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Partie I... De l’exogène à l’endogène, quel regard sur le risque et sa prise

Chapitre 3 le risque par la vulnérabilité, l’histoire d’une révolution en attente 37

2) La dimension politique du risque, une illustration avec l’interaction

urbanisation-risque

Considérer le risque par sa dimension politique ne renvoie pas seulement à une option d’analyse. Il relève aussi dune conviction scientifique qui s’appuie sur un constat et qui impose pour aller plus loin dans l’analyse du risque, d’interroger la dimension politique de ce dernier. Ce constat se résume dans le paradoxe selon lequel "les extrêmes" cohabitent. En effet, la société par définition croise en permanence enjeux et aléas et l’exemple quotidien de l’urbanisation dans des zones à risque illustre parfaitement ce paradoxe. Tenter de saisir un tel paradoxe revient à considérer le risque, en tant que produit social inévitable et non comme seulement une menace externe potentielle. La dimension politique du risque est alors majeure et centrale pour

comprendre en quoi « l’urbanisation favorise les risques et leur déclaration » (Pigeon,

2005, p. 72). Ceci demande à ce que soient précisées « les interactions forcément

partielles risque-urbanisation,en introduisant leurs modes de gestion politique » (p. 98).

Penchons-nous alors sur l’urbanisation et le phénomène que la notion recouvre. Tout

d’abord, le terme semble indiquer « qu’il excède l’urbain » (Pigeon, 2005, p. 60). Le

recours au terme d’urbanisation semble d’autant plus utile que le processus ne touche

pas que des espaces urbains. En effet, si l’opposition espaces ruraux/espaces urbains

constitue encore une réalité, il permet en partie de comprendre les mutations accélérées

d’espaces ruraux agricoles par exemple. Pour P. Pigeon d’ailleurs le débat semble soldé :

« les définitions actuelles tendent à refuser l’opposition avec les espaces urbains. C’est ce qu’annoncent les évolutions du vocabulaire employé en géographie urbaine : rurbanisation, périurbanisation, aire urbaine,…Les définitions des espaces ruraux sont finalement plus proches de celles des espaces urbains qu’opposées. Il n’est dons pas étonnant que nous puissions retrouver des relations avec les risques de caractéristiques voisines ou comparables » (p. 74). Comprenons alors le terme d’urbanisation comme dépassant la définition de simples aires urbaines. Il engloberait ainsi tout processus de

concentration de la population et des activités humaines de densification humaine sur un espace donné engendrant des effets de polarisation et de densification et d’anthropisation du milieu. Des processus que l’on retrouve aussi dans certains espaces qualifiés traditionnellement de ruraux, qui parce que situés en proximité des villes, développent des phénomènes de densifications et donc des préoccupations

d’aménagements comparables (Bertrand, 200778 ; Bertrand et Briquel, 200679).

On comprend ainsi en quoi, la notion d’urbanisation, participe à la compréhension géographique des risque, et ce parce qu’une première lecture de l’interaction l’urbanisation-risque montre que l’urbanisation favorise le risque. L’urbanisation implique densité de peuplement et de flux, concentration d’activités et donc polarisation et

multiplication d’éléments vulnérables (au sens de D’Ercole), s’ils se trouvent confrontés à

des aléas. La vulnérabilité se trouve accentuée proportionnellement à son intensification, dans la mesure où cette intensification se traduit par une extension spatiale des enjeux, notamment dans des espaces ou zones d’aléas plus forts. Nous pouvons illustrer cette idée avec l’implantation et le développement des bidonvilles en Amérique latine sur des espaces soit pollués, soit soumis à des risques d’inondation. Néanmoins, la

démonstration ne vaut pas exclusivement pour les pays en développement. F.X. Albouy80

évoque la situation dans les pays riches et précise que ces derniers : « concentrent plus

de valeur ajoutée au km² que jamais. Cette concentration s’amplifiant explique l’ampleur et l’augmentation incessante des montants de grandes catastrophes » (2002, p. 135). L’urbanisation ne se contente pas d’impacter la vulnérabilité, en augmentant les éléments vulnérables, elle peut également dans certains cas influencer l’aléa lui-même. C’est ce que provoquent parfois certains aménagements tels que les remblais sur rivière qui réduisent le lit majeur, mais influent par conséquent sur les crues par le débordement et les inondations associées, lorsque l’aménagement est dépassé par le phénomène qu’il

est censé contenir (Dorier-Apprill, 2002). Les travaux de P. Pigeon81 relatifs au

paravalanche de Taconnaz82 dans la vallée de Chamonix pointent l’anthropisation accrue

des processus physiques, par la réalisation de travaux de protection. Le paravalanche prévu pour protéger une partie du territoire de la commune des Houches, ayant eu pour effet indirect de dévier et de déporter une partie de l’avalanche sur des espaces urbanisés de la commune de Chamonix. Un déplacement du risque reconnu juridiquement par le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 18 mai 1995 :

« l’ouvrage public ayant, de par sa configuration joué un rôle causal dans l’apparition des

dommages »83. Précisons néanmoins que lors de cet épisode, l’ouvrage a tout de même

largement joué son rôle de protection vis-à-vis des zones urbanisées sur la commune des

78 Bertrand N. 2007. Les relations urbain-rural en Europe : enjeux d’un partenariat au service du développement régional. Pouvoirs locaux : les cahiers de la décentralisation III:37 – 43

79

Bertrand N, Briquel V. 2006. Expertise ORATE 1.1.2. urbain-rural, référence au cas français, rapport d’expertise pour le compte de la DIACT/UMR RIATE, Cemagref, 25 pp.

80

Albouy F. 2002. Le temps des catastrophes. Paris: Descartes et Cie ed. 172 pp.

81 Pigeon P. 1998. Représentation cartographique du risque et vulnérabilité liée à la pression foncière

touristique (Taconnaz, Les Houches et Vers le Nant, Chamonix). Revue Communication et Organisation

86:101-17.

82

Le paravalanche de Taconnaz compte aujourd’hui plusieurs dispositifs qui ont évolué dans le temps. Celui dont il est question ici date d’avant 1991.

83 Tribunal Administratif de Grenoble 18 mai 1995 - MAAF-Rambaldini / SIVOM Chamonix-Les Houches

Avalanche du Taconnaz du 20 mars 1988 (cf. :

Houches. P. Pigeon poursuit son raisonnement et explique qu’en plus d’influencer les aléas, les travaux de protections peuvent conduire à augmenter la vulnérabilité en retour. Ainsi et toujours dans le cas de Taconnaz, le géographe conclut sur le fait que :

« la réalisation de ce paravalanche tend, en retour, à favoriser la constructibilité, donc la vulnérabilité territoriale» (Pigeon, 1998, p. 111).

Concernant la réalisation de travaux, l’auteur ajoute, que celle-ci permet de « desserrer

les contraintes cartographiques à l’urbanisation, avec des effets territoriaux rapides.» (p. 112). Si l’on s’en tient à la doctrine PPR ce constat semble peut probable dans la mesure où les ouvrages ne peuvent servir de motifs de modification des zonages risque. Néanmoins et de manière générale, l’urbanisation tend à augmenter effectivement les risques en influant à la fois sur l’aléa et sur les éléments vulnérables. Elle contribue à

« anthropiser les processus physiques tout en augmentant structurellement la valeur des

terrains urbanisés, en démultipliant les infrastructures qui accompagnent

progressivement l’urbanisation, mais aussi en accroissant la mobilité des personnes et des biens » (Pigeon, 2005, p. 68).

Une seconde lecture de l’interaction urbanisation-risque montre et ce de manière

paradoxale à la première lecture que l’urbanisation paraît favoriser la gestion des risques

(p. 72). La première lecture de l’interaction si elle semble robuste, apparaît néanmoins partielle. Ainsi, paradoxe ou conséquence, l’urbanisation et l’augmentation des risques qu’elle favorise entraineraient, en réaction, le développement de politiques de gestion dont le but serait de gérer et de contrôler les risques générés.

Nous retrouvons ici l’idée d’une réponse collective au risque. En cela, nous reconnaissons à nouveau le caractère endogène du risque qui semble ainsi intimement lié au développement humain. Un caractère qui s’affirme tout d’abord dans la notion d’exposition et donc d’éléments vulnérables on l’a vu, mais dans la formulation d’une réponse aux risques, par le développement de politique de gestion. L’identification des risques (au sens collectif du terme) comme base préalable à leur prise en compte

politique, nous amène à la question de la fabrique des risques (Gilbert, 2003), ou de la

mise en risque (Ewald, 1986).

Des approches qui montrent que l’identification d’un risque ne tient pas de la simple caractérisation d’une menace externe (phénomène) pour tel ou tel enjeu. L’émergence du risque tient davantage à un processus d’affirmation, de transformation et de formulation d’un problème collectif, parmi d’autres. Le terme "problème" est aussi

présent dans des définitions de géographes. Ainsi, C. Pierret (1999)84 précise : « la

géographie peut nous permettre de prendre en compte à travers le territoire, les problèmes globaux qui s’y présentent… et elle nous propose une approche qui peut nous aider à prendre à bras le corps certains problèmes difficiles de notre société », (p. 143).

Pour F. Hulbert (1994)85 : « cette pratique de la géographie, en montrant sa capacité à

saisir les problèmes et à permettre l’expression des besoins du milieu, inscrit d’emblé la discipline dans un cheminement appliqué et politique » (p. 19).

84

Pierret C. 1999. Le géographe et la politique. Acta géogr. 171:143-5.

Dans son livre l’Eco-pouvoir86 (1994), P. Lascoumes évoque en matière d’analyse de

politique publique le fait de « choisir de raisonner en termes de "problèmes", c’est bien

sûr, se situer sous l’angle des dommages créés, entendre le point de vue de ceux qui les subissent et confronter les diverses réponses sociales possibles. » (p. 7). Néanmoins et

comme le souligne l’auteur : « raisonner ainsi, c’est aussi négliger les bénéficiaires de

ces "problèmes", ceux qui les investissent en les créant, en les administrant ou en en faisant des enjeux dans les luttes professionnelles et politiques ». (Ibid.). Or, pour ce qui

concerne les politiques de prévention des risques, C. Gilbert87 expliquait qu’elles « sont

caractérisées par une très forte clôture du système de décision ... "Boîtes noires" de l’Etat français, sur lesquelles le débat public n’a peu ou pas de prise. »(1990, p. 15). Derrière le caractère construit des risques, qui correspond à une certaine posture scientifique, existe bel et bien une réalité pratique du risque. Une réalité qui fait que les

risques peuvent être compris comme des « investissements de formes » (Thévenot,

1986)88, c’est-à-dire des objets intermédiaires que le travail de certains

"acteurs-traducteurs" permet de substituer à des entités nombreuses et plus difficilement

manipulables. Les investissements de forme réduisent ainsi la complexité, ils la rendent

saisissable. C’est le cas pour ce que l’on définit comme les « risques collectifs » (Gilbert,

1998)89. Sur cette catégorie, un certain nombre de partenaires agissent au nom

d’institutions diverses et parfois concurrentes, acceptent à un moment donné de s’accorder pour traiter un ensemble de situations problématiques. Des arrangements, des arbitrages, des compromis se forment sur la manière de concevoir le problème "risque". Pour analyser cette mise en problème, nous proposons d’analyser la réponse collective au problème, en tant qu’élément tangible et observable. Ce sont donc les pratiques de gestion, les usages, les dispositifs qui sont visés pour permettre de rendre compte de ce processus de mise en risque, peu palpable à première vue. Privilégier l’analyse des pratiques, c’est orienter notre questionnement au le cœur de l’action de gestion, en considérant les éléments concrets qui la structurent au quotidien. L’analyse des facteurs

"actifs" de vulnérabilité, qui nécessite de considérer le risque dans sa dimension

endogène, devient alors possible dans la mesure où l’on se focalise sur la réponse.

86 Lascoumes P. 1994. L'éco-pouvoir. Environnements et politiques. Paris: La Découverte. 465 pp.

87

Gilbert C. 1990. La catastrophe l’élu et le préfet. Grenoble: PUG. 221 pp.

88 Thevenot L. 1986. Les investissements de forme. In Conventions économiques, ed. L Thevenot, pp. 21-71.

Paris: Presses Universitaires de France.

Chapitre 4 Les facteurs "actifs" de vulnérabilité, une conception

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