqué par le ministère parce qu’en plus, j’avais une instruction qui était en cours, donc il pouvait rien

faire en fait. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était me faciliter un peu la vie à l’intérieur de l’établissement, c’était tout. C’est ce qu’il a fait, il a fait énormément de… Alors là-bas, j’ai repris un DEUG, en histoire de l’art. A côté de ça, j’ai fait tout un tas de trucs, j’ai fait de la vidéo, de la photo, etc.

(Stéphane, 32 ans, MA, 1e détention, entreprise terroriste, vols à main armée,

tentative d'évasion + divers, en détention de puis 11 ans).

Si généralement, comme nous l’avons décrit en analysant les trajectoires d’engrenage, la détention est l’expérience de l’incertitude institutionnalisée, nous appellerions volontiers l’expérience du touriste pénitentiaire comme celle de l’impossibilité institutionnalisée. Cette impossibilité institutionnalisée touche l’ensemble de la vie quotidienne. Les échanges de courrier, par exemple, sont largement perturbés par les transferts imprévus :

Vu ma situation, je reçois du courrier, tant mieux, j’en reçois pas, tant pis quoi. Il y a longtemps que ça m’inquiète plus quoi. Je ressens plus… C’est plus comme avant, c’est plus comme avant, avec ce qu’on vient de me faire… Maintenant je sais qu’il y a que sur moi-même que je peux m’en sortir… C’est pas un problème, le courrier, je m’en fous, ce qui me préoccupe le plus, c’est ma liberté quoi. Parce que… C’est ça quoi, c’est ma liberté, parce que… C’est ça, ce qui m’importe le plus, c’est de la retrouver un jour, et maintenant, je vais me battre pour ça, voilà. Mais sinon, il y a plus rien… En vrai, c’est ça, ils peuvent… Ils peuvent me mettre au mitard, ils peuvent me mettre à l’isolement, ça fait rien, je m’en fous, j’en rigole, je préfère en rire, j’en suis arrivé à ce point-là quoi. Parce que pour moi, il y a rien de plus important que ma liberté quoi.

(Julien, 36 ans, MA, 5ème détention, vol avec armes, condamné (20 ans), en

détention depuis 20 mois).

L’impossibilité institutionnalisée nécessite ensuite un recentrage du sujet sur lui-même, processus dont nous systématiserons l’analyse plus loin189, et oblige l’acteur à accepter l’ascétisme de sa condition ainsi qu’à créer des nouveaux territoires retranchés de liberté. La solitude imposée et la répression systématique des protestations impliquent également la nécessité d’un renoncement à la révolte. « Ne plus se poser de question » devient, un élément vital de cet apprentissage de l’ascétisme.

La sexualité, on va pas en parler, ça c’est mortel. C’est mortel. Je crois que le mieux, c’est de même pas en parler. C’est mortel (silence). C’est ça, c’est comme ça, et on fait aller, on fait avec, on est obligé de faire avec, et moi, personnellement, honnêtement, j’y pense même plus quoi. Bon, quand j’y pense, je pense aux femmes que j’ai eues, mais c’est tellement loin que… Et puis maintenant, avec la peine, pour moi, c’est supprimé comme on m’a supprimé tout le reste. Voilà, ça fait partie de ça [plaidoyer pour les parloirs intimes]. Tu te dis « mais comment tu peux accepter ça ? ». Même moi, je me dis « c’est incroyable… », Pourquoi ? Parce qu’on te laisse pas le choix, parce que tu peux pas faire autrement. Parce que sinon, si tu commences à dire « oui, c’est pas normal », tu peux plus t’en sortir. Si tu arrives pas à faire le vide dans ta tête, si t’arrives pas à te concentrer sur ce que tu fais à l’intérieur, la lecture… Si tu

commences à te dire « mais c’est pas normal, pourquoi j’ai pas le droit de faire ça, de faire ça, de faire ça ? », ça y est, tu peux plus t’en sortir.

(Julien, 36 ans, MA, 5ème détention, vol avec armes, condamné (20 ans), en

détention depuis 20 mois).

Le renoncement et l’ascétisme sont des tentatives de construire des alternatives à la révolte mais aussi à la dépression, maladie courante chez « les longues peines », guette.

Tout ce que je vois de féminin aujourd’hui, j’ai du mal à l’envisager intellectuellement (il rit jaune), je l’envisage charnellement, toujours. Que ça soit une vieille morue ou un super canon, je pense qu’à une chose, tu vois, c’est la tringler. (…) J’ai une carence affective et il y a déjà la répression quotidienne de la part du personnel, les humiliations, etc. Tout ça, ça entretient, ça te fait descendre, tu finis par te demander où est ta dignité. La condition humaine, tu te demandes si elle existe encore. Alors tu fais des analogies, des comparaisons, t’essaies de relativiser… Et en même temps, ça me console jamais de savoir qu’il y a des gens encore plus malheureux que moi. Ça me rend encore plus triste.

(Stéphane, 32 ans, MA, 1e détention, entreprise terroriste, vols à main armée,

tentative d'évasion + divers, en détention de puis 11 ans).

Conclusion

L’une des sorties des trajectoires de professionnalisation est, comme dans d’autres activités légitimes, la reconversion vers des métiers annexes. « Certains métiers se trouvent dans des systèmes qui offrent de nombreuses ouvertures sur d’autres systèmes connexes et sur le public : lorsque quelqu’un arrive au terme d’une étape de sa carrière, il peut être transféré vers une position dans l’un de ces systèmes connexes190 ». Tel le pilote qui devient patron d’écurie ou l’employé qui monte son affaire, quelques détenus affirment vouloir travailler dans une association « d’aide à la réinsertion », travailler pour l’Observatoire international des prisons ou encore, comme c’est le cas pour Julien, se reconvertir dans l’écriture. Le projet est d’accéder à un travail qui mobilise l’expérience acquise au cours de cette trajectoire carcérale. Pour cela, Hughes rappelle bien qu’une étape spécifique de la carrière doit être franchie, sinon la reconversion ne peut se dérouler dans de bonnes conditions.

On m’a tellement dit « toi, J., tu pourrais écrire sur ce qui t’es arrivé, sur ce que tu