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La carrière interne des bénéficiaires légionnaires au sein d'un

LES DIVERS TYPES DE BÉNÉFICIAIRES :

6. L ES BÉNÉFICIAIRES DANS LES LÉGIONS

6.2. La carrière interne des bénéficiaires légionnaires au sein d'un

officium

Dans les provinces, les militaires promus comme bénéficiaires d'un officier ou d'un gouverneur ne peuvent que rarement aspirer à des promotions supérieures ou à un poste de commandement 212, comme le montrent les listes de soldats mis en retraite et les inscriptions

funéraires. Les postes de centurion sont rares, et les militaires sélectionnés sont choisis à la fois dans les troupes d'élite et dans les légions, ce qui accentue encore une concurrence déjà forte. On estime généralement que 90 postes de centurion sont à repourvoir chaque année, alors que nous évaluons à moins de 1,5 % le nombre des légionnaires ayant revêtu un poste de bénéficiaire et réussissant à obtenir une promotion au delà de ce poste. Dans les provinces et parmi les légionnaires, la nomination comme centurion s'obtient en général avec l'accord ou la confirmation de l'empereur, sur proposition du gouverneur, lui-même conseillé par ses subordonnés, ou parfois directement par le gouverneur 213.

L'étude des carrières des bénéficiaires nous renseigne sur le type de formation ou sur les expériences requises pour être en mesure d'assumer ces fonctions. Il est certain que ces militaires devaient avoir des connaissances linguistiques de base, orales et écrites, en plus des exigences normales et habituellement attendues d'un soldat romain. Ils devaient en outre avoir été remarqués par l'un de leurs supérieurs pour leurs qualités personnelles. Mais si l'on se fie aux inscriptions qui les font connaître, et en particulier celles qui mentionnent une carrière ou un âge, la promotion d'un légionnaire à un poste de bénéficiaire, dans les

208 CBI, 772-774, où dans les trois cas le supérieur est qualifié de patronus. Pour un ostiarius des préfets

du prétoire promu en fin de carrière comme centurio frumentarius puis primipile : ILS, 9074 et Domaszewski & Dobson 1981, X. Sur leurs fonctions : Chap. V P. 212. La charge de custos domi figure parmi les opera vacantes de la légion III Cyrenaica, en 90 p.C. (PGenLat, 1, I verso, part IV, col. II - Fink 1971, 210-212, 58. A cette époque et dans ce contexte, il peut s'agir d'un immunis “attaché au logement d'un officier” : cf. Lesquier 1918, 230. Pour un autre exemple de soldat employé comme portier ou θυρωρος dans la maison d'un gouverneur de Pannonie : Dion Cassius 79.13 : ce soldat nommé Aelius Deccius Triccianus deviendra sous Macrin le gouverneur de la Pannonie. Les deux termes d'ostiarius et de custos apparaissent ensemble chez Pline l'Ancien, Histoire Naturelle, 12.32, en relation avec la perception de taxes à Gaza.

209 Tab. Vindol., I, 154 et Bowman 1994, 52-53, avec Speidel jun. 1995b ; voir aussi Rankov 1990b et

Davies 1976.

210 Sur les stratores : Speidel 1992a, 137-139 ; voir aussi Chap. VI p; 282-284 ; sur l'absence de stratores

auprès des proconsuls : Digeste, 1.16.4 (cité supra p. 105 n. 113).

211 Domaszewski & Dobson 1981, 37, avec CBI, 783 et 784 (haruspex). 212 Voir infra p. 126-129 et dans le même sens, Speidel 1992b.

213 Par ex. CBI, 820 ; Breeze 1997, 85 et n. 72 p. 88 qui sans mentionner l'empereur insiste sur le rôle du

gouverneur dans la décision; en contraste, voir l'exemple en Égypte (154-158/9 p.C.) du centurion factus ex pagano

provinces, semblerait souvent correspondre à une première (et même unique) étape de carrière. Cela s'observe à tous les niveaux, dans l'officium d'un tribun, d'un légat ou préfet de légion, d'un procurateur ou d'un gouverneur. Mais il est vrai que les documents épigraphiques peuvent toutefois être trompeurs sur ces questions dans la mesure où les étapes antérieures d'une carrière militaire ne sont que rarement évoquées 214. C'est le cas en

particulier dans les inscriptions votives qui, rappelons-le, correspondent à plus de la moitié des documents épigraphiques du dossier. Plusieurs d'entre elles confirment la promotion possible de frumentarii comme bénéficiaires d'un gouverneur, ou leur présence sur une liste d'attente 215. Ces anciens frumentarii, comme leurs collègues désignés comme candidati,

attendent à Lambèse qu'une place se libère parmi les bénéficiaires du gouverneur, ou peut- être, dans certains cas, un avancement comme speculator 216. Ce même titre de candidatus se

retrouve dans une liste fragmentaire de militaires d'Apulum, avant celui d'un bénéficiaire du gouverneur consulaire 217.

Nous connaissons quelques militaires qui avaient accompli comme ces frumentarii au moins une étape ou fonction antérieure à leur promotion comme bénéficiaire. Parmi ces exemples, qui demeurent isolés, signalons en premier lieu, durant le IIIe s., celui d'un

quaestionarius en Maurétanie Césarienne. Sa promotion comme bénéficiaire a

probablement eu lieu au sein de l'officium du procurateur gouverneur 218. De même,

l'armicustos nommé comme bénéficiaire était probablement employé dans l'officium du gouverneur d'Espagne Citérieure, si l'on songe à la tradition des copies de l'inscription funéraire 219. Nous connaissons aussi un librarius promu au poste de bénéficiaire à l'intérieur

d'un même officium, celui d'un légat de la légion de Mayence 220. Enfin, un document

pourrait faire songer à la promotion d'un tesserarius au poste de bénéficiaire, puis à celui de corniculaire d'un gouverneur de Dalmatie et un autre à celle d'un option promu comme bénéficiaire du gouverneur de la même province 221.

214 Un frumentarius pouvait auparavant avoir été employé comme adiutor, sans doute en attendant qu'un

poste se libère, ou peut-être comme librarius IMS, II, 36 : D(eae) R(eginae) N(emesi) Ael. Pompeianus quod

adiutor pomisi (!) fr(umentarius) posui ; voir aussi CBI, 585 : Annexe 1.2, avec Haensch 1995b, ainsi que

l'inscription funéraire du centurion Verecundinus (supra n. 191): ce militaire avait déjà revêtu deux postes avant sa promotion comme frumentarius, détail qui nous aurait échappé si l'on ne le connaissait que par une inscription votive.

215 Voir Annexe 8. Pour une telle promotion observée dans une inscription funéraire : CBI, 841. A Sirmium, plusieurs des bénéficiaires étaient auparavant des frumentarii. Liste d'attente : CBI, 784 : Annexe 1, avec

les noms de 6 candidati et de 5 ex frumentariis, à la suite de ceux des 30 bénéficiaires du gouverneur. Le ex qui précède le titre de frumentarius indique que les soldats en question, sans avoir terminé leur service obligatoire, ne sont plus en fonction en qualité de frumentarii. Aucune trace de frumentarii ou d'ex frumentariis n'apparaît en revanche dans la liste pourtant complète CBI, 783.

216 Pour des exemples de frumentarii promus directement comme speculatores : supra p. 119-120. Sur un

hypothétique candidat speculator : Dupuis 1992b, 155.

217 CBI, 502.

218 CBI, 821 : Annexe 1.3, à Aïn El-Kebira-Satafis. 219 CBI, 846, à Tarragone.

220 XIII, 7003 - ILS, 9092a avec CBI, 135, II-IIIe s., à Mayence : Quietius Secundus, lib(rarius) legati

promu bf legati. Dans le cas précis, l'identification ne fait pas de doute, et cela pour deux raisons : les deux monuments proviennent du même site et du même contexte et les noms des parents se retrouvent dans les deux inscriptions.

221 * I 178 ; mais il s'agit d'un document fragmentaire dont la lecture est incertaine, le titre de bénéficiaire

L'expression bf leg(ati) uouit bf cos soluit montre qu'au IIe s. p.C., un bénéficiaire

pouvait être promu dans l'officium d'un supérieur de rang plus élevé 222. D'abord employé

comme bénéficiaire dans l'officium d'un légat de légion, Cocceius Cassius a été promu à une position comparable, mais dans l'officium du gouverneur de la province. Cette promotion rappelle d'une certaine manière la lettre de Iulius Apollinaris déjà évoquée plus haut qu'il adresse à son père le 26 mars 107 p.C. 223 : “Les autres taillent des pierres toute la journée [--

-] tandis que moi, jusqu'à présent, je n'ai rien connu de cela. C'est que j'ai demandé au consulaire υπατικος Claudius Severus de me prendre comme librarius, με λιβρανιον εαυτου. Il n'y a pas de poste, me dit-il, mais je te nommerai néanmoins, en attendant,

librarius de la légion, avec espoir de promotion. C'est ainsi que je me suis rendu du

consulaire de la légion vers le corniculaire”.

Des avancements du même type de l'officium d'un légat de légion dans celui du gouverneur consulaire s'observent également ailleurs dans d'autres provinces, si l'on admet l'identification de certains bénéficiaires homonymes, dont les noms réapparaissent sur des monuments différents. Ce serait ainsi le cas par exemple de Iulius Iulianus, Aelius Ingenuus et Tib. Iustinius Titianus, ainsi que peut-être de Iulius Candidianus ou d'Aurelius Hermias en Numidie. Dans ce dernier cas toutefois, le bénéficiaire a pu exprimer sa soumission à son supérieur en le présentant une fois sous son titre de légat de légion et une autre fois sous celui de gouverneur consulaire 224. Si l'identification du bf proc. T. Flavius Romanus à

Aquincum avec le bf cos Flavius Romanus détaché à Sirmium se révèle correcte, nous

sommes devant un exemple supplémentaire d'un bénéficiaire promu de l'officium d'un procurateur dans celui du gouverneur de la province, dans la première moitié du IIe s., en

Pannonie Inférieure 225. Dans cette même province, la présence sur le même site de

bénéficiaires du procurateur et de bénéficiaires du gouverneur est attestée à Siscia et à

Mursa, deux stations voisines de celle de Sirmium. On retrouve cette même situation à Ampelum, l'un des principaux centres d'exploitation des mines d'or de Dacie 226.

La nomination d'un bénéficiaire d'un gouverneur consulaire comme corniculaire à la tête de l'officium d'un procurateur apparaît sans équivoque sur un fragment de colonne votive du IIIe s. découvert en remploi à Preslav, en Bulgarie-Mésie Inférieure, bf cos et

cornicul. proc., demeure à notre connaissance elle aussi sans parallèle. L'expression proficiscens in bello bosporano (!) révèle le séjour du militaire dans le Bosphore, dans le

cadre d'une expédition 227. Il n'est pas exclu que par la suite il y ait été posté dans une station,

222 CBI, 584.

223 P. Mich., 466 avec Watson 1985, 77-78 et Speidel 1977, 689-692. La traduction française est inspirée

de celle de Cl. Préaux, Phoibos, 5, 1950-1951, avec toutefois une interprétation différente du passage κληρω ουν ε ενομεν απο του υπατικου της λε εωνος προς τον κορνικουλαριον, que Mme Préaux traduit : “Et c'est ainsi qu'il m'échut de devenir délégué (corniculaire) du consulaire de la légion”.

224 Iulius Iulianus : CBI, 410 avec I 16 et /ou I 70 ; Aelius Ingenuus : CBI, 636 avec I 106 ; Tib. Iustinius

Titianus : CBI, 125 avec I 161 : restitution ; Iulius Candidianus : CBI, 328 avec I 15 (?). Voir Annexe 3. Aurelius Hermias : CBI, 819 avec CBI, 784. Il s'avère peu probable que le légat gouverneur ait deux officia, l'un en sa qualité de légat de la légion III Augusta, l'autre, comme gouverneur de la Numidie, et que son bénéficiaire Hermias ait été promu de l'un à l'autre. Sur la question de l'existence d'un seul ou de deux officia dans les provinces impériales à une légion : Chap. III p. 114.

225 T. Flavius Romanus bf proc. à Aquincum (CBI, 374, IIe s.) avec Flavius Romanus bf cos à Sirmium (I

66, IIe s.). Toutefois, sur les risques d'identification d'homonymes et en général sur les dangers d'appliquer la

méthode prosopographique à une telle couche sociale et professionnelle, voir Annexe 4.

226 CBI, 565-566 et CBI, 567, avec I 186. 227 Voir à ce sujet CBI, 613 : Annexe 1.3.

en qualité de bénéficiaire du gouverneur. Dès le début du IIe s., le gouverneur de Mésie

détache successivement plusieurs de ses bénéficiaires dans le Bosphore, à Charax et à Chersonnèse 228. Cette promotion d'un bénéficiaire du gouverneur à la tête de l'officium du

procurateur s'explique peut-être par la période de troubles pendant laquelle elle se situe. Le gouverneur avait souhaité détacher auprès de son procurateur l'un de ses propres bénéficiaires, afin de s'assurer que soit maintenue une bonne coordination entre ses propres

officiales et ceux du procurateur impérial, notamment en ce qui concernait le ravitaillement

de ses troupes. Cet ancien bénéficiaire devait bien connaître la province et le Bosphore et ses fonctions de bénéficiaire dans l'officium du gouverneur l'avaient familiarisé avec les affaires placées sous la responsabilité du procurateur 229. La lacune du début du texte nous empêche

de savoir s'il a profité d'une nouvelle promotion après son poste de corniculaire du procurateur – peut-être comme centurion? – ou si le texte débutait par la mention de l'affectation du militaire ou par un titre de vétéran 230.

Les quelques exemples connus de bénéficiaires promus hors de l'officium ou transférés d'un officium à un autre ne doivent pas voiler l'ensemble des documents qui révèlent au contraire de manière relativement constante l'attachement à un officium. Nos réserves face à l'identification de militaires sur l'unique base de leur homonymie ne soutiennent guère l'élaboration théorique de carrières organisées selon un schéma fortement structuré 231. En dépit des remarques émises plus haut sur la nature des inscriptions et l'aspect

parfois trompeur de leur enseignement, il semble néanmoins possible de conclure que les légionnaires employés comme officiales et plus précisément ceux qui nous concernent ici ne suivent pas dans l'ensemble un parcours bien structuré, avec une succession régulière de postes différents. Ils se distinguent en cela de ceux des cohortes prétoriennes en particulier, dont le profil de carrière est établi, nous l'avons vu, de manière à former les futurs centurions des cohortes romaines et légionnaires. Dans les provinces, une fois atteinte une position de bénéficiaire dans un officium, celui d'un tribun, d'un procurateur, d'un gouverneur, et sans doute aussi d'un légat de légion, la plupart de bénéficiaires légionnaires la conservent jusqu'à

228 Sur la présence en particulier de stations dans le Bosphore, voir CBI, 658 à 661, avec notre

commentaire dans Annexe 1.3 ; voir aussi Sarnowski 1991, 142 n. 21. Nous ne le suivons pas en revanche losqu'il localise une station de bénéficiaires à Mihai Bravu en Valachie, suivant en cela les éd. du CBI. C'est en Dobroudja que devait se situer la station dans laquelle se trouvait le bénéficiaire T. Caelius Catus, vers 191-194 p.C., si l'on en croit la provenance de la pierre. A ce sujet, voir CBI, 642 : Annexe 1.3 et Chap. IV p. 167.

229 I 111, IIIe s.

230 La première ligne conservée suivait probablement le terme mil(es) ou uet(eranus), mais l'abréviation ©

ne paraît pas exclue.

231 Ainsi plusieurs des propositions d'Ott 1995, 29 notes 30 et 35 basées sur l'identification d'homonymes

nous semblent difficiles à soutenir, par ex. celle du bf proc Surus en Norique (CBI, 222) avec C. Aprilius Surus bf

leg leg en Pannonie Supérieure (CBI, 294) ou même totalement impossibles, comme celle de C. Iulius Clarus uet. ex bf latic(lauii) mort à 55 ans (CBI, 800) avec l'homonyme Iulius Clarus bf cos (CBI, 784), ou encore celle de M.

Aurelius Marcianus, bf cos en 230 en Mésie Supérieure, avec l'homonyme sta(tor) leg leg (IMS, II, 115) décédé pendant sa 26e année de service, en 270 p.C. Voir aussi Aurelius Hermias (CBI, 784 et 819 ; cf. ci-dessus et Annexe

8). Sur les questions posées par l'identification de militaires homonymes mentionnés dans des monuments différents en relation avec les carrières des principales : Annexe 4.

la retraite 232. S'ils jouissent d'une promotion, celle-ci se fait en principe par voie interne au

sein de l'officium, comme l'ont montré les exemples passés en revue précédemment 233.

Même si la promotion d'un bénéficiaire d'un gouverneur comme speculator n'est jamais attestée de façon claire à l'intérieur d'un seul et même document, elle n'est pas exclue au

IIIe s. Cela pourrait être le cas de Caecilius Felix, en Numidie, dont le nom est certes très

commun, ou peut-être de Iulius Secundianus, en Pannonie Inférieure. Avant d'être promu comme speculator (son nom figure en 228 p.C. parmi les 20 speculatores qui s'associent pour restaurer leur schola à Aquincum), ce dernier aurait été détaché entre 221 et 224 p.C. comme bénéficiaire dans la station de Sirmium. Bien qu'il n'apparaisse qu'en seconde position sur les trois autels qu'il érige à Sirmium, chaque fois avec un collègue différent, il est probable qu'il ait été le responsable du poste, sinon en titre, du moins dans les faits. Ce sont les responsabilités qu'il a assumées à la tête de ce poste qui ont pu lui valoir sa promotion ultérieure 234.

6.3. Les bénéficiaires légionnaires promus à un poste de

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