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Échecs des dispositifs institutionnels

3.1 « Commencer sa vie » ou des rêves de normalité

3.2 Obstacles et impasses

3.2.1 Échecs des dispositifs institutionnels

Le fait de bénéficier des dispositifs « d’aide à la réinsertion » – aménagements de peine sous forme de placement à l’extérieur, libération conditionnelle, semi-liberté, etc.–, de participer à la « journée préparation à la sortie » organisée en maison d’arrêt par le SPIP108 et des associations extérieures, ou encore en une mise en place d’un « projet de sortie », telle une postcure, ne signifie pas forcément que l’acteur s’investisse dans une tentative de sortie de trajectoire carcérale : il veut avant tout sortir de détention. Le détenu peut instrumentaliser les différents dispositifs dans le but de sortir d’un lieu qu’il juge lugubre, ce qui n’implique ni la construction d’un nouveau projet de vie ni le fait d’être persuadé qu’il n’y aura plus de retour en prison. « Sortir », telle est la motivation principale qui guide les demandes pour partir en chantier extérieur. Les entretiens réalisés dans le cadre d’un chantier extérieur confirment cette motivation. Cependant, la participation à certains dispositifs, contraignante elle aussi, peut parfois s’avérer « pire » que la prison, notamment si la longueur de la contrainte dépasse le temps de détention. Une connaissance habile du système de grâces peut faire basculer le choix :

Je suis resté 6 mois ici [en maison d’arrêt], et après je suis parti faire un stage, c'est un peu comme l'armée, c'est pour se réinsérer. Et je suis parti au stage JET, mais malheureusement, c'était à Grenoble. Je suis arrivé, ils ont dit « depuis que le Lillois il est arrivé, c'est le bordel », et ils me parlaient comme à un chien. Et ça fait que ça m'a pas plu, les grâces présidentielles, elles arrivaient, ça fait que je suis retourné en prison, j'ai dit « je retourne en prison ».

(Lionel, 22 ans, MA, 3 détentions, ILS, condamné, en détention depuis 14 mois).

D’une manière générale, le détournement « officiel » des dispositifs d’aide pour sortir peut s’intégrer à une analyse plus générale des adaptations secondaires à des dispositifs contraignants. Cette instrumentalisation peut se retrouver à d’autres niveaux. Si Pauline a accepté de mettre en place un traitement de substitution à l’héroïne, ce n’est pas dans une optique de sevrage, mais avant tout parce que le produit délivré s’avère être moins cher qu’une drogue illégale :

Je donnais 100 francs au docteur, il faisait l'ordonnance de méthadone, je payais 80 francs la méthadone, ça vaut le coup, hein.

(Pauline, 21 ans, MA, 2ème détention, vol avec violence, séquestration, escroquerie,

détention préventive, en détention depuis 7 mois).

Les condamnés ayant à subir une peine privative de liberté peuvent bénéficier d’une libération conditionnelle s’ils « présentent des gages sérieux de réadaptation sociale ». Si la peine n’a pas été assortie d’une période de sûreté, la libération conditionnelle peut être accordée quand la durée de la peine accomplie par le condamné est au moins égale à la durée de la peine lui restant à subir. Les quelques détenus ayant bénéficié de libérations conditionnelles en soulignent largement les effets pervers. Elles s’inscrivent globalement dans un contexte de contrôle accru, néfaste pour celui qui continue ses activités délinquantes, mais, sans même prendre en compte cette récidive programmée éventuelle, la longueur de la contrainte est à nouveau mise en avant pour motiver la non-demande. « Je fais toute ma peine, et après ils me laissent tranquille ».

Les articles 723, D.128, D.136 et D 49-1 du Code de Procédure Pénale (CPP) stipulent que le placement à l’extérieur permet au condamné remplissant certaines conditions d’être employé en dehors d’un établissement pénitentiaire à des travaux contrôlés par l’administration avec ou sans surveillance du personnel pénitentiaire. Ces travaux peuvent être exécutés pour le compte d’une administration, d’une collectivité publique, d’une personne physique ou morale. Le JAP ne peut placer à l’extérieur avec surveillance que les condamnés dont la durée de la peine n’excède pas 5 ans et n’ayant pas fait l’objet d’une condamnation antérieure à plus de 6 mois, à moins que le condamné soit proposable à la libération conditionnelle et à la semi- liberté. Pour les placements à l’extérieur, ne peuvent y être admis que les condamnés dont la peine restant à subir n’excède pas un an ou ceux pouvant être proposés à la libération conditionnelle et dont la peine restant à subir n’excède pas 3 ans.

L’enquête quantitative réalisée par A. Kensey et P. Tournier109 sur ces trois mesures les amènent à définir la situation paradoxale de ces trois aménagements : alors qu’ils diminuent objectivement les risques de récidive et pourraient constituer un puissant outil de lutte contre l’inflation et la surpopulation carcérale, elles apparaissent, de plus en plus comme des mesures d’exception, de moins en moins usitées. Au-delà de ces premiers constats, l’application concrète de ces mesures posent elle aussi problème. Mêlant des données

quantitatives et qualitatives, P. Castel110 a en effet montré comment, à partir d’un même socle légal, ces mesures connaissent des déclinaisons locales très diverses. Ainsi, les niveaux de mise en œuvre sont différents selon chacune les différents maisons d’arrêt étudiées : dans la première, cette décision est caractérisée par une coopération tripartite entre le chef d’établissement, le JAP et une association ; dans la seconde, le placement à l’extérieur est essentiellement une mesure au service de la détention ; dans la troisième, on peut la considérer comme une mesure marginale. P. Castel met en évidence les causes de cette diversité : le cadre légal non contraignant, l’absence de politique incitative, le « coût » considéré élevé du placement à l’extérieur, qui, dernier élément, nécessite des « entrepreneurs » locaux. Nos propres entretiens soulignent, en écho à cette analyse, que les détenus qui bénéficient d’une telle mesure n’arrivent pas évaluer le processus décisionnel qui a abouti à leur sélection. Bien qu’ils aient réalisé un dossier, chacun d’entre eux était persuadé d’avoir « un casier trop rempli » pour être retenu, et considérait en ce sens que les critères de sélection relevaient de la loterie.

Les échecs des postcures sont quant à eux plus mal vécus parce que ceux qui en ont bénéficié avaient le sentiment que ce type d’aide pouvait réellement leur permettre de changer de vie, notamment parce qu’elle leur permettait de s’arracher à un territoire de vie qui n’offre pas d’autres perspectives que celles de la délinquance et de sa répression. Ces dispositifs sont conçus comme des plans de désinsertion par rapport au quartier, trop englobant par l’absence d’autres perspectives que celles de la galère, la misère et la délinquance qu’il offre.

Je suis sorti, je suis parti en post-cure dans le sud, ce qui m'a fait du bien. Même là- bas, je cherchais un travail pour éviter de revenir dans le nord, parce que tous les gens que je connais, ils sont dans la drogue, sans exception. (…) Quand je suis parti là-bas, ça faisait une grosse bouffée d'air, c'est le grand air… Quand je suis revenu, franchement, j’ai craqué ; tout de suite. Mais direct, dans ma tête je me suis dit « ah non, si je commence à reprendre l'habitude, d'ici un mois et demi deux mois, ça y est, je suis en prison, c'est pas la peine ». C'est pour ça, j'avais été voir un médecin, j’ai pris un traitement au Subutex. J'en avais marre, et je me suis dit « je vais toucher le RMI ». Mais entre-temps de sortir de prison, et tout ça, et de faire le dossier de RMI, il se passe deux mois. Pendant deux mois, comment je fais pour vivre ? Moi je peux plus aller chez ma mère, ça fait que je suis SDF, pas de ressources, pendant deux mois, rien, pas un franc dans les poches. Donc il faut bien que je vive, et obligatoirement j'ai volé. J'ai pas le choix, faire la manche je peux pas, je pourrais jamais, c'est impossible, j'y arriverai pas.

(François, 26 ans, maison d’arrêt, 8ème détention, tentative de vol avec effraction,

condamné, en détention depuis 3 mois).