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Partie I... De l’exogène à l’endogène, quel regard sur le risque et sa prise

Chapitre 3 (Re) formulation locale du problème "risque" et régimes

1) L’analyse de l’engagement des acteurs dans l’action

L’analyse des réponses de gestion revient à questionner la manière dont les différents acteurs s’engagent dans les processus collectif de gestion. Pour ce faire nous tentons de confronter la manière dont ils conçoivent leur action à la réalité de leur

pratique. Il s’agit d’analyser la tension entre ces deux « régimes d’engagement »

(Thévenot, 1990, 1993, 2006)181 pour comprendre pourquoi et comment l’acteur

s’implique dans l’action, mais aussi comment les dispositifs prennent vie à une échelle plus collective.

Pour cette démarche, nous mobilisons des travaux relatifs à la sociologie pragmatique portés par L. Thévenot, L. Boltanski, F. Chateaureynau, mais aussi N. Dodier ou P. Corcuff. L’une des particularités de ces travaux réside dans le fait d’accorder une part

181 Thévenot L. 2006. L’action au pluriel sociologie des régimes d’engagement. Paris: La découverte. 331 pp. Thévenot L. 1990. L'action qui convient. In Les formes de l'action, ed. P Pharo, L Quéré, pp. 39-69. Paris: Editions de l'EHESS (Raisons pratiques n° 1).

Thévenot L. 1993. Essai sur les objets usuels : Propriétés, fonctions, usages. In Les objets dans l'action, ed. B Conein, N Dodier, L Thévenot, pp. 85-111. Paris: Editions de l'EHESS (Raison pratique, n°4).

essentielle, substantielle à l’action dans des contextes donnés et donc situés. Cette démarche est de notre point de vue très proche de la démarche géographique. Ces approches pragmatiques, à l’instar de la géographie sociale, sont soucieuses des pratiques situées des acteurs. Dans le but d’approcher au plus près la complexité sociale, il s’agit d’attacher une importance aux contextes dans lesquels elle s’inscrit. Ainsi, pour ce qui nous concerne, si d’un territoire à l’autre, les acteurs semblent développer les mêmes types de relations (conflit, entente, coopération, concurrence), pour autant la gestion se structure-t-elle de manière identique ? La manière dont les acteurs opèrent des agencements, développent leurs modes d’engagement dans l’action, conçoivent et justifient leurs actions sont autant d’éléments qui varient fortement selon les contextes. L’approche pragmatique propose justement une analyse située des interactions lorsque les différents partenaires de la rencontre sont considérés en même temps, plutôt que d'être suivis dans leur itinéraire propre. De nombreux travaux se sont ainsi attachés à

mettre en évidence des dynamiques de la dispute182, ou bien encore les figures par

lesquelles les accords se construisent (compromis, oubli, pardon)183.

Sur le plan méthodologique, les tenants de cette approche pragmatique articulent deux

entrées dans l'action. L'une consiste à observer les « appuis conventionnels au repos »

(Dodier, 1993, p. 17) 184 par l'intermédiaire d'objets qui témoignent de l'activité humaine.

On peut évoquer dans ce sens : les dispositifs de gestion tels que peuvent l’être un PPR, un PIDA,… Des entités, des objets ou des instruments auxquels les acteurs se référent fortement et par rapport auxquels ils se positionnent et se justifient. L'autre entrée consiste à observer les actions concrètes. Selon N. Dodier, cette deuxième entrée complète la première, en ouvrant un accès à toutes les ressources qui n'existent que sous une forme animée des actes humains. Nous pouvons ici évoquer, les pratiques des acteurs, les aménagements observés sur le territoire, les faits et agissements, les actes de langages…articulés eux-mêmes au fonctionnement des objets.

Cette deuxième entrée est incontournable pour l'analyse des régimes d’engagement,

dans la mesure où elle permet de « déployer l'ensemble des médiations qui assurent, par

l'intermédiaire des actes des personne,s l'existence des régimes d'action dans des situations concrètes. » (Ibid).

Au regard de notre questionnement, nous ne pouvons qu’être sensibles à ce type d’approche qui propose de se pencher sur les formes locales de coordinations et qui

impose pour cela « d'accéder au terrain de leur existence empirique » (Ibid).

Dans notre analyse, cette démarche a donc pour but de décrypter comment l’action de gestion, et notamment les dispositifs qui la structurent, prennent forme au regard des acteurs. Le but est de dépasser le déterminisme des statuts d’acteurs pour affiner la connaissance sur l’implication et donc le sens que donnent à la gestion, les acteurs

protagonistes. Qu’il s’agisse de « Régimes d’action » (Boltanski, 1990) ou

« d’engagement » dans l’action (Thévenot, 1990, 1993, 2006), c’est bien une analyse qui

182 Cf. Chateauraynaud F. 1991. La faute professionnelle Une sociologie des conflits de responsabilité. Paris: Métailié. 480 pp.

183 Cf. Boltanski L, Thévenot L. 1991. De la justification les économies de la grandeur. Paris: Gallimard. 485 pp.

184

Dodier N. 1993. Les appuis conventionnels de l'action. Eléments de pragmatique sociologique. Réseaux 62:1-22.

porte « sur l'invention de nouveaux agencements qui naissent de la confrontation entre régimes » (Dodier, 1993, p.13)185, dont il est question.

Nous sommes donc confrontés, selon P. Corcuff, à un type d’analyse qui peut se définir

« comme une construction du second degré, un découpage savant des découpages

ordinaires des acteurs ». (1998, p. 2)186. L’auteur propose même une définition de cette

posture : « dans la sociologie des régimes d’action, l’action est plus particulièrement une

action située, c’est-à-dire en situation, caractérisée par la succession de séquences d’actions, cette action est appréhendée à travers l’équipement mental et gestuel des personnes, dans la dynamique d’ajustement des personnes entre elles et avec des choses. Les objets, les institutions, les contraintes extérieures aux personnes sont donc pris en compte, mais tels qu’ils sont identifiés et/ou engagés dans l’action, dans la façon dont les acteurs repèrent, ont recours, s’approprient, prennent appui sur, ou se heurtent à eux. » (Ibid.) Ainsi, les choses ne peuvent être définies a priori, les notions telles que le "pouvoir", par exemple, ne rendent pas compte de l’activité des acteurs, mais de la façon dont les acteurs en situation identifient, nomment, utilisent, s’affrontent au

“pouvoir”. Ce n’est pas la connaissance du monde objective qui est visée, ni non plus

seulement la vision subjective de chaque acteur, mais la manière dont les acteurs s’ajustent et justifient leurs actions par rapport à ce qu’ils désignent comme monde. En cela, les partisans de telles démarches s’opposent aux courants classiques et

historiques de sociologies, qu’ils qualifient de « sociologie bulldozer» (Corcuff, 1998).

Pour ces détracteurs, une fois que les analyses classiques sont passées, le terrain a été aplani et ses aspérités ont disparu. Tout a été rabattu sur le même plan, souvent en rabattant l’ensemble des situations sur un type de situations.

Or, la sociologie des régimes d’action propose justement une autre perspective en tentant de retrouver les aspérités du terrain. P. Corcuff explique ainsi qu’en dehors d’un cadre descriptif-interprétatif minimal (avec des notions communes comme “régime d’action”, “acteur” et “situation” justement), elle cherche à formaliser des concepts différents en fonction des situations. La géographie est également à la recherche d’analyse au plus près de la réalité territoriale aussi complexe soit-elle. Au-delà de la diversité observée, c’est bien le pourquoi et l’architecture de cette diversité qui nous préoccupent. L’approche territoriale s’inscrit dans ce dessein en reconnaissant au

territoire un angle de lecture privilégié de ce qui, a priori, ne peut-être défini ou

généralisé. L’analyse des régimes d’action dessine des configurations diverses en fonction des situations concernées et observées. La part d’engagement, la conscience et les raisons de cet engagement dans l’action ne seraient pas alors les mêmes selon les situations, et donc selon les régimes d’action activés.

Cette diversité au sein des régimes d’engagement ou d’action dépend notamment des ressources dont disposent les acteurs au niveau du territoire pour inscrire leurs actions.

En sciences sociales, la notion de "répertoire", plus transversale, (dans la lignée de celle

de « stock de connaissance » d’A. Schütz) incarne cette idée. Ces répertoires différents d’un acteur à l’autre constituent des potentiels de ressources dans lesquels les acteurs

185Nous reviendrons, par la suite, sur les différences entre ces deux notions que sont les "régimes d’action" et les "régimes d’engagement".

186

Corcuff P. 1998. Justification, stratégie et compassion - Apports de la sociologie des régimes d'action.

puisent les justifications, les motivations, les raisons liées à leur action. Ces répertoires constituent des puits de ressources à la fois internes et externes, tout aussi disparates

que contradictoires. Ils s’apparentent alors à des « boîtes à outils » (Swidler, 1986, p.

273)187.

C’est la notion de culture qui est ici interrogée, non plus au sens traditionnel d’une culture comme ensemble homogène, intégré aux valeurs et déterminant les comportements, mais au sens des formes culturelles dans l’action. Les acteurs mobilisent ces formes culturelles dans des configurations variées, pour résoudre différentes formes de problèmes. La culture est ici une des composantes de la construction de l’action. Les acteurs vont, toujours selon A. Swidler, puiser dans ces répertoires/Boîtes à outils des

éléments pour élaborer leur ligne d’action et la justifier188. Les régimes d’engagement

sont donc conditionnés par les répertoires dont disposent les acteurs et auxquels ils ont recours dans telle ou telle situation.

Sur un plan méthodologique, cette analyse doit par conséquent être attentive aux justifications mobilisées par les acteurs, lorsqu’ils évoquent le pourquoi de leurs actions. Ces formes de justifications sont notamment activées dans des espaces publics. C’est notamment l’approche développée par L. Boltanski et L. Thévenot, dans leur ouvrage : « De la justification les économies de la grandeur »189. Ces auteurs référencent ainsi six modes de justifications publiques. Chaque type de justification renvoie en termes de

typologie à une « cité » spécifique, propre à une façon particulière de mesurer la

grandeur des personnes. Il s’agit selon les auteurs de « principes d’équivalence » qui

vont permettre de caractériser différentes « ’économies de la grandeur ». Ces

justifications sont donc : "civique", "industrielle", "domestique", "par l’opinion", "marchande" et "inspirée".

Ces principes de justice sont des éléments susceptibles de fonder des ordres de grandeur, d'établir une hiérarchie entre les êtres présents et de donner des étalons de mesure lors des disputes et des conflits sociaux. Les auteurs différencient ainsi :

-Une « cité civique », dans laquelle la grandeur suppose l'oubli des états particuliers au

profit de la volonté générale et de l'égalité.

-Une «cité marchande », dans laquelle la grandeur est liée à l'acquisition de richesses

composées de biens rares et désirables.

-Une « cité industrielle », dans laquelle la grandeur se base sur l'efficacité et la

compétence professionnelle.

187 Swidler A. 1986. Culture in action:symboles and stratégies. American Sociologie Review 51:273-86.

188

A propos de l’approche culturelle et donc de la mobilisation de cette dimension en tant que facteur explicatif central, soulignons les travaux en géographie culturelle et en sociologie du sport, sur la thématique des activités touristico-sportives. Ont été ainsi élaborées des typologies de formes de développement sur la base des univers culturels dans lesquels s’inscrivaient les pratiquants et les prestataires de ces activités. La dimension culturelle est alors une composante majeure de leur action et du développement touristique en général. Se reporter entre autres, aux références suivantes :

Corneloup J, Bouhaouala M, Vachée C, Soulé B. 2001. Formes de développement et positionnement touristique des espaces sportifs de nature. Loisir et société 24:21-45.

Bourdeau P. 2003. Territoires du hors-quotidien : une géographie culturelle du rapport à l’ailleurs dans les

sociétés urbaines contemporaines ; le cas du tourisme sportif de montagne et de nature. Diplôme d'HDR, IGA

PACTE, UJF Grenoble 1, Grenoble. 267 pp.

-Une « cité inspirée », dans laquelle la grandeur est acquise par l'accès à un état de grâce.

-Une « cité domestique », dans laquelle la grandeur correspond à une place dans un

ordre hiérarchisé.

-Une « cité de l'opinion » dans laquelle, la grandeur est basée sur la reconnaissance et le

crédit d'opinion accordé par les autres.

Les cités ne sont pas compatibles entre elles et les capacités mises en valeur dans une cité sont dénoncées ou ignorées dans une autre. Ainsi, par exemple, un être qui s'appuie exclusivement sur son inspiration (grand dans la cité de l'inspiration) sera négligé et sanctionné dans une cité reposant sur des principes industriels où il est préférable de suivre des règles de fonctionnement à l'efficacité déjà avérée.

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