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Les stations de bénéficiaires et les frontières de Dacie et de Mésie

LES STATIONS DE BÉNÉFICIAIRES

1. O STERBURKEN ET S IRMIUM : DEUX STATIONS TYPES RÉVÉLÉES PAR L ' ARCHÉOLOGIE ET L ' ÉPIGRAPHIE

3.2. Les stations de bénéficiaires et les frontières de Dacie et de Mésie

En Dacie, la présence de stations de bénéficiaires à proximité de castella de la frontière extérieure, au nord de la province, est confirmée à Moigrad-Porolissum, Buciumi et Càhei-Samum, où la station se situe dans le contexte d'un castellum établi sur le limes, au nord de la rivière Somes-Samum, en Dacia Porolissensis 189. Les bénéficiaires

successivement détachés à Samum étaient chargés de superviser l'ensemble des questions de sécurité et d'administration du territoire ou de la regio qui s'étendait autour de la station, cum

reg(ione) Ans(---). Selon une récente hypothèse, la région décrite sous les abréviations REG ANS serait peut-être la reg(io) ans(ae), c'est-à-dire la zone située dans le méandre de la

rivière ou ansa, qui s'étend vers le nord jusqu'à la ligne des tours de garde romaines sur le sommet de la colline, près du pont romain de Dej et du castellum de Càheiu 190. En retrait de

la frontière, le gouverneur avait placé ses bénéficiaires à Cluj-Napoca, siège du procurateur financier de Dacia Porolissensis, ainsi que dans le camp de Turda-Potaissa. L'un des édiles de la colonie de Napoca fut lui-même détaché en 239 p.C. comme bénéficiaire à Samum 191.

A l'importance stratégique de la région du nord de la Dacie (et de la frontière orientale) s'ajoute celle des intérêts économiques qu'il fallait contrôler, en supervisant les échanges commerciaux et l'exploitation des richesses naturelles. Le détachement de bénéficiaires du gouverneur à Rohia Montànà-Alburnus Maior, par exemple, au sud de Buciumi, et à

Ampelum plus au sud, à l'ouest de la capitale Apulum, s'explique principalement par la

présence de mines d'or et d'autres ressources naturelles. Gérées par un procurateur équestre ou procurator aurariarum, assisté de bénéficiaires et de procurateurs affranchis, ces exploitations minières n'en étaient pas moins soumises à la responsabilité du gouverneur. Il se devait, en sa qualité de chef des armées, d'assurer la sécurité dans ces régions susceptibles d'attirer toutes sortes d'intérêts, d'autant qu'elles se trouvaient placées non loin de la frontière extérieure de la province 192. La présence de bf cos en service est attestée à l'ouest de la

188 A Cornacum : CBI, 423. Contrairement à ce que montre la carte de CBI, Sotin se situe en bordure du

Danube, au sud de Borovo Vukovar, plus ou moins à mi-distance entre Osijek-Mursa (à env. 45 km) et Sremska Mitrovica-Sirmium (à env. 60 km) ; sur le site : Mirkoviç 1971, n° 90 p. 84-85 et n° 91 p. 85 ; pour un autel in situ à

Sirmium consacré à Liber Pater avec IOM, Silvain et le Génie de Sirmium, voir I 48. Pour un autre autel à Liber Pater par un bf cos à Intercisa : CBI, 395.

189 Porolissum : CBI, 540, voir aussi CBI, 541 ; deux castella sont attestés sur le site, le premier, en bois,

construit en 106 p.C. On y trouve aussi des tours du limes, un poste de douane, un amphithéâtre, des sanctuaires, et les canabae etc. : TIR, L 34, 92-93 et Balla 1980 ; Buciumi : CBI, 524 (211-212 p.C.) ; Samum : CBI, 525-536 : Annexe 1.3, avec I 100 et I 184 et * I 185, et Isac 1994 et Opreanu 1994 et Opreanu 1997.

190 !Opreanu 1994.

191 A Napoca, au IIe s., CBI, 537 ; l'édile de Napoca en service comme bf cos à Samum : CBI, 530 et

Chap. VII p. 307 n. 90 ; sur la place de cette colonie dans la Dacie Porolissenis : Haensch 1997, 347-348 ; à

Potaissa : CBI, 554 et 552 avec Chap. VI p. 271-272.

192 CBI, 544-547, sur le lucus sacré d'Alburnus Maior, avec les autels des ouvriers ou indigènes employés

province à Vetel-Micia, au IIe s. et à Sarmizegetusa, ainsi peut-être qu'à Turnu Severin-

Drobeta, à la frontière entre la Dacie et la Mésie Supérieure 193.

En Dacie, l'archéologie et l'épigraphie ont révélé les traces d'échanges commerciaux entre Rome et les tribus établies au delà des zones de frontières, notamment au nord et à l'est de la province 194. La découverte de broches ou épingles en forme de lances miniatures du

type dit des bénéficiaires, communément désignées, et de manière un peu trompeuse, comme “beneficiarii badges”, à Matasaru au nord du limes, entre le cours nord de la Somes et celui de la Tisza, légèrement au sud de l'Ukraine, ainsi qu'à l'est de la Dacie, près de Mediesul Aurit, ne permet pas pour autant de déduire de l'établissement de stations dans ces régions 195. Cela d'autant plus qu'elles seraient situées au delà des limites de l'Empire, une

situation pour laquelle nous ne connaissons pas de parallèles directs certains 196. Une étude

récente sur l'ensemble des têtes de lances miniatures de Dacie, basée sur un matériel en grande partie inédit jusqu'ici, et dont on connaît des exemples comparables dans d'autres provinces (Rhétie, Germanies et même Bretagne) a mis l'accent sur le caractère religieux de l'ensemble de ces objets 197.

A l'est de la Dacie, bien que la présence romaine ait laissé de nombreuses traces d'occupation militaire 198, un seul autel de bf cos a été mis au jour, à notre connaissance. Il

provient de la région de Cràcuinel près de Homoród Karacsonfalva, légèrement au nord-est de Rupea, non loin de l'endroit où l'Homorodu Mic se déverse dans l'Olt. Une station devait être installée dans ce secteur du limes Transalutanus avant qu'il ait été abandonné vers 242- 244 p.C. suite aux attaques des Carpes puis des Goths 199. D'autres étaient peut-être en place

près de Racovita-Praetorium et à Rehca-Romula, plus au sud sur le limes Alutanus. Mais dans les deux cas, le type de support – un bouton de bronze à Racovita, un fragment de céramique à Rehca – ne permet pas de l'affirmer avec certitude, d'autant que l'abréviation seule ne révèle pas le titre du supérieur du bénéficiaire (gouverneur, ou commandant de garnison locale?). On ignore à quoi pouvait servir ou de quel objet pouvait faire partie le bouton de bronze en question, aujourd'hui perdu. S'agissait-il d'un fragment de haste à deux yeux, tel que celui de Lyon où les deux lettres B et F se situent à l'intérieur de chacun des

193 CBI, 562 et 563 ; CBI, 549 ; CBI, 561, si l'on considère que le bf cos est décédé pendant son service et

sur son lieu de service.

194 Mihailescu - Bîrliba 1997 ; Opreanu 1994 et 1997.

195 Opreanu 1997, 249 (carte fig. 4.12 p. 248), qui renvoie respectivement à G. Bichir, Geto -Dacii din Muntenia în epoca romana, Bucarest 1984, 58 pl. LII/8 et à S. Dumitrascu et T. Bader, Asézarea dacilor liberi de la Mediesul Aurit, Satu Mare 1967, 40 fig. 20 (non uidi) sans préciser le contexte exact de la découverte ; sur la

question Petulescu 1991, 41 et 57 n. 63 et Petulescu 1993.

196 A ce sujet, voir infra p. 174-175 la discussion sur la station d'Habitancum, certes au nord du mur

d'Hadrien, mais dans une région sous occupation militaire romaine ; voir aussi nos remarques concernant la localisation de CBI, 642 : Annexe 1.3.

197 Petulescu 1993, part. 192, met l'accent sur l'aspect religieux de ces objets portés par divers types de

militaires. Dans le même sens et de manière indépendante : Nelis-Clément & Wiblé 1996.

198 Bogdan Cataniciu 1997, 103 fig. 1.47. Tudor 1978, 561, estime qu'il y avait une soixantaine de camps

dans la partie orientale de la Dacie.

199 CBI, 539 ; Dobó 1978, 62.

davantage de bénéficiaires du procurateur que de bf cos, du moins à une époque haute : CBI, 565-566, avec I 104 et I 186. Sur l'administration de ces mines : Chap. V p. 263-264. Sur la place d'Apulum comme capitale des Trois Dacies et de Sarmizegetusa comme siège du procurateur financier et lieu de rassemblement du concilium : Haensch 1997a, 338-345 et Chap. VI p. 283 ; Le Roux 1998, 241, considère Sarmizegetusa comme la capitale de la Dacie, à une époque antérieure.

yeux de la haste, d'un fragment de broche miniature de type comparable, d'un poids avec marque officielle servant à peser de petits objets de valeur – en or ou métal précieux – pour en contrôler le poids lors d'échanges commerciaux, au cours d'encaissements de taxations ou de réquisitions, ou d'un cachet personnel comparable aux plombs scellant des colis officiels (tablettes avec correspondance à caractère confidentiel, convois exempts de taxes etc.)? Le fait que les lettres ne sont pas inversées pourrait affaiblir l'hypothèse d'un sceau ou d'une partie d'anneau employé comme marque de reconnaissance, tels ceux qui étaient utilisés par les membres de l'administration et par les officiales pour signer des documents officiels ou à caractère confidentiel. Quant à la marque du titre et du nom du bénéficiaire sur le morceau de céramique, il est difficile de savoir dans quel contexte elle s'inscrit; serait-il possible d'y voir une marque de contrôle, peut-être en relation avec l'immunité des transports de marchandises destinées aux troupes 200? Deux castella se situent de part et d'autre de la

rivière Teslui, dans laquelle a été retrouvé le fragment de céramique qui nous intéresse. Des troupes auxiliaires y ont stationné en permanence et la présence locale d'un détachement de la légion XI Claudia paraît envisageable 201. L'épigraphie locale nous apprend qu'une

garnison de soldats chargés du service postal à cheval, le n(umerus) burg(ariorum) et

ueredario(rum) Daciae inf(erioris) sub Fl(auio) Constante proc(uratore) Aug(usti), était en

place en 138 p.C à Copàceni-Praetorium, le Pretorio de la Table de Peutinger, et qu'en 140 p.C., des tours ont renforcé la ligne de défense constituée de plusieurs castella. Les traces d'un bâtiment de forme rectangulaire (horreum, schola?) ont été signalées dans le camp au nord du praetorium 202. L'importance militaire de Romula, capitale de la Dacie

Inférieure puis de la Dacie Maluensis, s'est renforcée durant le début du IIIe s. p.C. face aux

attaques des Carpes.

Il ne fait pas de doute, et l'archéologie est là pour le confirmer, que Rome entretenait des relations d'ordre économique avec les peuplades établies en dehors de ses frontières, dans ces régions comme ailleurs. Ces dernières étaient souvent liées avec Rome par des alliances ou traités de paix, dont les dispositions variables étaient soigneusement calculées. Les jalousies ainsi suscitées devaient empêcher toute tentative d'une ligue contre Rome. Malgré l'existence de traces d'occupation au delà de la frontière et la découverte dans le

barbaricum des hastes miniatures ou broches évoquées ci-dessus, comparables à celles que

portaient les bénéficiaires et leurs collègues, aucun indice à notre connaissance n'autorise à déduire la présence de stations de bénéficiaires du gouverneur hors frontière, dans le secteur situé entre la frontière orientale de la Dacie et la limite de la Mésie Inférieure, au nord et à l'ouest du Danube.

200 CBI, 538, avec Tudor 1978, 141. Les lettres PAC pourraient être les initiales des tria nomina du

bénéficiaire, sa marque de reconnaissance ou signature officielle ; CBI, 543 ; pour une allusion à la bague cachet d'un beneficiarius : I 154a ; pour un exemple de bénéficiaire d'un praefectus fabricensium, peut-être employé au contrôle des productions militaires et de leur acheminement : CBI, 885 ; sur l'immunité des transports destinés à l'armée, les convois scellés de plombs et la participation des bénéficiaires à des envois ou contrôles de ce type : Chap. V p. 256-258.

201 CBI, 543 ; Vladescu 1977 ; Tudor 1978, 359.

202 III, 13795 et 13796 ; Tabula Peutingeriana, VIII.1, avec Miller 1916, 553-554 ; Tudor 1978, 289 avec

Contrairement à ce qu'on a pu affirmer, ce n'était pas en Valachie au nord du Danube, mais dans la partie septentrionale de la Dobroudja que le gouverneur de Mésie Inférieure Cosconius Gentianus avait dû détacher l'un de ses bénéficiaires, T. Caelius Catus, durant la dernière décennie du IIe s. p.C. 203. La découverte de son autel votif à Mihai Bravu suggère

qu'il était en poste dans cette région située en bordure du Danube ou légèrement en retrait. Au sud-est de ce secteur, à Kalakiöi près de Topalu-Capidaua, où une base militaire fut installée dès Trajan, l'inscription funéraire d'un bf cos décédé quelques années avant la fin de son service pourrait peut-être également faire penser à l'existence d'une station 204. On en

connaît une autre au nord de la Mésie Inférieure, à Isaccea-Nouiodunum ou peut-être plus au sud à Nifon 205. Une grande partie des bénéficiaires que nous connaissons en Mésie

Inférieure étaient détachés à l'est de la province au bord de la mer Noire, à Istria-Histria 206,

Mangalia-Callatis 207, Balcik-Dionysopolis 208, peut-être à Varna-Odessos 209, ainsi que dans

la capitale Constanta-Tomis, où l'un d'eux est décédé pendant son service 210. Leur présence

est aussi attestée plus à l'ouest, au sud du camp de Svistov-Nouae, à Svestari et dans la région de Razgrad sur le territoire de l'antique Abrittus, ainsi qu'à Ljaskovec, Pavlikeni et Gradiseto près de Pleven-Storgosia 211. Au centre de la province, les témoignages de

bénéficiaires abondent dans la région située entre Sofia-Serdica et le Danube, en particulier le long de l'Iskâr-Oescus, dans le sanctuaire de Glava Panegra et dans les environs, à la frontière entre la Mésie Inférieure et la Thrace, ainsi que dans le secteur de Montana, une

regio riche en mines d'argent et en sables aurifères où la présence d'un bénéficiaire et d'une

vexillation légionnaire est attestée dès le milieu du IIe s.

En Mésie Supérieure, la rareté des témoignages le long de la frontière du Danube, en dehors des camps légionnaires, contraste avec la forte densité de leurs autels votifs au centre de la province 212. La présence de bénéficiaires est certes attestée au nord à Stojnik dans la

région du Kosmaj, un centre d'exploitation minière de plomb et d'argent où se côtoient civils et militaires (les soldats de la cohorte II Aurelia Nova milliaria equitata c. R. en particulier),

203 CBI, 642 : Annexe 1.3 ; la localisation de Mihai Bravu sur la carte 8 du CBI doit par conséquent être

modifiée. Bien que ce lieu ce trouve légèrement à l'ouest du Danube, il est permis de penser, la pierre n'ayant pas été trouvée in situ, que comme partout ailleurs, la station dont le bf cos assumait la responsabilité ne devait pas être installée au delà du Danube. Il en va de même pour l'autel mis au jour à Neustadt à l'est du Rhin, qui a certainement été déplacé depuis l'autre rive, peut-être de la station de Vinxtbach-Ad Fines (I 10). Pour la localisation du poste de Risingham-Habitancum légèrement au nord du mur d'Hadrien, voir infra p. 174-175.

204 CBI, 616 ; la présence de uexillationes des légions V Macedonica et I Italica, ainsi que de la cohorte I

Germanorum, est attestée dans ce camp. Sur le site : ISM, V, p. 30-32.

205 CBI, 650 ; peut-être de même provenance : CBI, 632. Le fragment de plaque a été mis au jour dans les

ruines du monastère à Taitza et transporté ensuite au monastère Cocos. Selon les éd. du CIL, la provenance de cette inscription serait à chercher du côté du camp romain de Troesmis, alors que selon E. Dorutiu-Boilà (ISM, V), elle proviendrait des environs de Nifon, comme la précédente, dédiée à Diane également ; voir aussi ISM, V, 246 à 248 et Aricescu 1980, 56.

206 CBI, 633-634 et peut-être I 188.

207 CBI, 641 ; une origine locale est aussi possible.

208 CBI, 614 ; le bf cos est bouleute de Dionysopolis, de Callatis et de Marcianopolis. 209 CBI, 655.

210 CBI, 618 et 620, mais une origine locale n'est pas exclue ; voir aussi CBI, 619, 621, 622. Pour un princeps offici presidis décédé à Tomis à l'âge de 45 ans : III, 7549 - IGR, I, 629.

211 I 108 ; I 110 avec I 109 ; CBI, 638, 651, 629.

212 Le bf cos qui érige le monument funéraire de son affranchie décédée à l'âge de 14 ans, découvert en

remploi dans la forteresse de Smederevo-Vinceia, était probablement en service à Viminacium, capitale de Mésie Supérieure, plutôt que dans une station voisine (CBI, 601). Pour la localisation : IMS, II, p. 20 et 21.

et où l'on a découvert des lingots de plomb estampillés atteignant 250 à 300 kg 213. Elle est

surtout particulièrement renforcée dans la région de Novi Pazar et du vaste secteur minier de Dardanie, entre Naissus et la frontière avec la Dalmatie, ainsi que jusqu'au sud dans la région de Scupi, à la frontière avec la Macédoine 214.

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