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Partie II – Le fondement de la rétroactivité jurisprudentielle

Section 2 Insuffisances de l’incorporation

242. Utile, l’incorporation souffre de deux défauts. Tout d’abord, elle ne se justifie plus quand il s’agit de créations jurisprudentielles sans lien avec le texte auquel cette création est censée s’incorporer (A). Ensuite, et surtout, la théorie de l’incorporation, lorsqu’elle est utilisée pour justifier la rétroactivité de la jurisprudence, repose sur le postulat que l’interprétation d’un texte ne peut être qu’unique. Or, ce postulat paraît erroné (B).

constitutionnalité proposée par M. Y..., qu'il n'appartient pas à la Cour de cassation de modifier, ne vise aucune disposition législative et se borne à contester une règle jurisprudentielle sans préciser le texte législatif dont la portée serait, en application de cette règle, de nature à porter atteinte au principe constitutionnel de la personnalité des peines résultant des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, tel qu'énoncé par le Conseil constitutionnel ; qu'il s'ensuit que cette question est irrecevable ».

1 Cass. soc., QPC, 28 nov. 2012, n° 11-17.941, qui estime la question irrecevable si « la question posée, sous couvert

de critiquer les articles 1134 du code civil et L. 1121-1 du code du travail, porte exclusivement sur la règle jurisprudentielle, énoncée notamment au visa de ces textes. » La question concernait la jurisprudence relative à la contrepartie financière de la clause de non-concurrence. Cette contrepartie avait été imposée par la Cour de cassation dans un arrêt du 10 juillet 2002 (Cass. soc., 10 juill. 2002, n° 00-45.135, Bull. civ., n° 239, Rapport annuel 2002, p. 349) au visa de l’article L. 120-2 du Code du travail, désormais L. 1121-1. La règle jurisprudentielle est accompagnée formellement de textes, mais ils sont sans rapport avec elle.

§ 1. Incorporation et création jurisprudentielle

243. Incorporation et rattachement. La première critique concernant l’incorporation est son absence de pertinence à l’égard des pures créations prétoriennes, créations n’ayant aucun lien avec un texte. Comment affirmer que, dans de tels cas, l’interprétation s’incorpore au texte, tant leur sens sont éloignés ?

Si la critique est fondée1, il n’en demeure pas moins que le rôle de la Cour de cassation est, en droit positif, de censurer la non-conformité du jugement aux règles de droit2 et l’article 12 du Code de procédure civile définit clairement la mission du juge : il « tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. » Cela signifie que le juge, quel qu’il soit, doit rattacher sa solution à une règle de droit préexistante. Que le rattachement soit, en substance, fictif, n’empêche pas que le juge ait dû vouloir lier la solution à une règle de droit préexistante. C’est pourquoi il juste de parler de rattachement. Il peut être fictif de considérer qu’il existe toujours une règle de droit avant le jugement, mais le rattachement en lui-même ne le sera pas. Il semble possible alors de passer de l’incorporation de l’interprétation au texte, au rattachement de la création jurisprudentielle à un texte.

1 Elle l’est a fortiori dès que l’on constate que l’interprétation n’est pas un pur acte de connaissance, ce que la grande

majorité de la doctrine reconnaît désormais, distinguant entre la part de description et la part de prescription que comporte cette vision de l’interprétation. Cf. les références citées infra, note 4, p. 204. Dès lors, si l’incorporation des interprétations même est difficilement justifiable, que dire quant aux créations jurisprudentielles ? Pour des exemples de pures créations jurisprudentielles : cf. M. SAUZAY, Essai sur les procédés d’élaboration du droit employés par la

jurisprudence française en droit civil, A. Rousseau, 1904, p. 129 et s. ; M. CHRETIEN, Les règles de droit d’origine

juridictionnelle, L. Danel, 1936, p. 30 et s. ; P. MORVAN, Le principe de droit privé, Editions Panthéon-Assas, 1999, n° 379 et s., p. 328 et s. On peut citer comme exemples de pure création jurisprudentielle la connexité des créances en

matière de compensation, reprise à son compte par la législateur dans le domaine des procédures collectives (J. FLOUR,

J.-L. AUBERT, E. SAVAUX, Droit civil. Les obligations, t. 3, Sirey, 7e éd., 2011, n° 458, p. 418), ou au mécanisme de l’astreinte, également repris par la législateur (ibid., n° 165, p. 135 ; A. ESMEIN, « L’origine et la logique de la jurisprudence en matière d’astreinte », RTD civ. 1903, p. 5 et s., spéc. p. 9 : « Trouve-t-on dans le Code civil ou dans le Code de procédure civile, quelques traces de ce système ? Aucune. » Adde. M. MORNET, Du rôle et des droits de la

jurisprudence en matière civile. 1804-1904, Rousseau, 1904, p. 2 ; M. CHRETIEN, Les règles de droit d’origine

juridictionnelle, L. Danel, 1936, p. 63 et s. qui y voient une création contra legem), ou encore à la notion d’unité

économique et sociale en droit du travail, reprise également par le législateur (J. PELISSIER, G.AUZERO, E. DOCKES,

Droit du travail, Dalloz, coll. Précis, 25e éd., 2010, n° 943, p. 1039 et s.). Récemment, pour la critique d’une

jurisprudence contra legem, cf. T. LE BARS, « Positivisme, dogmatisme, réalisme et dérive de la Cour de cassation »,

Mélanges dédiés à la mémoire du Doyen Jacques Héron, LGDJ Lextenso éditions, 2008, p. 304.

Il existe également des créations dont le lien avec un texte est extrêmement faible : cf. le mécanisme de l’assurance sur la vie et l’article 1121 du Code civil, dont a pu dire que « mise à part la faculté de révocation accordé au stipulant – toutes les solutions ont été élaborées par les tribunaux en l’absence de texte » (J. FLOUR, J.-L. AUBERT, E. SAVAUX,

Droit civil. Les obligations, t. 1, Sirey, 15e éd., 2012, n° 488, p. 480). Ici encore la création a été enregistrée par le

législateur (Loi du 13 juillet 1930 sur les contrats d’assurance, désormais v. L. 132-1 et s., C. ass.).

Adde. A. BRETON, « L’arrêt de la Cour de cassation », Annales de l’université des sciences sociales de Toulouse, t. XXIII, Université des sciences sociales, 1975, p. 16-17, où le magistrat aborde le problème de la dénaturation. La solution dans son principe paraissait évidente, mais une question demeurait : quel texte viser quand c’est un testament ou un jugement qui est dénaturé ? La Cour de cassation a retenu finalement l’article 1134 du Code civil (« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi. »).

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Par exemple, nous savons d’une part que l’expertise biologique est de droit en matière de filiation et d’autre part qu’une telle solution ne découle d’aucun texte. La Cour de cassation a toutefois dû rattacher cette solution à des textes. Ainsi, dans un arrêt du 28 mars 20001, la première chambre civile de la Cour de cassation vise l’article 339 du Code civil, relatif à la contestation de la filiation naturelle établie par une reconnaissance, abrogé depuis l’ordonnance de 2005, ainsi que l’article 311-12 du même code, qui disposait que « les tribunaux règlent les conflits de filiation pour lesquels la loi n'a pas fixé d'autre principe, en déterminant par tous les moyens de preuve la filiation la plus vraisemblable », texte également abrogé par l’ordonnance de 2005. Etait visé en outre pour les besoins de l’espèce, l'article 146 du Code de procédure civile, relatif aux mesures d’instruction que peut ordonner le juge. On le voit, le rattachement existe, il n’est pas fictif, mais le lien opéré entre les textes fondant la solution, les articles 311-12 et 339 est, lui, fictif. Il n’y aurait ainsi pas incorporation, mais rattachement.

244. Pertinence du rattachement quant à la valeur de la jurisprudence. Cette théorie du rattachement peut-elle être substituée avec profit à l’incorporation ? Les vertus de l’incorporation étaient de pouvoir borner temporellement l’étendue de la rétroactivité, d’expliquer la valeur de la jurisprudence, de permettre le contrôle de constitutionnalité de la jurisprudence. Or, en parlant de rattachement, plutôt que d’incorporation, les conséquences relatives à la valeur normative de la jurisprudence et au contrôle de constitutionnalité demeurent. La jurisprudence en se rattachant à un texte prend sa valeur et, si l’on supprime le texte, la règle créée par le juge sera supprimée, à l’image du fruit tombant avec la branche ; tout comme la transmission du texte doit entraîner celle de la jurisprudence qui lui est rattachée2.

245. Inutilité du rattachement quant à la rétroactivité jurisprudentielle. Néanmoins, la théorie du rattachement se révèle insuffisante en matière de rétroactivité jurisprudentielle. En effet, le rattachement d’une création ou d’une interprétation à un texte préexistant ne permet pas à lui seul d’expliquer la rétroactivité. En quoi le simple fait de lier une règle de droit à un texte rendrait cette règle rétroactive ? L’incorporation demeure nécessaire. Dès lors, expliquer la rétroactivité de la jurisprudence en s’appuyant sur l’incorporation est relativement

1 Cass. 1re civ., 28 mars 2000, n° 98-12.806, Bull. civ., n° 103.

2 Notons que la suppression du texte n’empêche pas le juge de continuer à conserver la même solution, qui devient

alors purement jurisprudentielle. Cf. Rapport annuel 2003, p. 395 PDF : « Cette solution, qui s’appuyait autrefois sur une disposition expresse du décret du 7 octobre 1890, a été reconduite, après l’abrogation de ce texte, par une longue suite de décisions ».

insatisfaisant, puisqu’invitant à passer par une fiction, à savoir le traitement d’une création comme une interprétation. Il faudrait pour le moins trouver une raison à ce traitement indifférencié de l’interprétation et de la création, qui sont deux choses distinctes1. Mais il existe une critique autrement plus fondamentale à l’égard de la théorie de l’incorporation.

§ 2. Incorporation et unicité de l’interprétation

246. Incorporation et interprétations successives. La critique la plus importante que l’on peut faire semble-t-il à la théorie de l’incorporation est qu’elle postule l’unicité nécessaire de l’interprétation d’un texte. Un texte ne supporterait qu’une seule interprétation. Ce postulat apparaît infondé. Pour le percevoir, il convient de revenir tout d’abord au fonctionnement normal de l’incorporation. Selon cette théorie, l’interprétation d’un texte vient déclarer le sens que celui-ci a et fait corps avec lui. Il faut donc considérer que depuis l’existence même du texte, son sens a toujours été celui délivré par l’interprétation.

Supposons désormais qu’un texte soit ambigu. La jurisprudence peut, dans un premier temps, l’interpréter dans un premier sens parfaitement acceptable. Puis, dans un second temps, pour diverses raisons, les juges peuvent décider de retenir une autre interprétation, tout aussi acceptable2. Il y a ici un revirement de jurisprudence, sans création d’une règle de droit, au sens le plus fort du terme. Il n’y a qu’un basculement d’une interprétation à une autre. Dès lors, pour expliquer la rétroactivité de ce revirement, qui est assimilable ici à de la déclarativité, la théorie de l’incorporation suppose forcément l’unicité de l’interprétation. Deux interprétations ne peuvent se succéder dans le temps sans que la seconde anéantisse la première. L’interprétation la plus récente efface la précédente3.

Il est toutefois permis de s’interroger. Pourquoi un même texte ne peut-il pas être porteur de deux interprétations successives ? Il est possible de soutenir que rien ne l’impose. Comme l’a relevé M. Hervieu, « il faut admettre que l’interprétation juridique ne traduit que rarement une conséquence logique et

1 C’est ce qui sera fait dans le Chapitre 2 du présent Titre.

2 Cf. L. JOSSERAND, « Comment les textes de loi changent de valeur au gré des phénomènes économiques », Etudes de droit civil à la mémoire de Henri Capitant, Dalloz, 1939, p. 369 et s. ; P. LESCOT, « Les tribunaux en face de la carence du législateur », JCP, 1966, I, 2007. Adde. L . BACH, Rép. civ. Dalloz, v° Jurisprudence, n° 120 et 121.

3 Il en va de même en Common law. Cf. H. MUIR WATT (dir.), « La gestion de la rétroactivité des revirements de

jurisprudence : systèmes de common law », Les revirements de jurisprudence. Rapport remis à Monsieur le Premier

Président Guy Canivet, dir. N. MOLFESSIS, LexisNexis Litec, 2005, n° 10, p. 58 : « on mesure la rigueur de la fiction d’immuabilité de la common law. Parce qu’elle ne peut tolérer que deux versions opposées du droit judiciairement déclaré puissent se succéder dans le temps avec une égale prétention à incarner la vérité, la première doit s’effacer sans laisser de trace, même si cela suppose de défaire tout ce qui a été fait conformément à l’état du droit antérieur. »

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inéluctable, mais qu’elle est beaucoup plus souvent le résultat d’un choix. Or, cette observation retire une bonne part de sa justification à l’idée d’unité nécessaire de l’interprétation1. »

247. Loi d’interprétation et incorporation. Les évolutions récentes en matière de régime applicable aux lois d’interprétation témoignent d’ailleurs de ce que plusieurs interprétations peuvent se succéder sans s’effacer l’une l’autre. Rappelons que le législateur qui voudrait combattre une jurisprudence2 pourrait le faire efficacement par des lois d’interprétation3. En effet, la loi d’interprétation est censée s’incorporer à la loi interprétée, ce qui lui confère un certain effet rétroactif, lié également à une certaine déclarativité que porte en elle toute interprétation. L’interprétation législative vient alors effacer rétroactivement l’interprétation jurisprudentielle. On constate ainsi que la théorie de l’incorporation fait le lien entre l’interprétation produite par le juge et l’interprétation émanant du législateur, les deux étant déclaratives et effaçant l’interprétation précédente.

248. Une scission du régime de l’interprétation. Cependant, le parallèle entre l’interprétation législative et l’interprétation judiciaire n’est plus si évident. Déjà, la loi du 25 mars 1828 réformant la Cour de cassation était une loi interprétative, « pour l’avenir4 ». En 1908, un auteur prévient qu’ « il est absolument inexact de prétendre, comme on l’a fait à plusieurs reprises dans la discussion de la loi de 1908, qu’une loi interprétative est nécessairement rétroactive5. »

1 A. HERVIEU, « Observations sur l’insécurité de la règle jurisprudentielle », RRJ 1989, n° 23, p. 290. Dans le même

sens : O. DEBAT, La rétroactivité et le droit fiscal, thèse dactyl., 2002, n° 392, p. 363 : « Du point de vue logique il existe quelque contradiction à vouloir soutenir que deux interprétations consécutives différentes révèlent chacune le sens véritable d’un même texte. En dépit de cette réalité de bon sens, lorsqu’une interprétation nouvelle intervient, elle rétroagit tout de même. »

2 Cf. les références citées supra, note 1, p. 124 XXX pour mise à jour.

3 Pour une dénonciation de l’augmentation des lois de validation et d’interprétation rétroactives, cf. L. RUET, Def.

2004, art. 37917-1, note 4, p. 526.

Pour la capacité théorique du juge à dire si une loi est interprétative ou non, cf. J. PETIT, « A propos de la qualification : le juge et les qualifications légales », L’office du juge, Les colloques du Sénat, 2006, p. 148 et s. La Cour de cassation se livre à ce contrôle : Cass. com., 7 avr. 1992, n° 89-20.418, Bull. civ., n° 150 ; Cass. soc., 31 mars 1981, n° 80-10149 80-10152, Bull. civ., n° 291 ; Cass. soc., 21 juin 1972, n° 71-10.044, Bull. civ., n° 457 : « alors qu'une loi peut être considérée comme interprétative dès lors qu'elle se borne à reconnaitre, sans rien innover, un droit préexistant qu'une définition imparfaite a rendu susceptible de controverses ».

4 Cf. F. ZENATI-CASTAING, « Pour un droit des revirements de jurisprudence », Le droit, entre autonomie et ouverture. Mélanges en l’honneur de Jean-Louis Bergel, Bruylant, 2013, n° 15, p. 530.

5 J. BARTHELEMY, « De l’interprétation des lois par le législateur », extrait de la Revue du Droit public et de la Science politique en France et à l’Etranger, n° 3, 1908, p. 28. La loi évoquée est celle du 13 avr. 1908 venant trancher

une difficulté suscitée par la loi du 9 déc. 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Voir déjà au XIXe siècle, K.-S.ZACHARIAE, Droit civil français, traduit de la 5e éd. allemande par G. Massé et Ch.

Plus récemment, et de manière plus générale, la Cour de cassation a décidé dans un arrêt du 23 janvier 2004 que le caractère rétroactif d’une loi est désormais indépendant de sa qualité interprétative1. Par conséquent, une loi d’interprétation peut ne pas être rétroactive, et deux interprétations de la même loi vont se succéder dans le temps. Le régime des lois d’interprétation est ainsi aligné sur celui des lois de validation, autre type de lois rétroactives. Il est désormais clair que pour être rétroactive, une loi doit répondre à d’impérieux motifs d’intérêt général, peu important qu’elle soit interprétative ou non. Cette unification du régime des lois rétroactives a pour prix une scission du régime de l’interprétation2. En effet, toutes les lois, pour rétroagir, doivent relever d’impérieux motifs d’intérêt général ; mais la rétroactivité de l’interprétation législative n’est plus comparable à la rétroactivité de l’interprétation jurisprudentielle.

Une telle différence entre le régime de l’interprétation législative et l’interprétation judiciaire pourrait bien décrédibiliser définitivement la théorie de l’incorporation3. Une loi interprétative pouvant ne pas être rétroactive, pourquoi n’en serait-il pas de même pour la jurisprudence ? Autrement dit, l’arrêt du 23 janvier 2004 affirmant qu’une loi interprétative n’est pas forcément rétroactive ne montre-t-il pas que le postulat de l’unicité de l’interprétation est une pure construction de l’esprit ? Car, même lorsque le juge propose une interprétation tout à fait conforme au texte, puis une autre également conforme, – nous entendons par là, rationnelle, convaincante, acceptable –, pourquoi la seconde effacerait-elle la première ? La théorie de l’incorporation mériterait pour le moins d’être approfondie et il faut tenir pour une pétition de principe l’affirmation que « l’interprétation jurisprudentielle d’une même norme à un moment donné ne peut être différente selon l’époque des faits considérés4 ».

d’interprétation constituerait un empiètement du pouvoir législatif sur l’autorité judiciaire. Une opinion plus rationnelle refuse tout effet rétroactif aux lois interprétatives ».

1 Cass. Ass. plén., 23 janv. 2004, n° 03-13.617, Bull. Ass. plén., n° 2, D. 2004, p. 1108 et s., P.-Y. GAUTIER ; RTD civ.

2004, p. 341 et s., Ph. THERY ; RTD civ. 2004, p. 371 et s., J. RAYNARD ; JCP 2004, II, 10030, M. BILLIAU ; RDC 2004, p.791 et s., A. MARAIS ; Def. 2004, art. 37917-1, p. 525 et s., L.RUET : « Attendu qu'il ne résulte ni des termes de la loi ni des travaux parlementaires que le législateur ait entendu répondre à un impérieux motif d'intérêt général pour corriger l'interprétation juridictionnelle de l'article L. 145-38 du Code de commerce et donner à cette loi nouvelle une portée rétroactive dans le but d'influer sur le dénouement des litiges en cours ; que dès lors, la cour d'appel, peu important qu'elle ait qualifié la loi nouvelle d'interprétative, a décidé à bon droit d'en écarter l'application ».

2 Cf. P. DEUMIER, « Lois interprétatives : d’une scission à l’autre », RTD civ. 2004, p. 603 et s.

3 V. déjà, refusant d’expliquer la rétroactivité des lois d’interprétation par l’incorporation : P. ROUBIER, Le droit transitoire. Conflits des lois dans le temps, Dalloz, coll. Bibliothèque Dalloz, 2008, n° 56, p. 246 et s.

4 Cass. 1re Civ., 9 oct. 2001, n° 00-14.564, Bull. civ., n° 249, D. 2001, p. 3470 et s., rapp. SARGOS, p. 3474 et s., D.

THOUVENIN ; JCP 2002, II, 10045, O. CACHARD ; RTD civ. 2002, p. 176 et s., R. LIBCHABER, GAJC n° 11, p. 85 et s. V. égal. Cass. com., 8 févr. 2005, 04-13104, Bull. civ., n° 25.

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249. Possibilités de succession des interprétations et nouvelles formes de rescrits. L’idée de successions d’interprétations différentes tend d’ailleurs à apparaître de manière de plus en plus visible. En effet, la législation contemporaine a pour souci de protéger le justiciable qui aurait demandé à l’administration son interprétation d’un texte. On a pu parler à ce sujet de résurgence du rescrit1. Rappelons que l’institution du rescrit « a pris naissance à Rome, sous l’Empire, et que le rescrit consistait en une réponse donnée par écrit, par l’empereur ou le conseil impérial, à un particulier ou un magistrat qui avait demandé à l’empereur une consultation sur un point de droit2 ». La protection du justiciable tient désormais en ce qu’il peut s’appuyer sur l’interprétation délivrée, sans qu’un changement ultérieur d’interprétation ne puisse l’affecter. Il est alors possible que deux interprétations d’un même texte cohabitent sans se détruire.

Une des manifestations de ce genre nouveau de rescrit à fin d’interprétation se trouve à l’article L. 80 A du Livre des procédures fiscales3. Selon la doctrine, « l’idée qui gouverne ce texte est simple : les contribuables ont un droit à être traités conformément aux interprétations de la loi fiscale données par l’administration à la date de l’imposition et sur la foi desquelles ils ont aménagé leur situation fiscale4. » Le contribuable est donc protégé contre les changements d’interprétation de l’administration, par l’absence de rétroactivité de cette sorte de revirement. Il est possible de citer également en ce sens l’article L. 243-6-2 du Code de la sécurité sociale5 et l’article L. 725-23 du Code rural et de la pêche

1 B. OPPETIT, « La résurgence du rescrit », D. 1991, chron., p. 105 et s. Adde. C. WILLMANN, « La norme interprétée :

le rescrit », Le peuple et l’idée de norme, dir. P. MAZEAUD, C. PUIGELIER, Editions Panthéon-Assas, coll. Académie,

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