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Partie I... De l’exogène à l’endogène, quel regard sur le risque et sa prise

Chapitre 3 (Re) formulation locale du problème "risque" et régimes

3) De la question de l’efficacité des modes de gestion, à la question du sens

du sens de l’action : le gouvernement des risques

Plus que la question de l’efficacité des modes de gestion, qui nous semble pour le moins difficile à estimer, c’est celle de l’engagement des acteurs dans l’action qui nous mobilise. En effet, la question de l’efficacité renvoie à des critères de performance, pour le moins délicats à stabiliser dans ce domaine puisque quel que soit le critère il correspond au départ à une conception particulière de la gestion. Partant de là, l’importance des dommages et le nombre de victimes évitées par exemple, sont-ils des critères satisfaisants ? Ou bien encore, dans une démarche plus managériale, la mise en place d’un ratio de type temps/coût de gestion constitue-t-il un panel de critère adéquat pour juger d’une quelconque efficacité de gestion ? La question de l’efficacité ou de la performance, malgré le caractère rigoureux de certaines méthodes d’évaluation, ne semble pas si simple à saisir, encore moins à trancher. En revanche, il semble possible de décrire et d’analyser les modalités d’engagement autour du risque et de se questionner sur le sens de l’action. L’engagement, s’il ne nous permet pas de discuter de l’efficacité, nous donne à voir la gestion des risques telle qu’elle se présente. Une gestion débarrassée du vernis, mais aussi des présupposés, des vérités préétablies, indiscutées ou indiscutables qui font légion dans bon nombre de rapport d’activité ou bilan. Une carapace, une image qui masque parfois une réalité plus pragmatique, plus humble, plus humaine, plus imparfaite aussi. En cela, la question de l’engagement est sûrement plus délicate, parce qu’elle renvoie au sens et donc à la dimension politique du problème et de l’action qu’il engendre. De ce point de vue, cette approche par l’engagement nous semble tout à fait concordante avec notre acception du risque en tant que problème collectif et politique, même si nous la considérons avec une acception plus volontariste et active que celle de L. Thévenot.

Posée en ces termes la question du pilotage de l’action et notamment des conditions de la décision apparaît centrale, compte tenu des univers d’incertitude forts propres aux risques. Une incertitude qui semble renforcée, pour la recherche qui nous mobilise, par l’exaspération des enjeux qui se jouent sur les territoires touristiques : économiques, politiques, environnementaux,…. Cet univers d’incertitude ne permet pas d’aboutir dès le départ sur une décision qui s’impose d’elle-même. En cela, la décision est le fruit d’une

supérieure de l’action publique » (Granjou, 2004, p.50)190 est parfois remise en cause. Nous sommes loin d’une décision qui prendrait la forme d’un choix de type optimisateur, obéissant à un seul type de rationalité. L’univers d’incertitude et le paysage organisationnel tel que nous les avons esquissés tendent à nous faire davantage pencher vers l’idée d’un processus de décision et non d’une décision. On s’interroge alors sur les conditions et la capacité à décider, à gouverner dans l’incertitude. Avec l’analyse des engagements dans l’action, nous rejoignons donc les travaux sur les notions de « gouvernabilité » de M. Foucault, repris par J.Theys, (2003191), mais aussi de « gouvernement des risques » proposé par C. Noiville (2003)192. Ces notions et réflexions

pointent notamment la difficulté de faire certains choix. La « gouvernabilité » permet

ainsi de rendre compte des marges de manœuvres plus ou moins importantes pour

décider, suivant la nature des situations et des problèmes.

Ce questionnement est en droite ligne de celui que nous proposons lorsque nous évoquons la capacité de réponse inhérente au concept de vulnérabilité préalablement

présentée. La question de la « gouvernabilité » des situations, renvoie à la capacité à

dégager facilement ou pas une solution collectivement acceptée. Si certaines situations apparaissent gouvernables, d’autres le sont moins parce qu’au cœur d’affrontements entre régimes d’engagement divergents. Cette capacité à trouver des solutions renvoie à la manière dont sont considérés les risques territorialement (question controversée ou consensuelle, mise en risque locale), mais aussi aux marges de manœuvre (organisation du système d’acteurs, concordance des logiques d’actions, enjeux locaux).

Sous cet angle, le risque apparaît, comme une question désormais largement politique.

U. Beck en évoquant la « société du risque » (1986, 2001)193, mais aussi F. Ewald et D.

Kessler194 ou J.G Padioleau lorsqu’ils évoquent « la valeur des valeurs » (2000)195 en font

aussi la démonstration. Le risque lorsqu’il est considéré comme relevant du management, du technique, du réglementaire pourrait alors être perçu comme une question apolitique. Or, l’univers incertain dans lesquel il s’inscrit conduit les

gestionnaires, les autorités à trancher selon des « alternatives plus ou moins

acceptables » (Noiville, 2002, p. 280)196.

Néanmoins, par quels jugements de valeur parvient-on à cette qualification ? Lorsque C. Noiville, s’interroge, en tant que juriste, sur l’acceptabilité du risque, elle conclut sur le

fait que « le risque n’est pas par essence admissible ou intolérable et que l’acceptabilité

est fonction du contexte dans lequel il se déploie, le droit ne saurait enfermer cette notion de "risque acceptable" dans un contenu juridique prédéterminé » ; avant d’ajouter qu’« au stade de sa définition générale, aucune norme ne pourrait épuiser la notion de "risque acceptable" » (p. 286). Comment alors définir, ou négocier l’acceptable si ce n’est

190 Granjou C. 2004. L’objectivité scientifique au service de la précaution. In Expertise et action publique, pp. 43-51 Bruxelles: Edition de l’Université de Bruxelles.

191 Theys J. 2003. La gouvernance, entre innovation et impuissance : le cas de l’environnement. Revue

Développement Durable et Territoires dossier 2:1-35.

192Noiville C. 2003. Du bon gouvernement des risques. Paris: PUF. 235 pp.

193

Beck U. 2001. La société du risque. Sur la voie de la modernité: Flammarion Aubier. 521 pp.

194 Ewald F, Kessler D. 2000. Les noces du risque et de la politique. Le Débat 109:55-72.

195 Padioleau J. 2000. La société du risque, une chance pour la démocratie. Le Débat 109:39-54.

196 Noiville C. 2002. Qu'est ce qu'un "risque acceptable"? Quelques définitions juridiques. In Risques Collectifs

et situations de crise, Apports de la recherche en science humaines et sociales ed. C Gilbert, pp. 279-93. Paris:

en basant cette construction de seuil sur des valeurs communes et assumées ? C’est ce

qu’exprime le recours à la notion de bon gouvernement des risques (Noiville, 2003)197.

Ce « bon gouvernement des risques » serait en mesure de concilier des intérêts

divergents, d’établir des hiérarchies et donc de définir l’acceptable. Un acceptable qui n’est pas une norme absolue qui s’imposerait d’elle-même. Un acceptable, un seuil qui

serait déterminé par « un contexte dans lequel s’inscrit le risque de sorte que seuls ceux

qui sont concernés par lui (individu ou collectivité) doivent pouvoir lui attribuer le

contenu qu’ils entendent lui conférer » (Noiville, 2003, p. 10). La notion de

"gouvernement" vient appuyer le fait qu’il y a engagement et investissement politique des acteurs sur la question des risques. Cet investissement est conditionné par l’existence d’une relation clarifiée entre les protagonistes ou les intéressés, reposant sur une conception renouvelée du pouvoir et de la responsabilité qui lui est adossée. Ceci ne veut pas dire qu’il n’y a pas échange autour de ces questions, au contraire, le débat est central, mais les rôles sont définis et les modalités d’action précisées. La notion de

« gouvernement des risques » permet d’approfondir notre approche des régimes

d’engagement. Précisons néanmoins que dans notre approche, la notion d’engagement est plus largement comprise et ne se limite pas au seul engagement de type politique.

Toutefois la notion de « gouvernement des risques » permet de pointer plus fortement

encore la question du sens dans l’action. Une question qui nous semble aujourd’hui délaissée au profit de focales sur l’efficacité ou la performance de gestion.

Cette section fut l’occasion de présenter notre approche d’analyse de l’action publique. A cette occasion l’approche par les IAP fut détaillée. Celle-ci constitue une entrée, une clé de lecture de l’action publique, notamment quand cette action est amenée à se décliner et à se mettre en œuvre à l’échelle des territoires. Les IAP en tant que guides et supports tangibles de l’action représentent alors des objets d’interactions fortes où par définition la question organisationnelle devient centrale. Les modalités d’engagements des acteurs dans ces dispositifs, caractérisées par leurs discours et leurs pratiques doivent nous éclairer sur la manière dont l’action de gestion prend en réalité forme à l’échelle des territoires. Or, pour ce qui concerne le cas des territoires touristiques de montagne, l’ensemble de ces questions prennent un relief particulier, dans la mesure où ces territoires bénéficient d’un statut législatif particulier. L’action publique qu’elle soit liée à l’activité touristique ou à la gestion des risques est conditionnée par cette spécificité qui érige l’échelon communal au rang d’échelon de régulation par excellence. La prochaine section sera donc l’occasion de préciser en quoi la gestion du risque dans les territoires touristiques de montagne prend une tonalité singulière et doit faire l’objet d’une attention particulière.

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