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La relative nocivité de la rétroactivité jurisprudentielle Une fois acceptée l’idée que la jurisprudence est rétroactive et non déclarative, et que la

C. Les remèdes à la nocivité de la rétroactivité jurisprudentielle

38. La relative nocivité de la rétroactivité jurisprudentielle Une fois acceptée l’idée que la jurisprudence est rétroactive et non déclarative, et que la

rétroactivité est une conséquence de l’article 5 du Code civil, le débat doit se poursuivre et se déplacer vers les remèdes à apporter à cette rétroactivité. Il convient au préalable d’identifier plus précisément les problèmes qu’elle pose.

On a pu soutenir que « dans la grande majorité des cas, l’effet rétroactif du droit fabriqué par le juge est perçu soit comme indolore, soit comme un inconvénient inévitable compte tenu de l’absence de règle préexistante3. » Il

semblerait que seuls les revirements ou les décisions novatrices puissent menacer la sécurité juridique. Le revirement porte préjudice aux justiciables car il combat des prévisions faites sur l’état révélé du droit positif. S’il fallait se risquer à une définition du revirement, il conviendrait d’en retenir une acception large : « Le revirement peut être défini comme l’abandon par un tribunal d’une solution auparavant admise, entraînant soit l’adoption d’une solution contraire à celle précédemment consacrée, soit un reversement de tendance dans sa manière de juger4. » La décision novatrice quant à elle peut porter atteinte à une pratique

1 Cf. infra, n° 185 et s. 2 Cf. infra, Partie II, Titre II.

3 B. N. CARDOZO, La nature de la décision judiciaire, trad. G. Calvès, Dalloz, coll. Rivages du droit, 2011, p. 95. 4 M. JAEGER, « Propos introductifs », Le revirement de jurisprudence en droit européen, dir. E. CARPANO, Bruylant,

2012, p. 27-28. Comp. S. MARGUERY, Contradiction et continuité dans la jurisprudence de la Cour de cassation, thèse dactyl., 1984, n° 288, p. 471 qui distingue l’arrêt contraire du revirement, estimant que « l’arrêt est l’acte, le revirement est l’effet. » Notons que ce sont bien les revirements qui nous intéressent, puisque, toujours selon l’auteur (thèse préc., n° 325, p. 533), « un arrêt contraire est un jugement, une décision, un revirement est un moment où un arrêt contraire change complètement le sens jusque-là habituel de la jurisprudence. »

uniforme développée en l’absence de droit positif explicite1 : c’est une solution de rupture, non avec la jurisprudence antérieure, auquel cas il s’agit d’un revirement, mais avec une pratique qui aurait pu se développer en l’absence de précisions contraires explicites dans le droit positif. Les prévisions alors faites par les justiciables pouvaient être parfaitement légitimes, puisqu’en l’absence de règle contraire, une coutume peut parfaitement se développer et prospérer2.

Il importe de préciser à cet endroit que tout revirement ou toute décision novatrice ne remet pas en cause des prévisions légitimes. En effet, comme cela a été dit précédemment3, tout effet rétroactif n’est pas nocif au regard de la sécurité juridique, y compris en matière de jurisprudence4. Il en va ainsi lorsque la jurisprudence valide des clauses illicites5. On parlera, plus précisément, pour les arrêts novateurs ou de revirement qui portent atteinte à des prévisions légitimes, d’arrêts apériteurs6. En ce domaine, peu importe finalement les dénominations :

il convient avant tout de savoir que les juges, en posant certaines solutions susceptibles d’être généralisées et reproduites, portent atteinte à la sécurité juridique. Ainsi, qu’importe la qualification du comportement du juge, pourvu qu’il y ait une atteinte à la sécurité juridique par l’affirmation d’une solution rétroactive. Autrement dit, « qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse7 », et elle seule nous intéresse, oserions-nous dire.

Dès lors, quelles solutions imaginer pour lutter contre les effets nocifs de la rétroactivité jurisprudentielle ?

1 Pour un exemple de contrariété entre la jurisprudence et la coutume, Cass. Civ. 11 janvier 1933, Crémieux, GAJC,

n° 133-136, p. 751 et s., spéc., p. 762 et s., condamnant les clauses commerciales, issue de la pratique notariale, car y voyant des pactes sur succession future. La Cour européenne des droits de l’Homme semble assimiler les revirements et les arrêts novateurs : CEDH, 10 oct. 2006, n° 40403/02, Pessino c. France, qui conclut à la violation de l’article 7 de la Convention (§ 37 de la décision).

2 Cf. X. LAGARDE, « Brèves réflexions sur les revirements pour l’avenir », APD, t. 50, Dalloz, 2007, n° 4, p.79, et

« Jurisprudence et insécurité juridique », D. 2006, n° 4, p. 679, prenant l’exemple de l’affaire des tableaux d’amortissements. Sur celle-ci, cf. infra, n° 155. Comp. P. DEUMIER, « Le revirement de jurisprudence en questions », Le

revirement de jurisprudence en droit européen, dir. E. CARPANO, Bruylant, 2012, p. 51 ; et l’analyse du même auteur : P. DEUMIER, « La rétroactivité de la jurisprudence est-elle constitutionnelle ? », RTD civ. 2014, p. 75-76 à propos de la décision n° 2013-336 QPC du 1er août 2013.

3 Cf. supra, n° 21 et s.

4 Cf. N. MOLFESSIS, « Les revirements de jurisprudence », La Cour de cassation et l’élaboration du droit, dir. N.

MOLFESSIS, Economica, coll. Etudes juridiques, 2004, n° 42 et s., p. 158 et s. ; « Rapport général », Les revirements de

jurisprudence. Rapport remis à Monsieur le Premier Président Guy Canivet, dir. N. MOLFESSIS, LexisNexis Litec, 2005, p. 17 et s.

5 N. MOLFESSIS, « Les revirements de jurisprudence », La Cour de cassation et l’élaboration du droit, dir. N.

MOLFESSIS, Economica, coll. Etudes juridiques, 2004, note 3, p. 159.

6 Du latin aperire, qui ouvre. L’expression est utilisée notamment par G. CORNU, « Un point de vue », RTD civ. 1992,

n° 2, p. 343.

Dans les deux cas, arrêt de revirement ou arrêt qui pose une solution nouvelle surprenant les prévisions des justiciables, il est possible de parler de revirement, que ce soit le revirement de jurisprudence classique, la jurisprudence revient sur la règle qu’elle a posée, ou qu’il s’agisse de revirement par la jurisprudence : la pratique a toujours fait ainsi, sans texte aucun, ou a toujours appliqué à la lettre un texte limpide sans que la jurisprudence n’ait eu à statuer, puis, le jour où elle le fait, elle prend tout le monde à contrepied. Il nous a paru plus clair, et surtout plus utile, d’utiliser un seul terme, l’arrêt apériteur, plutôt que d’user de cette distinction entre revirement de jurisprudence et revirement par la jurisprudence.

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39. La modulation. La solution retenant le plus l’attention est celle de la

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