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LES STATIONS DE BÉNÉFICIAIRES

1. O STERBURKEN ET S IRMIUM : DEUX STATIONS TYPES RÉVÉLÉES PAR L ' ARCHÉOLOGIE ET L ' ÉPIGRAPHIE

3.3. Frontières de Syrie et d'Arabie

En Syrie du Sud, à l'époque du gouvernement d'Avidius Cassius (169-175 p.C.), des bénéficiaires étaient en poste le long de la voie fortifiée reliant Damas et Bostra, dans le Hauran, et en particulier à Mismiyeh-Phaena. La présence d'une garnison dans la région ne fait pas de doute, l'épigraphie locale révélant au moins trois types de militaires, tribun, centurion et bénéficiaire, qui rappellent l'énumération des militaires dans le commentaire rabbinique vu précédemment 215. A la différence des zones frontières du Rhin et du Danube

ainsi que de la Bretagne, ce secteur en bordure de la steppe n'était fermé ni par une palissade, ni par un rempart continu. La construction de forteresses flanquées de tours – peut-être utilisées pour la signalisation optique, comme cela pouvait avoir été le cas le long du mur d'Hadrien – permettait aux Romains et aux populations locales de surveiller les passages dans le désert et se protéger des nomades, en cas de besoin. Un bénéficiaire en poste dans la région de Phaena a consacré un monument votif retrouvé in situ dans un sanctuaire local construit de plain-pied avec la route, au lieu-dit manâra Henou, au Xe mille au sud de

Mismiyeh-Phaena. Des fragments de reliefs avec des chevaux attelés à un chariot ont été découverts dans le même contexte. Par ses deux enceintes quadrangulaires concentriques, ce sanctuaire rappelle le plan des temples sémitiques, comme celui de Si'a. Le centurion de la légion IV Scythica, Aurelius Kyrinalius, en poste au même endroit et à la même période que le bénéficiaire, érigea un second autel en 169 p.C. dans un autre poste établi au sud, le long de la même voie contrôlée militairement, à Ahire-Aerita. Il fut l'un des nombreux centurions en service dans la région et plus précisément en bordure de cette voie, restaurée sous Marc Aurèle et Commode, ui[am] a Phaena Aeritta(m) restituit 216. Une mansio (ou xenôn) avait

été construite à Phaena comme le précise le gouverneur Iulius Saturninus (185-187 p.C.) dans une lettre à la population de cette cité, la “métropole de Trachôn”. Elle fit suite à leur plainte au sujet des abus exercés lors de réquisitions par des militaires et par des civils à titre privé. Le gouverneur donna raison aux habitants et les autorisa à refuser de recevoir les officiels dans leur maison privée puisqu'il existait désormais une mansio où ceux-ci pouvaient être hébergés 217. Précisons que les plaintes des habitants sont postérieures d'une

213 CBI, 604 (voir IMS, I, 109 et IMS, I, 160-165, avec carte p. 112 et 113). 214 Sur la présence de bénéficiaires dans les secteurs miniers : Chap. V p. 260.

215 I 123, avec notes (pour le contexte) et Dunand 1933 ; voir aussi Isaac 1992, 134-136 et I 122 à Seia.

Sur la question de l'existence de tours de signalisation sur le mur d'Hadrien et au nord-est de la Bretagne, le long de la côte : Woolliscroft 1991 et Wilson 1991 (avec les remarques d'Ottoway 1997).

216 Dunand 1933, 538 n° 1 - IGR, III, 1114. Le même centurion est en poste en 169 p.C. à Aerita sur la

même route : IGR, III, 1179. Pour d'autres inscriptions de centurions en poste à Phaena, voir IGR, III, 1113 et 1120 (avant 169 p.C.), 1116 (entre 185 et 192 p.C.), 1117, 1118, 1121 et 1122 : ce centurion Petusius Eudêmôn est honoré par les habitants de Phaena où il était stationné (IGR, III, 1121). Il en va de même pour l'un de ses collègues centurions, Iulius Germanus, en poste à Aera (IGR, III, 1128). Pour la présence d'un tribun à Phaena : IGR, III, 1123. Sur la restauration de la route : Dunand 1933, 543 a.

217 IGR, III, 1119. Sur ce gouverneur : Thomasson 1972-1990, 313-314.65 ; sur le site : Isaac 1992, 135-

dizaine d'années seulement au stationnement du bénéficiaire en question. Ce dernier ou ses collègues dans le poste, ainsi que les centurions connus dans le même contexte, faisaient-ils partie de ceux qui auraient abusé de leur pouvoir auprès de la population de Phaena, ou auraient-ils agi dans l'affaire en question comme intermédiaires entre le gouverneur et les locaux?

Un autre bénéficiaire d'Avidius Cassius, ou du moins en fonction au moment où ce dernier exerçait son pouvoir en Orient, pourrait avoir stationné au sud-est de Phaena, à Shahba plus précisément, la future Philippopolis de l'empereur Philippe. La présence du centurion Petusius Eudêmôn, également connu à Phaena, y est attestée vers 176-178 p.C. 218

C'est ici, dans la patrie de Philippe, qu'au milieu du IIIe s., lors de sa récente nomination

comme petitor, le bénéficiaire Cassius Timotheus célébra le neveu de l'empereur, le fils de son frère C. Iulius Priscus, préfet de Mésopotamie selon notre inscription, et gouverneur de la Syrie. Son titre de rector Orientis rappelle qu'il était à la tête de deux provinces, celle, équestre, de Mésopotamie, et celle de Syrie, une province impériale consulaire. En offrant son monument et célébrant la famille de son supérieur, Timotheus, devenu petitor, cherchait peut-être à le remercier lui et sa famille du soutien témoigné en relation avec sa promotion dans la carrière équestre 219.

Au nord de Bostra, à Si'a-Seia, la présence du monument votif à la forme et au décor très particuliers, érigé par un certain Luci[us ---]onius, un bénéficiaire rattaché à la légion X Fretensis, pose la question d'un éventuel stationnement local, ainsi que celle de la date à laquelle il aurait eu lieu. Cette légion fut d'abord installée au nord de la Syrie, à Cyrrhus, puis en Judée à Jérusalem, depuis la prise de cette ville en 70 p.C. jusqu'à son déplacement à l'époque de Caracalla ou d'Élagabal à Aila en Arabie, près de la mer Rouge. L'installation d'une station de bénéficiaires – le titre de son supérieur n'est pas connu avec certitude – semble peu probable à une époque aussi élevée que les années précédant 70 p.C., soit lors du séjour de cette légion dans la province. Serait-elle en relation avec le pouvoir suprême d'Avidius Cassius en Orient? La position particulière d'Avidius Cassius et son imperium suscitaient la collaboration militaire de plusieurs provinces orientales, ce qui pourrait expliquer le détachement à son service et dans son officium d'effectifs militaires supplémentaires 220. La présence du bénéficiaire à Seia, si l'on admet qu'il s'agissait bien d'un

bénéficiaire d'Avidius Cassius et non pas de celui d'un légat de légion, serait dans ce cas contemporaine du stationnement d'autres bénéficiaires et centurions dans la région et notamment à Phaena. Un détachement au cours du IIIe s. pourrait aussi être envisagé

puisqu'à cette époque la région de Seia était rattachée à l'Arabie, la province dans laquelle la légion X s'était établie 221.

218 I 189 avec IGR, III, 1195 (voir ci-dessus n. 216). 219 CBI, 708 : voir Chap. III p. 130.

220 I 122 ; sur le site et le contexte : supra p. 168 ; sur CBI, 700, ainsi que CBI, 707, qui nous paraissent

devoir être écartés : Annexe 1.2 ; à Phaena : I 123. Pour d'autres exemples de bénéficiaires détachés dans des provinces voisines, voir par ex. CBI, 152 et 159 : Annexe 1.3, et Chap. II p. 79-80.

221 On a mis au jour sur le site de Seia un temple important d'époque romaine avec des inscriptions en

l'honneur d'Hérode Le Grand et d'Hérode Agrippa. Le temple était consacré à Ba'al Samin le maître des cieux, et d'autres divinités y étaient invoquées, notamment Dusarès, ainsi que la divinité topique ou éponyme de Seia, mentionnée dans une inscription bilingue, en grec et en nabatéen. Sur les fouilles entreprises par l'expédition de l'Université de Princeton : Dussaud 1927, 368-369. Sur le site : Sartre 1991, 329-330, et Millar 1993, 394-396 et 419, qui met en évidence le caractère de lieu de culte et le rattachement possible du site au territoire de Canatha, où un centurion de la légion IV était posté : IGR, III, 1230 ; sur la légion : Ritterling 1925, 1674.

C'est au milieu du IIIe s. que le bénéficiaire Flavianus stationnait plus à l'ouest, à

Dera'a-Adraha 222. Un autre avait peut-être été envoyé à Nedjran, à l'ouest de Philippopolis et

au nord-ouest de Seia, où il serait décédé pendant son service. Au nord-ouest de Damas, dans le prolongement de la voie qui, de Bostra, se dirigeait vers le nord, un bénéficiaire du gouverneur était posté à Souq Wâdi Barada, sur le territoire de l'antique Abila Lysaniae 223.

D'autres se trouvaient en service détaché le long de la route reliant Bostra et Aila, en direction du sud. L'un d'eux se trouvait dans la région d'Umm idj-Djimâl où il a pu assumer ou superviser des travaux de construction, un autre à Ammam-Philadelphia en Arabie, sous le gouvernement de Claudius Capitolinus, en 245-246 p.C., et un troisième plus au sud, à

Petra. Ce bénéficiaire du nom de Victorinus n'a pas précisé le titre du supérieur sur son autel

consacré à un dieu portant l'épithète επηκοος et mis au jour in situ à Al-Batra - Selah, dans le défilé du Sîq permettant d'accéder à la cité de Petra. L'autel se trouvait sur un chemin doté de niches cultuelles et considéré comme un passage de procession vers un sanctuaire ouvert à la fois aux cultes hellénistiques, nabatéens et romains 224. Il était consacré

vraisemblablement à Zeus Dusarès, dont le culte est également attesté dans les sanctuaires de Phaena et peut-être dans celui de Seia 225. Bien que la présence romaine soit attestée au

sud de l'Arabie jusque vers Mada'in Salih et Al Ula-Hegra, soit à quelque 900 km au sud de

Bostra, siège de la légion III Cyrénaïque, le détachement de bénéficiaires dans cette région a

été à juste titre sérieusement démenti 226.

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