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Chapitre 2 Techniques de recueil des données

3) Les observations de terrain

Sur un plan méthodologique, une troisième source de données tout à fait complémentaire des deux autres nous est apportée par l’observation de terrain. L’observation de terrain est un moyen incontournable de constater les pratiques, comparer les dispositifs et relativiser ou confirmer, par les faits, les informations tirées du discours et des documents. Il semble difficile de poursuivre un objectif de recherche visant à analyser les pratiques de gestion sans aller sur le terrain de la gestion observer la réalité de ces pratiques. Ainsi, comme le montre J.M. Weller, si l’entretien semi directif donne davantage accès au travail d’identification identitaire des acteurs interviewés,

l’observation quant à elle, privilégie l’accès aux « contradictions de l’action » (1994,

p.26)293. Ces deux approches sont complémentaires et se compensent, apportant leur

part de vérité. En cohérence avec le cadre théorique mobilisé, l’informel, la complexité des situations, les arrangements et ajustements au sein des dispositifs de gestion ne peuvent s’appréhender totalement par le seul matériau discursif. Le recours à l’observation devient alors incontournable pour prendre en compte les décalages, les compromis, la part de contradictions inter et intra institution. Nous avons particulièrement eu recours à l’observation pour l’analyse de la gestion des risques dans les domaines skiables.

Pour ce pan de gestion, nous nous sommes rendus sur les sites pour réaliser un certain nombre de clichés photographiques. L’objectif n’était pas tant de suivre les gestionnaires sur le terrain à des moments précis de gestion. L’observation dans ces moments peut-être déformée par le fait que nous sommes justement sur un temps de gestion particulier, une pratique particulière qui plus est orientée potentiellement par notre présence et notre observation. L’observation s’est au contraire pratiquée sans la présence des gestionnaires et hors des moments d’intervention. L’enjeu de notre observation était de saisir le quotidien, la situation normale, en photographiant des marqueurs de pratique de gestion (traces de fréquentation, pratiquants, équipements,…),

mais aussi et surtout des marqueurs du risque294, sous la forme d’aménagements

spécifiques relatifs à la sécurisation ou à la prévention des risques (panneaux, cordes, jalons, interdictions, balisages,…). Un ensemble de témoins de la gestion qui sont à demeure et qui ne correspondent donc pas à une mesure particulière ou exceptionnelle localement. En cela nous nous référons à A. V. Cicourel qui dans un tout autre domaine

de recherche295, poursuivait comme objectif de définir, d’évaluer et d’analyser des

phénomènes sociaux, comportementaux et linguistiques inhérents à des contextes

quotidiens. Pour l’auteur, « une attention particulière doit être prêtée à la relation qui

existe entre les résolutions de problèmes propres à des contextes expérimentaux

293 Weller J. 1994. Le mensonge d'Ernest Cigare. Problèmes épistémologiques et méthodologiques à propos de

l'identité. Sociologie du travail 1:25-42.

294 P. Pigeon dans son ouvrage : géographie critique des risques (2005) évoque en premier lieu le terme de

« marques spatiales de l’endommagement » (p. 151), puis de « marques territoriales du risque » (p. 152). Pour

cette deuxième expression, il s’agit d’identifier bien plus que les dégâts après que le risque se soit concrétisé en catastrophe. Il s’agit d’identifier des éléments matériels, situés (aménagements, délimitations, travaux, panneaux,…) qui incarnent le risque et matérialisent une forme de prise en compte de ce dernier. Des marqueurs de risque par rapport auxquels l’observation doit permettre de mesurer la véracité et de saisir la logique sur le terrain.

nettement circonscrits où le chercheur utilise des instruments de recherche tels que les enquêtes ou les entretiens, d’une part, et l’observation réelle des résolutions de problèmes menées à bien par des sujets non séparés de leurs habitats naturels, d’autre part. » (2002). Tel qu’il est ainsi exprimé, cet objectif semble correspondre aussi à nos préoccupations méthodologiques. Effectivement, en matière de pratiques sportives et de gestion des risques dans les domaines skiables, l’observation de terrain permet de constater visuellement les moyens et ressources mobilisés par le gestionnaire d’une part,et la nature des pratiques, le type et l’ampleur de la vulnérabilité (zones et activités hors pistes) d’autre part, afin de pouvoir comparer les dispositifs de gestion au regard de cette vulnérabilité fluctuante.

II Une méthodologie adaptée aux contraintes du terrain et du

sujet de recherche

Lors de la démarche de terrain réalisée dans le cadre du DEA relatif à la

territorialisation du mode de gouvernance des risques à Val d’Isère (Boudières, 2004)296,

nous nous sommes aperçus que la thématique du risque n’était pas si simple à aborder avec les acteurs concernés. La démarche d’enquête s’était ainsi heurtée à des difficultés ne permettant pas toujours de recueillir les données de manière aisée. Ceci s’explique pour plusieurs raisons :

-La question des risques en montagne n’échappe en rien aux « difficultés de mise à

l’épreuve sur le terrain » (Gilbert, 2005b, p 101)297 relatives aux recherches sur les risques en général. La question des risques n’est pas une question facile à aborder dans des territoires soumis à de forts enjeux économiques ou environnementaux et le chercheur se doit d’adapter sa manière de recueillir les données et donc à son terrain, tout en maintenant son objectif de recherche.

-La question sous jacente des responsabilités juridiques constitue également une source de réserve chez les acteurs. Elle ne permet pas toujours l’instauration d’un dialogue de confiance avec les acteurs et rend d’autant plus nécessaire le recours à l’entretien compréhensif pour réunir les conditions d’échange. S’il est vrai que le travail judicaire refaçonne en profondeur l’action et les rapports entre acteurs (Caille et Deschamps,

2002)298, l’évocation d’une judiciarisation grandissante de leur pratique par certains

responsables (élus et gestionnaires), ne permet pas toujours d’aller au fond des sujets lors des entretiens. Lorsque l’on aborde frontalement la question du risque avec certains acteurs, on se heurte rapidement à ce type d’argumentaire et il devient alors difficile de les questionner sur le détail de leur pratique et sur leur conception des choses.

296 Boudières V. 2004. La territorialisation du mode de gouvernance de Val d'Isère, quelles conséquences dans

la gestion des risques? Mémoire de DEA Société et Environnement : Gestion des Espaces Montagnards. IGA

Université Joseph Fourier, Grenoble. 84 pp.

297

Gilbert C. 2005. Erreurs, défaillances et vulnérabilités : vers de nouvelles conceptions de la sécurité ? In Risques, crises et incertitudes : pour une analyse critique. Cahier n°3 du GIS Risques Collectifs et Situations de

Crise, ed. O Borraz, C Gilbert, P Joly, pp. 69-115. Grenoble: MSH-Alpes.

298 Caille F, Deschamps D. 2002. Du partenariat à la controverse. Intervention des autorités judiciaires et remise en cause d’une ‘auto-gestion’ des risques : le cas des activités sportives de montagne. In Risques

collectifs et situations de crise, Apports de la recherche en sciences humaines et sociales, ed. C Gilbert, pp.

Compte tenu de ces difficultés rencontrées lors des premières analyses sur le risque, il a semblé crucial d’adapter l’approche avec les acteurs, pour contourner ces entraves à l’analyse. La double entrée d’analyse par les instruments (dispositifs de gestion) d’une part, et par espaces (type de vulnérabilité spatiale) d’autre part, constitue de ce point de vue un atout. Aborder la question des risques et notamment celle de la décision par l’instrumentation a permis de proposer une attaque technique et thématisée du sujet. Ceci dans le but de ne pas limiter le discours des acteurs en début d’entretien et les amener progressivement sur des questions plus politiques ou polémiques. Cette stratégie n’en est pas pour autant machiavélique et respecte la nature des instruments de leur pôle technique et leur pôle politique. Inversement, aborder le risque par l’angle de l’instrumentation et donc des moyens de l’action, n’évacue en rien la question de la décision, mais l’aborde par l’angle pragmatique des pratiques de gestion afin de faciliter le discours des acteurs. Ainsi, l’analyse de l’instrumentation constitue une entrée efficace tant sur le plan théorique nous l’avons vu, (cf. partie I), que sur le plan méthodologique. Cette entrée permet donc une adaptation de la méthodologie, sans se détourner des objectifs de recherche.

L’entrée par les espaces de vulnérabilité constitue également une force sur le plan méthodologique. En plus d’aborder les instruments l’un après l’autre lors de l’entretien, on décline parallèlement les espaces de vulnérabilité concernés. Des espaces qui dans l’esprit des acteurs sont cloisonnés, parce que relevant de dispositifs, de règles de fonctionnement, d’enjeux et de régimes de responsabilité différents. L’entretien en termes de question réponse semble alors tout aussi séquencé, alors que la thématique et les questionnements restent communs à chaque espace considéré. Seulement l’acteur (élu mis à part), n’est pas impliqué de la même manière sur tous les instruments. Pour autant, il est amené à se prononcer sur l’ensemble. Sur le plan méthodologique, l’enjeu consiste donc a créer un effet d’accumulation dans les débats auprès des acteurs, à techniciser et à compartimenter l’attaque des questionnements, tout en les incitant à conclure globalement sur la gestion à l’échelle du territoire. Les acteurs sont donc questionnés sur des éléments précis et cloisonnés, puis interrogés sur une mise en perspective de l’ensemble, seulement au terme de l’entretien.

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