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Partie I... De l’exogène à l’endogène, quel regard sur le risque et sa prise

Chapitre 2 L’analyse de l’action par ses guides et ses pratiques : l’approche par

1) L’instrumentation, support et reflet de l’action

Dans leur ouvrage, La société vulnérable154, J.L. Fabiani et J. Theys introduisaient

leurs propos en expliquant que l’analyse des risques ne peut que confirmer « l’imbrication du technique et du social dans l’univers contemporain » (1987, p IV). Et d’ajouter toutefois que la technicisation croissante du social ne doit pas faire oublier que

« les systèmes techniques n’existent jamais en soi, (hors d’un contexte économique, culturel ou humain historiquement déterminé) ». (Ibid.). C’est dans cette perspective que nous souhaitons aborder la question de l’instrumentation, en matière de gestion des risques dans les territoires touristiques de montagne. La notion d’instruments d’action publique (IAP) permet de dépasser les approches fonctionnalistes qui s’intéressent avant tout aux objectifs des politiques publiques, pour envisager l’action publique sous l’angle des instruments qui structurent ces programmes. C’est en quelque sorte un travail de déconstruction par les instruments qui est alors proposé.

Analyser une politique publique à partir de l’instrumentation mise en œuvre lors de son application constitue une méthode, selon P. Lascoumes et P. Le Galès, pour repérer et

150

Op.cit.

151 Sabatier P, ed. 2000. Theories of policy process. Boulder: Westview Press. 289 pp.

152 Salamon L, ed. 2002. The tools of government. A guide to the new governance. Oxford: Oxford University

Press. 235 pp.

153Hall P. 1986. Governing the economy: the politics of state intervention in Britain and France. Oxford: Oxford University Press. 341 pp.

154

Fabiani JL., Theys J. 1987. La société vulnérable, évaluer et maîtriser les risques. Paris: Presse de l’Ecole Normale Supérieur. 674 pp.

comprendre les dynamiques et les changements qui l’animent. Les auteurs caractérisent

l’instrumentation par « l’ensemble des problèmes posés par le choix et l’usage des outils

(des techniques, des moyens d’opérer, des dispositifs) qui permettent de matérialiser et

d’opérationnaliser l’action gouvernementale. » (2004, p. 12). Ils postulent par

conséquent le fait que recourir à tel ou tel instrument n’est jamais une question neutre. Tout instrument résulte d’un choix et produit ses propres effets qui débordent les

objectifs attendus. Partant de ce postulat, un IAP est défini génériquement comme « un

dispositif technique à vocation générique porteur d’une conception concrète du rapport politique/société et soutenue par une conception de la régulation » (p. 14). Son analyse permet donc de reconsidérer les rapports gouvernants-gouvernés. L’IAP possède par conséquent à la fois une dimension technique et sociale ou politique puisqu’il organise, dans sa mise en œuvre, les rapports sociaux entre les producteurs et les destinataires de l’action. Cette approche de l’action publique par les instruments s’appuie (nous y reviendrons) sur des travaux en sociologie des sciences qui s’interrogent sur les "boîtes noires" que constituent les objets socio-techniques. Ces travaux ont notamment montré que la carrière des objets techniques repose davantage sur les réseaux sociaux qui se forment à partir d’eux que sur leurs caractéristiques techniques propres.

Néanmoins, dans une perspective d’analyse de l’action publique, qui plus est territoriale, nous retiendrons comme point de vue théorique : celui relatif à la nature des instruments, mais aussi et majoritairment celui relatif à leurs effets. Pour cela deux angles d’étude complémentaires peuvent être avancés :

-Envisager les effets générés par les instruments dans leur autonomie relative.

-Envisager les effets politiques des instruments et les relations de pouvoirs qu’ils organisent.

Pour cela, et conformément à ce que nous proposent les partisans de cette approche, il s’agit de considérer les instruments comme des "institutions", c’est-à-dire comme des producteurs de cadres stables d’anticipation qui réduisent les incertitudes et structurent

l’action. Selon une définition sociologique de l’institution proposée par D. North (1990)155:

une institution constitue un ensemble plus ou moins coordonné de règles et de

procédures qui gouverne les acteurs et les organisations. A ce titre, les instruments

génèrent des régularités de comportements. Celles-ci sont obtenues par des matrices

cognitives et normatives, ensembles coordonnés de valeurs, de croyances et de principes d’action, voire de principes moraux inégalement assimilés par les acteurs et qui guident

leurs pratiques (March et Olsen, 1989)156. Nous retrouvons la notion déjà évoquée de

« logiques institutionnelles », qui régulent les rapports sociaux et s’expriment par des jeux de pouvoirs (Gumuchian et al, 2003). Or, en géographie, comme en science politique, les travaux s’accordent pour attribuer aux institutions un effet structurant de l’action publique. Les instruments, que l’on assimile en partie à des institutions, ou

155 North D. 1990. Institutions, Institutional Change and Economic Performence. Cambridge: Cambridge University Press. 159 pp.

156

March J, Olsen J. 1989. Rediscovering Institutions, The organizational basis of politics. New york: Free press. 2 pp.

comme étant le fruit de logiques institutionnelles157, déterminent la manière dont les acteurs se comportent, créent des incertitudes sur les effets des rapports de force. Les instruments sont en cela tout autant porteurs de contraintes que de ressources pour les

acteurs, néanmoins, « ils véhiculent une représentation des problèmes » (Lascoumes et

Le Galès, 2004, p. 16).

Ceci implique que les acteurs possèdent une capacité d’action très différente selon le type d’instruments sélectionné. Lorsque cet arbitrage est fait et que l’instrument est choisi, mis en œuvre, de nouvelles perspectives d’utilisation et d’interprétation, imprévues et difficiles à contrôler voient le jour et donnent un nouveau cadre à l’action. Une stabilisation de l’action en résulte et le comportement des acteurs devient plus visible et plus prévisible. L’approche par les instruments et leurs effets rejoint selon nous

certaines interrogations soulevées par l’analyse des "Dynamiques Intermédiaires" (DI) 158

de l’action publique.

Les dynamiques intermédiaires qualifient et pointent des processus subtils qui se jouent autour de la mise en œuvre des instruments et dispositifs de gestion classiques. Les DI

peuvent ainsi être considérées comme « conflictuelles », ou comme « interactives et

négociées » (De Terssac, 2005, p. 11)159. Avec la première acception, les DI ne sont pas au cœur de l’action publique mais en marge, en opposition à celle-ci. Les DI portent sur ce qui résiste à la mise en œuvre d’une action publique planifiée et décidée en amont. Dans ce cas, les DI contrarient l’action, la remettent en question, la rendant parfois inefficace, comme certaines controverses autour de certains instruments de gestion. Dans la seconde acception, les DI constituent les conditions et moyens du compromis par rapport auxquels chaque acteur souscrit en termes de finalité. Pour cela les DI relèvent d’une coproduction négociée des projets, afin de s’adapter au contexte et à la manière dont territorialement les problèmes sont formulés. C’est dans cette perspective notamment que sont pensés et réalisés les guides méthodologiques de concertation. Ces plébiscitent le développement de démarches partenariales ad’ hoc et parallèles aux dispositifs de gestion réglementaires afin de faciliter leur élaboration et leur mise en

œuvre. Dans ce cas, les DI « ne sont pas extérieures à l’action publique, mais constituent

l’action publique elle-même. » (p. 12).

Les DI apparaissent donc comme un outil de qualification des modalités de l’action collective, nous permettant de participer à l’effort plus général de compréhension de

l’action de gestion. Une action qui semble, de ce point de vue, « au carrefour entre des

objectifs d’intérêt général traduits dans des réglementations, et des règles locales organisant les usages et les intérêts sectoriels. » (Beccera, 2003, 2005, p. 151)160.

157

En effet, nous le verrons, bon nombre d’IAP ont une source législative ou réglementaire qui leur confère légitimité et un statut particulier.

158

Filâtre D, De Terssac G, eds. 2005. Les dynamiques intermédiaires au cœur de l'action publique. Toulouse: Octares. 306 pp.

159 De Terssac G. 2005. Les dynamiques intermédiaires au cœur de la fabrication d'un ouvrage collectif. In Les dynamiques intermédiaires au cœur de l'action publique, ed. D Filâtre, G De Terssac, p. 306. Toulouse: Octares.

160

Becerra S. 2003. Protéger la nature, politiques publiques et régulations des cultures territoriales et des

formes d'organisation sociale liées à sa gestion. Université de Toulouse-Le Mirail et Université autonome de

Barcelonne, Toulouse. 576 pp. et Becerra S. 2005. L’efficacité des politiques de la nature en question. Le cas de l’estuaire du fleuve Palmones (Andalousie, Espagne). In Les dynamiques intermédiaires au cœur de l’action

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