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LES STATIONS DE BÉNÉFICIAIRES

4. L ES PREMIERS TÉMOIGNAGES DE STATIONS DE BÉNÉFICIAIRES

4.1. Statio et les différents types de stations

Dans le cadre des mesures prises pour lutter contre le brigandage et en vue du maintien de la sécurité intérieure, Auguste, suivi en cela par Tibère, mit en place des postes de garde ou stationes militum à des endroits spécifiques, per oportuna loca 260. Plusieurs

témoignages concordent pour montrer qu'au premier siècle déjà, des soldats étaient détachés dans les provinces au sein de la population locale, en dehors de leurs forteresses militaires. Une inscription de 61 p.C. en Thrace mentionne par ailleurs la construction d'édifices destinés à recevoir les personnalités et les militaires en déplacement officiel dans l'Empire,

tabernas et praetoria per uias militares. Elle fut ordonnée par le gouverneur de la province,

Ti. Iulius Iustus, proc. prouinciae Thraciae 261. Cette inscription rappelle celle de Pisidie,

mentionnée plus haut, et l'organisation du cursus publicus, avec l'installation de relais le

257 A High Rochester : RIB, 1262 (238-244 p.C.) et 1270 ; à Risingham : RIB, 1235 et CBI, 19 ; Rankov

1987, 248 ; sur les vexillations en Bretagne : Saxer 1967, 65-74 ; sur les renseignements : Chap. V p. 218.

258 Bowman & Thomas 1996, 314 : --- aduentu consu[laris ---] in prandio ..., le 1er mai 104 p.C. Cette

tablette découverte en 1993 nous apprend, pour le détail, qu'on lui a servi du poulet lors de sa visite à Vindolanda ; voir aussi Tab. Vindol., II 248 ii, 10-11.

259 Voir I 3a et 3b et I 154a avec CBI, 11. Peut-être en allait-il de même à Carlisle : I 3c? Mais là non plus

le titre du supérieur du bénéficiaire n'est pas clairement exprimé.

260 Suétone, Auguste, 32.1 : Igitur grassaturas dispositis per oportuna loca stationibus inhibuit ; Tibère,

37 : Stationes militum per Italiam solito frequentiores disposuit.

long des voies de communication, les mansiones et mutationes, à proximité des cités ou des

uici, tels qu'ils sont indiqués dans les itinéraires anciens. Ces relais étaient ouverts aux

dignitaires de haut rang ainsi qu'aux membres de l'officium du gouverneur au cours de leurs déplacements, mansionem omnibus qui erunt ex comitatu nostro et militantibus ex omnibus

prouincis, lorsqu'ils étaient en possession d'une autorisation ou diplôme accordé par

l'empereur et portant sa signature 262.

S'appuyant essentiellement à l'origine sur la population locale et sur la responsabilité des magistrats locaux, là où une structure municipale existait déjà, l'organisation du cursus

publicus fut confiée à un praefectus uehiculorum, à l'époque d'Hadrien, avant d'être placée

sous la supervision des préfets du prétoire, jusqu'au IVe s. Si les constructions en relation

avec le cursus publicus étaient en principe financées par le fiscus depuis Hadrien, les charges entraînées par le fonctionnement des relais, ou du moins une partie de ce financement, reposaient encore sur les habitants de la province, et en particulier sur la population locale établie en bordure du tracé des voies de communication, notamment par le biais des taxes qui leur étaient imposées. Cela pourrait expliquer que la structure des stations du cursus aient pu en quelque sorte coïncider avec des stations du fisc et peut-être aussi avec celles des bénéficiaires 263. La parcimonie des témoignages mettant en relief le rôle assumé

par le praefectus uehiculorum en dehors de l'Italie n'est pas fortuite. Dans les provinces, la responsabilité du bon fonctionnement du cursus publicus incombait au gouverneur, de même que l'entretien des voies de communication et la surveillance de l'acheminement des transports des hommes et des marchandises, comme l'ensemble des affaires concernant la province, le commandement militaire des troupes, la gestion harmonieuse des finances, l'exercice de la justice et le maintien de la sécurité sur l'ensemble de la province. Il y engageait l'ensemble de ses forces et de ses collaborateurs, parmi lesquels ses bénéficiaires, qui apparaissent partout dans la province, dans leurs contacts avec la population locale 264.

Le grade ou le type des militaires détachés dans les divers postes militaires établis aux endroits stratégiques et d'intérêt économique était adapté aux conditions locales, comme le montre clairement et en détail la correspondance de Pline avec l'empereur Trajan. Dans les petites cités, un simple soldat suffit, miles qui est in statione Nicomedensi scripsit mihi, tandis que la présence d'un centurion en charge d'une regio s'imposait dans celles qui jouissaient d'une importance particulière. C'était le cas notamment des cités importantes d'un point de vue économique par leur situation au carrefour des grandes voies de communication, praecepisti Calpurnio Macro clarissimo uiro ut regionarium centurionem

Byzantium mitteret ; ... ea condicio est civitatis Byzantiorum confluente in eam

262 Chap. II p. 74 et Mitchell 1976.

263 Chap. IV p. 133 n. 2, 154, 168-169, 174, avec des ex. de sites abritant une statio et une mansio, en dépit

de rares témoignages archéologiques sûrs ; sur le cursus publicus : Holmberg 1933, Pflaum 1940, ainsi que Van Berchem 1937 (suivi de Berchem 1977 et de la discussion sur des mansiones et de la date de l'annone militaire), avant les découvertes d'inscriptions importantes sur la question et les études de Frend 1956, Mitchell 1976 et Zawadzki 1960. Récemment et en particulier pour la Bretagne : Black 1995 ; sur les mesures prises et répétées selon la tradition par les “bons” empereurs pour soulager la population locale du fardeau du cursus : Kolb 1995. Pour une discussion sur les bénéficiaires et leurs relations controversées avec le cursus publicus : Épilogue p. 333-335.

264 Sur l'importance de la santé des finances municipales aux yeux des autorités romaines : Pline 10.18.

Cet aspect y est mis en évidence vu le caractère de la mission spéciale de Pline : Rationes autem in primis tibi rerum

commeantium turba. Ces militaires étaient chargés, en collaboration avec les magistrats

locaux, du maintien de l'ordre, de la justice et de la sécurité, d'aider les cités à organiser la gestion de leurs finances, et d'informer le gouverneur lorsque des troubles nécessitaient un renforcement militaire 265. Dans les inscriptions contemporaines, surtout à partir de 150 p.C.

et dans les provinces impériales en particulier, les militaires de rang inférieur au centurion, sans commandement de troupes et en service détaché, employés à ce genre de fonctions parmi les civils, apparaissaient le plus souvent comme des beneficiarii (du gouverneur), plus rarement comme des immunes, optiones ou candidati, lorsqu'ils ne figuraient pas sous la désignation commune de stationarius.

Sous le regard officiel de l'empereur et de ses gouverneurs, celui de Pline par exemple, dans des conditions certes singulières, le détachement d'un soldat (et celui d'un centurion en particulier) représentait un privilège accordé à une ville. Ainsi Trajan craignait de créer un précédent s'il accordait à une cité comme Iuliopolis la présence d'un praesidium dirigé par un centurion 266. Ce point de vue des autorités romaines contraste certes avec celui

des populations locales, nous l'avons vu précédemment avec le commentaire rabbinique, ces derniers ressentant souvent comme une charge la présence de militaires dont ils devaient assurer le logement et l'approvisionnement, et auxquels ils devaient verser différentes taxes ou surtaxes, sans parler des extorsions 267. Mais il trouve aussi à l'occasion des confirmations

dans l'épigraphie. Citons à titre d'exemple une inscription de la première moitié du IIIe s.,

découverte en Phrygie, où il est question d'une dispute entre villages au sujet de la contribution que chacun d'eux devait verser pour le cursus publicus. Insatisfait des réponses des procurateurs impériaux, parvenues par l'intermédiaire d'un optio, le représentant de l'un des villages leur demande l'aide d'un stationarius détaché sur place, une proposition qui sera acceptée par l'un des procurateurs 268. Dans une inscription de Galatie, les autorités locales de

la mhtrÒpoliw d'Antioche célébrèrent le centurion regionarius Aurelius Dionysius, évoquant son rôle dans le maintien de la justice et de la paix dans la région, §pieik¤aw te ka‹ t×w efirÆnhw. C'était également en signe de reconnaissance pour les services rendus que les cités de Dionysopolis, Callatis et Marcianopolis en Mésie Inférieure ont accordé au bénéficiaire M. Pompeius Lucius le titre de bouleute, alors qu'il était encore en service militaire 269.

Au milieu du IIe s., un véritable programme de grands travaux de construction a été

entrepris par le gouverneur de la Thrace, à l'instigation d'Antonin le Pieux, afin d'assurer la protection de la province, praesidia et burgos ob tutelam prouinci(ae) Thraciae. Le type et le nombre des postes per fines ciuitatis Serd(ic?)ensium regione Dyptens(ium?) sont

265 Pline 10.74, 77 et 78, avec Merkelbach 1999 (regionarius centurio et non legionarius centurio). Pour un

inventaire général des soldats dans les villes : MacMullen 1991, 319-329.

266 Pline 10.77 et 78.

267 Robert 1943 et Chap. II p. 74-75.

268 Frend 1956, part. 47 l. 32-33 : Vale(n)s (dixit) : Ανοσσηνοι α ιουσιν στατιωναριον λαβειν Philocurius proc. (dixit) οπως τηρ(?)ηται τα κεκριμενα δωσω στατιωναριον. Outre l'attitude positive des villageois par rapport à

la présence d'un stationarius sur place, si rarement attestée dans les sources, ce document met en relief plusieurs détails intéressants. On retiendra par ex. l'existence d'un option dans l'officium du procurateur affranchi, dans une position et des fonctions qui rappellent ceux des beneficiarii, ainsi que la décision du procurateur affranchi d'envoyer un militaire stationarius sur place. On ignore s'il détenait lui-même ce pouvoir de décision ou s'il avait dû contacter les autorités supérieures. Sur les stationarii et en particulier les prétoriens dans les provinces proconsulaires : Chap. III p. 103-106.

269 IGR, III, 301 = 1490 ; CBI, 614 avec Chap. VII p. 315 ; voir aussi I 121. Sur les fonctions et le

précisés : 4 praesidia, 12 burgi et 109 phruri ; ces détails nous permettent de nous faire une idée de l'importance des travaux de type militaire dans un secteur où la présence de bénéficiaires est par ailleurs intensément attestée 270. Sur l'initiative des gouverneurs et

parfois de l'empereur, des ouvrages de ce genre se mettaient en place dans tout l'Empire, dans les agglomérations urbaines, les villages, le long des routes. Leur densité variait selon les circonstances et le caractère militaire ou économique plus ou moins marqué de la région. Ils nous sont connus par les documents épigraphiques et les textes, ainsi que l'archéologie, sans interruption, jusqu'au IVe s. Le règne de Commode livre plusieurs exemples

d'entreprises de ce genre destinées à la sécurité des provinces, sous l'instigation des gouverneurs. A Intercisa en Pannonie Inférieure par exemple, où la présence de bénéficiaires du préfet de la garnison et du gouverneur est bien attestée dans les sources épigraphiques, un programme de construction de burgi et de praesidia a été mis sur pied vers 185 p.C., ripam

omnem bu[rgis] a solo extructis, item praes[i]dis per loca opportuna ad clandestinos latrunculorum transitus oppositis. En Afrique, Commode charge son procurateur Cl.

Perpetuus de construire près d'Auzia en Maurétanie Césarienne de nouvelles tours et d'en restaurer d'anciennes, pour la sécurité des habitants de sa province, securitati prouincialium

suorum consulens. Des troupes militaires étaient établies dans cet endroit, où nous

connaissons le monument funéraire d'un bénéficiaire du commandant militaire, érigé de son vivant et pendant son service. En 230 p.C., les autorités d'Auzia et la population locale ont construit un [m]acellum cum porticibu[s et po]nderibus omnibusque o[rnam]entis 271.

Vers la fin du IIe s, selon les termes de Tertullien, des stations militaires étaient

réparties dans toutes les provinces, latronibus inuestigandis per uniuersas prouincias

militaris statio sortitur, destinées à lutter contre l'ensemble des ennemis de Rome, les latrones, voleurs, brigands et tous les types d'insoumis 272. Le contexte dans lequel il évoque

ces stationes militaires s'inscrit dans sa critique des principes juridiques qui ont abouti aux persécutions des chrétiens, en particulier dans l'attitude exprimée par Trajan dans sa correspondance avec Pline. C'est dans la même approche qu'il décrit ailleurs les activités policières des bénéficiaires, insistant précisément sur leur rôle dans la lutte contre les chrétiens 273.

L'étendue sémantique du terme statio est considérable. Il peut s'employer en effet pour désigner un lieu de garnison, une base navale, un poste de garde ou de surveillance militaire dans le contexte d'un camp ou d'un castellum, un relais du cursus publicus, une station routière, une station de douane, une place de commerce, une station fiscale ou un poste de péage, un poste de police ou une station de bénéficiaires 274. Chez Tertullien comme

270 III, 6123 - ILBR, 211, en 151-152 p.C., à Bâlgarski Izvor en Bulgarie, non loin de Glava Panegra et du

secteur voisin, où la présence de nombreux bénéficiaires est attestée (cf. infra p. 261) ; voir aussi III, 3385 (n. suiv.).

271 A Intercisa, III, 3385 - ILS, 395 ; près d'Auzia, ILS, 396 avec CBI, 827-830 ; le macellum : VIII, 9062 - ILS, 5590.

272 Tertullien, Apologétique, 2.8. Sur le contexte : Carrié & Rousselle 1999, 117. 273 Voir Chap. V p. 222.

274 Sur les divers sens et emplois du terme statio : OLD, s.v. 1918, et Giardina 1977, 77-79 ; de Ligt 1993,

29 et 76 (place de commerce) ; pour l'expression stationem a[g]ens dans le sens général de monter la garde : Fink 1971, 58 II 14 - Daris 1964, 55 (c. 90 p.C.) ; la même signification, dans les camps ou castella : PGenLat, 1 5 :

sta(tio) por(tae) ou sta(tio) principis, avec Lesquier 1918, 231 ; Tite Live 6.23.12 et César, Guerre des Gaules,

5.15.3 ; voir aussi les stationarii des ostraca du Mons Claudianus (Chap. V p. 235 et 247). Pour l'emploi en grec de στατιων dans le sens d'une station de douane, dans le nome Arsinoïte : BGU, 326 II 10 (194 p.C.) : εν τη στατιωνι της εικοστης (= statio uicesimae).

dans les sources chrétiennes en général, où les bénéficiaires et les centurions sont vus de manière répétée comme les militaires impliqués à rechercher et poursuivre les chrétiens, on peut admettre que les militares stationes puissent évoquer, parmi d'autres postes militaires, les stations de beneficiarii que les inscriptions et papyrus révèlent à notre attention, sinon

per universas prouincias, du moins dans une grande majorité des provinces de l'Empire.

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