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Domaine de la recherche La dimension politique du sujet, particulièrement marquée quant au fondement de la rétroactivité de la

C. Les remèdes à la nocivité de la rétroactivité jurisprudentielle

43. Domaine de la recherche La dimension politique du sujet, particulièrement marquée quant au fondement de la rétroactivité de la

jurisprudence et quant aux remèdes à y apporter, justifie la réduction du domaine de notre recherche au droit civil français. Ce choix ne s’impose pas a priori : nous avons mentionné les systèmes anglais et américain et un auteur a pu qualifier le revirement prospectif, c’est-à-dire le revirement peu ou pas rétroactif, de « problématique commune » aux contentieux administratif et judiciaire1. N’est-ce pas le signe que la rétroactivité de la jurisprudence est un sujet dépassant les frontières ? Et ce, d’autant plus que les différences entre les systèmes juridiques paraissent parfois exagérées2 ? En réalité, à partir du moment où le choix a été fait de rechercher le fondement de la rétroactivité de la jurisprudence, il est nécessaire de poser un cadre homogène, où un tel fondement puisse exister. Il apparaît plus pertinent de chercher en quoi la jurisprudence est rétroactive dans le système juridique français, plutôt que de manière générale, ce qui inclurait des systèmes aux formes les plus multiples, où le rôle du juge ne serait que difficilement comparable3. Néanmoins, cette diversité pourra être exploitée dès lors que des préoccupations communes apparaissent.

Quant au choix de réduire le domaine de l’étude au droit civil, entendu au sens large de droit privé mais dont le champ pénal serait exclu, il s’explique par la particularité du procès civil, qui oppose en principe deux personnes privées. Dans un tel procès, il ne s’agit pas de faire triompher les droits de l’Homme comme devant la Cour européenne des droits de l’Homme4, de faire respecter un principe

1 F. MODERNE, « Les revirements prospectifs dans les contentieux administratif et judiciaire : une problématique

commune », Le dialogue des juges. Mélanges en l’honneur du président B. Genevois, Dalloz, 2009, p. 805 et s.

2 Cf. I. RORIVE, Le revirement de jurisprudence. Etude de droit anglais et de droit belge, Bruylant, 2003, n° 75 et s.,

p. 81 et s.

3 Cf. R. DAVID, « La jurisprudence », RRJ 1985, p. 775 et s., qui conclut sa remarquable étude de droit comparé,

p. 837-838 : « Plus que de règles techniques se rapportant à la valeur des sources du droit, la différence entre les deux groupes de pays dérive d’autres considérations. Elle tient avant tout à la différence de structure des juridictions, à leur moindre concentration et à la facilité que l’on a de les saisir dans les pays de la famille romano-germanique. On ne peut s’attendre à ce que la jurisprudence joue le même rôle si l’on considère d’une part l’Angleterre ou les Etats-Unis, d’autre part l’Allemagne, la France ou l’Italie. […] La jurisprudence, administrée dans d’autres conditions et par des juges différents [certains de carrière, d’autres non], ne peut avoir le même rôle en fait, dans les deux groupes de pays. »

4 L’importance supposée primordiale des droits de l’Homme peut expliquer que la Cour européenne module rarement

dans le temps les solutions qu’elle estime les meilleures. Cf. CEDH, 13 juin 1979, n° 6833/74, Marckx c. Belgique ; CEDH, 21 oct. 2008, n° 44421/04, Alboize-Barthes et Alboize-Montezume c. France, RTD civ. 2009, p. 288 et s., J.-P. MARGUENAUD ; CEDH, 21 juill. 2011, n° 16574/08, Fabris c. France, RTD civ. 2011, p. 732 et s., J.-P. MARGUENAUD. Les deux derniers arrêts limitent indirectement la rétroactivité de l’arrêt Mazurek, CEDH, 1er fév. 2000. Pour un refus de

modulation : CEDH, 26 mai 2011, n° 23228/08, Legrand c. France, JCP 2011, act. 742, A. MARAIS ; puis, la décision de grande chambre dans l’affaire Fabris qui refuse à son tour de moduler et infirme donc la première décision : CEDH, 7 févr. 2013, n° 16574/08, RTD civ. 2013, p. 333 et s., J.-P. MARGUENAUD.

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de légalité bafoué par l’administration1 ou encore de sanctionner un justiciable : il convient de trancher un litige entre deux individus. Le procès civil2 n’est pas monologue, il est dialogue. Si la rétroactivité nuit à une partie, à laquelle visiblement nous tendons tout de suite à nous identifier, il ne faut pas oublier qu’elle profite à l’autre partie3. L’obligation d’information dégagée tardivement et

imposée rétroactivement entraîne la responsabilité du médecin certes, mais elle permet l’indemnisation de la patiente4. Cette particularité du procès civil invite à limiter le sujet au domaine du droit civil, qui ne pourrait par exemple pas connaître le principe de la rétroactivité in mitius existant en droit pénal, puisque favoriser l’une des parties serait défavoriser l’autre5. Par droit civil, il convient donc

d’entendre l’ensemble du droit privé, à l’exception du droit pénal. Plus particulièrement, c’est la jurisprudence de la Cour de cassation qui retiendra notre attention6. Encore une fois, des regards pourront être lancés sur d’autres domaines, sans pour autant fonder et guider l’argumentation.

On le voit, dans l’univers de la rétroactivité de la jurisprudence, il est possible de croiser des concepts (le droit, le temps), des éléments techniques (l’application de la règle de droit dans le temps, la technique de cassation), des phénomènes aux contours mal définis (la jurisprudence, les sources du droit), ou encore des considérations éminemment pragmatiques (le respect de la sécurité juridique). Aborder la rétroactivité de la jurisprudence constitue donc un vaste programme, qui n’a pourtant pas encore fait l’objet d’une étude qui lui soit directement dédiée : soit c’est le phénomène de la jurisprudence7, puis du

1 Sur la différence entre le droit public et le droit privé, cf. S. FERRARI, La rétroactivité en droit public français, thèse

dactyl., 2011, n° 61, et s. p. 40 et s., not. n° 61, p. 41 : « Le droit public présente donc trois caractéristiques profondes. Il s’agit d’un droit déséquilibré, inégalitaire dans les rapports juridiques qu’il régit ; d’un droit de l’unilatéral dans les procédés qu’il autorise ; d’un droit de l’intérêt général, de l’utilité publique, dans les finalités qu’il poursuit. »

2 Auquel nous nous attacherons en particulier, à travers la jurisprudence des chambres civiles, sociale et commerciale

de la Cour de cassation.

3 C’est le fondement de la rhétorique de M. Sargos pour critiquer dans sa première partie le Rapport concernant les

revirements de jurisprudence : la rétroactivité ménage le « gentil » (le salarié, le patient) pour sanctionner le « méchant » (l’employeur, le médecin). A l’opposition des parties est jointe l’opposition, et la hiérarchisation, des principes.

Cf. P. SARGOS, « L’horreur économique dans la relation de droit (Libres propos sur le "Rapport sur les revirements de jurisprudence") », Dr. soc. 2005, p. 123 et s..

4 V. Cass. 1re Civ., 9 oct. 2001, n° 00-14.564, Bull. civ., n° 249, préc. Sur cet arrêt, cf. infra, n° 172 et n° 316. 5 P. ROUBIER, Le droit transitoire. Conflits de lois dans le temps, Dalloz, coll. Bibliothèque Dalloz, 2008, p. 233 :

« Nous aurons l’occasion de montrer que la théorie de la rétroactivité des lois favorables n’a pu sérieusement être défendue en dehors du droit pénal. Dans les procès civils, notamment où les deux parties ont des droits égaux, c’est une véritable monstruosité juridique de parler de "faveur", là où il ne peut être question que de justice. Encore une fois, l’article 2 du Code civil et la non-rétroactivité de la loi constituent une règle dont le bénéfice est égal pour les deux parties. » Adde. p. 285 : « Il y a une objection décisive contre la prétendue rétroactivité des lois favorables ; c’est que, dans un litige entre particuliers, ceux-ci ont un droit égal à se prévaloir de la règle de l’article 2 du Code civil. »

Contra : P.-Y. GAUTIER, « Pour la rétroactivité in mitius en matière civile », Mélanges dédiés à la mémoire du Doyen

Jacques Héron, LGDJ Lextenso éditions, 2008, p. 235 et s. ; C. MOULY, « Le revirement pour l’avenir », JCP 1994, I, 3776, n° 33.

6 Pour une justification de cette réduction de la jurisprudence des tribunaux judiciaires à celle de la Cour de cassation, cf. infra, n° 174.

7 V. not. F. KERNALEGUEN, L’extension du rôle des juges de cassation, thèse dactyl., 1979, D. DELON, La jurisprudence source de droit, thèse dactyl., 1980.

revirement de jurisprudence1, qui ont retenu avant tout l’attention, soit celui de la rétroactivité2. Un interstice existe ainsi pour un travail consacré exclusivement et précisément à la rétroactivité de la jurisprudence.

44. Comment organiser un semblable travail ? Un lien a été fait entre la

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