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Partie I... De l’exogène à l’endogène, quel regard sur le risque et sa prise

Chapitre 1 Les risques en montagne, l’imbrication des univers techniques,

2) A la synthèse des dimensions du problème : l’exemple du PPR

Cette frontière en matière de zonage de risque et de plan de prévention de risques ne peut-être véritablement délimitée, dans la mesure où le plan a pour vocation d’encadrer l’aménagement futur du territoire. Il comporte donc dans sa finalité une dimension politique forte, directement liée à l’usage des sols et aux perspectives de développement du territoire en question. Ces enjeux contingents pèsent sur l’élaboration des cartes et des règlements. Citons notamment les réunions de concertation entre les services d’Etat et les élus communaux lors de l’établissement de ces PPR. Celles-ci visent à définir conjointement les zonages de risques finaux à partir des préoccupations de chacun. La négociation entre deux visions et des intérêts parfois divergents caractérise un processus de définition collectif du risque. A travers l’instrument PPR, le technique et le politique s’entrecroisent de manière à aboutir à une définition négociée du risque, notamment en termes de seuil. Cet entrecroisement est d’ailleurs tout à fait explicité dans les plaquettes ministérielles destinées aux communes qui se voient prescrire un PPR. Ainsi, nous pouvons faire référence à la plaquette de présentation du PPR, élaborée

par le Ministère (à l’époque) de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement 203 :

« Le PPR a des conséquences sur le cadre de vie des habitants et peut imposer des mesures aux collectivités locales dans le domaine de l’urbanisme ou de la sauvegarde et la protection de la population. L’élaboration et la mise en œuvre d’un PPR demande donc à toutes les étapes une démarche concertée visant à :

-élaborer une connaissance partagée du risque entre l’Etat et les élus communaux, ainsi qu’avec les acteurs locaux socio-économiques, associatifs, en phase d’identification des phénomènes et des aléas

-définir ensemble les orientations à prendre en phase d’évaluation des enjeux

-élaborer de concert les solutions du PPR en phase de mise au point du règlement et du plan de zonage » (2001, p. 5)

Nous pouvons également citer T. Hubert204, qui présentant le PPR205, prend soin de

distinguer explicitement les notions d’aléa et de risque, marquant de fait une séparation

entre le technique et le politique : « […] Le service instructeur doit s'attacher à faire

201

Latour B. 1991. Nous n'avons jamais été modernes. Essai d'anthropologie symétrique. Paris: La Découverte. 206 pp. (Op.cit.).

202 Callon M. 1986. Eléments pour une sociologie de la traduction. La domestication des coquilles Saint Jacques dans la baie de Saint Brieux. L'Année Sociologique 36:169-208.

203 Ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement. 2001. PPR, une action concertée entre l'Etat et les Collectivités Locales. p. 16.

204 Chef du bureau de la cartographie des risques et de l'aménagement, de la Direction de la prévention des pollutions et des risques, au Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable (2003).

205

Hubert T. 2003. Les Plans de Prévention des Risques naturels PPR. Paris: Ministère de l'Ecologie et du Développement Durable. 8 pp.

comprendre à ses partenaires le caractère technique de ces documents qui décrivent et expliquent l'aléa à l'exclusion de tout aspect réglementaire. Ainsi, les discussions sur ces documents ne peuvent conduire à négocier l’aléa. » (2003, p. 4). Puis, au fil du texte et s’approchant de la question du risque et non plus celle d’aléa, le propos laisse entrevoir que les choses ne sont pas si tranchées et qu’il existe une certaine intrication entre les pôles techniques et politiques. Par exemple, lorsqu’il s’agit d’aborder les mesures de

prévention : « le consensus sur les mesures à prendre est régulièrement recherché ». T.

Hubert précise ainsi : « Faire largement partager la connaissance des aléas vise à faire

évoluer la position des acteurs de l'aménagement en mettant en lumière leurs responsabilités respectives, et à faciliter la suite du processus, qui consiste à définir le zonage réglementaire et les prescriptions applicables. »

Ainsi, si les experts sont invités "à prendre leurs responsabilités" dans l’estimation et la caractérisation des aléas, les élus sont eux aussi priés de prendre conscience de leurs rôles dans les arbitrages qu’ils vont être amenés à faire. L’instrument sous sa dimension politique et territorial prend alors forme, lorsque les élus locaux sont par la suite conviés

à participer à la définition du risque lui-même et ce par rapport à leurs objectifs : « Dans

le débat qui s'engage, l'Etat, responsable de l'élaboration des PPR, doit afficher fermement les objectifs poursuivis et les moyens qu'il va mettre en œuvre. Sa fermeté ne fait pas obstacle à des échanges de points de vue approfondis avec les élus, pour adapter à chaque contexte particulier, sans les dénaturer, les contraintes qui s’imposent pour atteindre les objectifs poursuivis. Ce débat, permis par la déconcentration de la procédure, conduit à un risque "discuté" localement, dans la limite des principes exposés ci-après206 ». Le principe de "non constructibilité" en zone d’aléa fort, comme celui de ne pas pouvoir "négocier l’aléa" sont donc présentés comme des principes non discutables pour l’Etat, maître d’ouvrage pour la procédure PPR. Pour le reste, la négociation, la concertation est ouverte, dans un instrument de prévention des risques, élaboré dans la concertation et totalement inscrit dans une préoccupation qui le dépasse, ou dépasse sa seule réalité technique.

En fin de présentation le PPR apparaît alors comme l’instrument de l’intrication du

technique et du politique par excellence : « Toutefois, les objectifs de la prévention

reposant alors sur des considérations économiques, il est possible, sans s'éloigner de ce principe, de discuter des limites d'interdictions et de prescriptions avec les acteurs locaux, élus, responsables économiques ou associatifs. » Ainsi, s’il demeure dans la doctrine, un véritable souci de bien distinguer les genres et de maintenir les frontières visibles, ces dernières s’estompent dans la procédure, lors de la phase de définition collective du risque. L’instrument, au sens technique du terme, est alors utile pour affiner, schématiser, ou formaliser une partie du problème et justifie à ce titre amplement que l’on ait recours à lui. Néanmoins, la technique ne peut à elle seule répondre à un problème dont la solution, si elle existe, dépend également et surtout de choix et d’arbitrages extra-techniques.

206 Concernant ces principes il est précisé : « La base de la réglementation des projets dans le périmètre d'un PPR est l'arrêt du développement dans les zones d'aléa le plus fort, et donc l'interdiction d'y aménager des terrains et d'y construire. Ce principe sera appliqué strictement lorsque la sécurité des personnes est en jeu.» (p. 4).

Dans le cas du PPR, la clé du problème tient au fait de concevoir cet instrument comme une réponse à un problème qui lui échappe pour une bonne part. Le PPR est en cela confronté dans sa mise en œuvre dans le territoire à une complexité et des enjeux qui dépassent ceux de la sécurité, sur lesquels tout le monde classiquement s’accorde. On comprend pourquoi l’approche par les instruments et leurs effets semblent une entrée favorable pour étudier la prise en compte des risques dans les territoires touristiques de montagne où l’instrumentation est abondante et constitue la clé de voute de l’action préventive. Cette instrumentation est essentiellement composée par des IAP d’origine étatique, législative et réglementaire. Il s’agit d’une instrumentation nationale conçue de manière à être mise en œuvre quel que soit le territoire et ses caractéristiques organisationnelles, politiques, économiques ou culturelles.

Pourtant ces caractéristiques ne sont pas seulement contingentes à la mise en œuvre des instruments et pèsent considérablement sur les conditions de mise en œuvre. Elles sont centrales, non pas parce que le système d’acteurs peut être différent d’un territoire à l’autre, ou parce que les caractéristiques géologiques peuvent changer et donc engendrer des phénomènes naturels différents d’un territoire à l’autre. Elles sont centrales parce que le territoire est porteur d’organisation, politique, économique, sociale, culturelle et qu’il possède à ce titre, une capacité d’appropriation particulière des contraintes et opportunités externes qui s’imposent à lui. Cette capacité prend la forme d’une

« (re)formulation locale du problème "risque" » (Boudières, 2008207) qui ne peut-être

saisie a priori et sans se pencher sur les pratiques de gestion.

Après avoir évoqué la relation étroite entre le versant politique et le versant technique du risque dit "naturel" en montagne, nous devons maintenant évoquer le poids de la dimension culturelle sur la question des risques liés aux pratiques sportives en montagne. Dans ces territoires touristiques de montagne qui nous préoccupent plus particulièrement, les pratiques sportives qui s’y développent tiennent une place centrale dans l’économie et les aménagements touristiques. Ses activités comportent des risques et s’est donc développer dans ces mêmes territoires une offre de gestion des risques spécifique. En effet, sans souscrire pleinement au clivage classiquement énoncé entre un risque sportif accepté et un risque dit "naturel" subi, il faut pour le moins reconnaître que le risque, ou plus exactement la prise de risque dans les pratiques sportives semble inscrite dans leur fondement.

En évoquant cette particularité, nous touchons du doigt plus fondamentalement la dimension culturelle de ces pratiques. Une dimension culturelle forte sui permet de comprendre la problématique de la gestion des risques dans les activités sportives de montagne. En effet, et nous pourrions résumer la chose ainsi, la question posée par le problème "risque" dans les pratiques sportives de montagne est celle relative à la prise en charge collective du risque individuel qu’elles engendrent. La réponse à cette question est notamment à chercher au niveau de cette dimension culturelle forte qui entoure ces activités "touristico-sportives".

207Boudières V. 2008. Risque d’avalanches et territoires touristiques : l’instrumentation aux prises avec la territorialisation de l’action publique. In Les professionnels de l’action publique face à leurs instruments, ed. H Buisson-Fenet, G Le Naour, pp. 159-68. Toulouse: OCTARES.

II le risque dans les pratiques sportives de montagne, le poids de la dimension culturelle

Nous avons évoqué la dimension technique et la dimension politique du risque, pour montrer à quel point ces deux éléments constitutifs du risque et de sa prise en compte étaient imbriqués malgré les multiples tentatives de segmentation. Pour ce qui nous concerne plus particulièrement et en matière de risque d’avalanches dans les territoires touristiques celui-ci concerne l’urbanisation mais aussi les espaces de pratiques sportives. Le risque est inscrit en force dans ces pratiques ou l’exposition au risque et donc en retour sa prise en charge fait partie de la culture et des modalités pratiques de ces pratiques.

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