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Partie I... De l’exogène à l’endogène, quel regard sur le risque et sa prise

Chapitre 3 (Re) formulation locale du problème "risque" et régimes

2) Les régimes d’engagement, clé de lecture de la gestion des risques

Ces outils développés par Boltanski et Thévenot visent à mener des investigations empiriques sur les sens ordinaires de la justice mobilisés dans notre société et les formes d’ajustement au monde qu’ils soutiennent. Les auteurs font pour cela l’hypothèse que sur ces débats publics pèsent de fortes contraintes de légitimité et de généralité des arguments utilisables. Ceci conduit les personnes concernées à dépasser la situation particulière au sein de laquelle elles se sont engagées. Cette typologie de registres généraux de justification est issue de ce constat et constitue un outil pour aborder le terrain et sa complexité empirique.

Pour notre objet de recherche et au delà de l’utilisation in extenso que l’on pourrait faire

de ces modèles de cités ou de registres de justification, la démarche de ces auteurs nous intéresse surtout dans sa phase première. Plus que les différents registres généraux auxquels ils aboutissent, c’est la manière avec laquelle ils sont parvenus à les caractériser qui nous intéresse et dont nous souhaitons nous inspirer pour cette recherche. L. Boltanski a ainsi élaboré le tableau suivant :

Figure 4 : Tableau sur justesse/justice/agapè/violence autour du double axe équivalence/hors équivalence et paix/dispute, d’après L. Boltanski

Ce tableau structuré à partir de deux axes équivalence/hors équivalence et paix /dispute,

propose 4 grands types de régimes d’action :

-« Justice- justification » : correspond à un état de « dispute » appelant le recours à des

principes généraux d’« équivalence »

-« Justesse » : représente l’équivalence tacite entre les personnes et les choses, dans des routines où la critique n’est pas activée.

-« Agapé » (une forme d’amour) : correspond au don gratuit sans attente d’un contre-don. C’est un état modélisé à partir de la tradition théologique chrétienne et qui constitue un état-limite pour les sciences sociales, qui ont surtout pensé la mesure et l’équivalence sous les formes, par exemple, de la symétrie ou de la dissymétrie (avec les notions “d’inégalités”, de “domination” ou de “pouvoir” ou les techniques de classification); il faut bien entendu envisager ce mode d’action comme un état activé dans des moments et non pas comme une propriété permanente des personnes.

-« Violence » : équivaut, dans son concept-limite de déchaînement des forces en

présence à un état de « dispute » sortant de l’ « équivalence ».

Pour L. Boltanski, il s’agit d’explorer les basculements d’un « régime d’action » vers un

autre et ce à travers des situations du quotidien. Il est intéressant de constater que dans cette démarche, le statut de l’acteur, ses origines, son identité sociale, ou professionnelle ne pèsent pas sur l’analyse. Il s’agit de dépasser les catégories usuelles, ainsi que le déterminisme des rôles explicite pour apporter une autre explication sur l’action collective. C’est en cela que la démarche nous semble pertinente pour notre

questionnent. Ce détour par les arcanes des motivations, des justifications et des pratiques nous semble être plus à même de rendre fidèlement compte de l’action et donc de l’édifice complexe que constitue l’action de gestion de risques.

L. Thévenot, quant à lui parle de « régime d’engagement » mais propose un objectif

similaire. Ses travaux nous semblent encore plus appropriés par rapport à nos préoccupations, dans la mesure où cet auteur oriente l’analyse sur les relations entre personnes, et surtout entre personnes et objets. L. Thévenot identifie trois grandes familles, parmi la diversité de modèles de l’action présente dans les théories sociologiques :

-« La famille des modèles de l’action basée sur la justification en public » : ce premier modèle s’inscrit dans la lignée des analyses sur les registres de justification en public, approche déjà développée avec L. Boltanski et présentée succinctement ci-dessus. Le

postulat de départ est que « le public constitué par les autre concernés pèse sur le

jugement et la préparation de l’action par ce jugement critique » (p. 9)

-« La famille des modèles de l’action basée sur les choix, la rationalisation de l’individu lui-même » : on met ici l’accent sur l’individu et sur son rapport à lui-même, dans son autonomie, ses projets et sa stratégie. A la différence des modèles de la première famille, ceux-ci peuvent appréhender des actions tenues au secret. Les conduites n’en demeurent pas moins formulables et communicables à partir des données discursives recueillies auprès des acteurs, qui en rendent compte dans les grandes lignes.

-« La famille des modèles de l’action basée sur les pratiques de l’individu » : cette dernière famille semble indispensable pour L. Thévenot si l’on cherche à saisir la complexité des régimes d’engagement des acteurs. Les actions que l’on peut classer dans cette dernière famille peuvent, dans bon nombre de cas, être en opposition à la famille précédente. Les routines, les pratiques si elles sont incorporées, irréfléchies ne relèvent pas toujours d’une réflexion, d’un choix ou même de la conscience. Néanmoins, avec cette dernière famille, il s’agit de se pencher sur ce qui fait la stabilité des ordres sociaux, le maintien des collectifs. Or, la pérennité des conduites est l’une des composantes. L. Thevenot préfère à la dénomination de « régime d’action », celle de « régime

d’engagement » et ce pour désigner « autant la dépendance aux personnes qu’aux

choses, et qui fait ressortir le gage de cette dépendance » (p. 13). Les régimes

d’engagement sont, pour l’auteur, définis d’abord par « un rapport au monde actualisé

par la personne en action, avant de couvrir les coordinations de l’un avec l’autre. » (p.

238). En ce sens, « l’engagement vise à faire d’une dépendance, un pouvoir » (Ibid.). En

effet, l’acteur, par son engagement, recherche un pouvoir dans l’action, mais pour cela s’appuie sur des ressources, des répertoires particuliers, dont il est par contre

dépendant. Ainsi, « même la façon d’être un individu autonome, avec le pouvoir qui lui

est associé, ne se réalise que dans la dépendance à un environnement adéquat de mise en forme. » (Ibid.). En matière de gestion de risque, le pilotage est totalement

dépendant du territoire, de sa culture, de son organisation,…Tout cela est constitutif de cet environnement, de mise en forme plus ou moins adéquate à la réalisation de l’action. Les clivages et les rôles statutaires des acteurs peuvent s’en trouver considérablement modifiés. Il s’agit donc de prendre en compte ces statuts et surtout d’aller au-delà de ce constat en poursuivant le questionnement au niveau des motifs et raisons de tel ou tel actes, de tel ou tel acteurs. En cela nous nous démarquons d’une analyse portée sur la recherche d’une quelconque efficacité ou performance institutionnelle de gestion. Il s’agit davantage de privilégier une réflexion visant à rendre compte du sens que donnent les acteurs à leurs actes dans des contextes de gestion spécifiques.

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