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Partie II – Le fondement de la rétroactivité jurisprudentielle

Section 1 Pertinence de l’incorporation

233. Il n’est pas inutile de rappeler les vertus explicatives attachées à la théorie de l’incorporation (§ 1), avant de montrer qu’elle pourrait être désormais une nécessité constitutionnelle (§ 2).

§ 1. Vertus explicatives

234. Présentation de l’incorporation à partir de l’exemple biblique. Quand on parle d’incorporation, il convient de préciser ce qui s’incorpore et à quoi. De manière générale, il s’agit de l’incorporation de l’interprétation d’un texte à celui-ci. La théorie de l’incorporation n’est pas une découverte française, loin s’en faut. Perelman rappelle que la théorie de l’incorporation avait pu être utilisée lors d’un conflit entre les pharisiens et les sadducéens. Il s’avère que les sadducéens rejetaient les règlements faits par les pharisiens, qu’ils ne voulaient respecter que la loi écrite et ne pas observer les règles qui dérivaient de la tradition. Pourtant, « par un trait de génie, le plus grand interprète de la Bible, le R. Akiba, qui a vécu au Ier siècle de l’ère chrétienne, a su trouver une réplique aux sadducéens. Selon lui, la loi orale qui n’est qu’une interprétation, une répétition (Michna) de la loi écrite, a été reçue par Moïse, au mont Sinaï, en même temps que la loi écrite et a été transmise oralement, d’une façon ininterrompue, par des générations d’interprètes (Pirké Avoth, I, 1)1. » Par conséquent, la loi orale ne fait qu’un avec la loi écrite, et les deux doivent être pareillement respectées.

L’incorporation consiste donc à dire que l’interprétation qui est faite d’un texte a vocation à faire corps avec lui1. L’interprétation ne serait alors au texte que ce que le sel est à un bon plat : un simple révélateur de goût, parfaitement fondu dans l’objet auquel il s’incorpore. Unis, ils ne font plus qu’un. Cette fusion s’explique par le caractère déclaratif de l’interprétation2. En effet, interpréter un texte c’est révéler le sens qu’il a toujours eu, dès son édiction. Interprétation, déclarativité et incorporation sont donc intimement liées.

235. Unique explication de la rétroactivité de la jurisprudence. La théorie de l’incorporation permet de comprendre pourquoi la jurisprudence devra être appliquée à partir de l’entrée en vigueur du texte visé. En effet, pour qu’il y ait rétroactivité, il suffit que le juge fasse subir à sa création le même régime que celui d’une interprétation. La création jurisprudentielle, en s’incorporant au texte, est censée exister depuis la naissance du texte. Il a ainsi été soutenu par Mme Marais que sans l’incorporation, il n’y aurait aucune raison que la jurisprudence soit rétroactive. L’auteur l’affirme en des termes peu ambigus : « Que l’on détache l’interprétation jurisprudentielle de la loi interprétée et du même coup, la règle jurisprudentielle perd toute raison d’être appliquée dans le passé3. » L’incorporation est même, à notre sens, la seule explication permettant de comprendre que la rétroactivité de la jurisprudence soit limitée dans le temps à la date d’entrée en vigueur du texte auquel la Cour de cassation se rattache4. Il est alors juste d’enseigner que la rétroactivité jurisprudentielle d’une part s’explique « par l’incorporation de la jurisprudence dans le texte qu’elle interprète » et que,

1 On peut penser également aux interprétations faites par le juge de sa propre décision. Cf. S. GUINCHARD, C.

CHAINAIS, F.FERRAND, Procédure civile – Droit interne et droit de l’Union européenne, Dalloz, coll. Précis, 31e éd., 2012, n° 1117, p. 780 qui mentionnent des exceptions à cette incorporation, assimilables aux cas où la décision interprétative ne se contente justement pas d’interpréter.

2 C. DEMOLOMBE, Cours de Code Napoléon, t. 1, A. Durand, L. Hachette et Cie, 4e éd., 1869, n° 115, p. 128-129 : « En

théorie, l’interprétation, c’est l’explication de la loi ; interpréter, c’est élucider le sens exact et véritable de la loi. Ce n’est pas changer, modifier, innover ; c’est déclarer, c’est reconnaître. L’interprétation peut être plus ou moins ingénieuse ou subtile ; elle peut même parfois prêter au législateur des intentions qu’il n’avait pas…, meilleures ou moins bonnes ; mais enfin, il faut qu’elle n’ait pas la prétention d’avoir inventé ; autrement elle ne serait plus de

l’interprétation. » Adde. D. DELON, La jurisprudence source de droit, thèse dactyl., 1980, p. 399 : « Le terme

"interprétation" et le qualificatif "constructive" s’excluent nécessairement l’un l’autre, l’interprétation consistant dans la recherche de la volonté réelle du législateur, la construction juridique impliquant le dépassement de la loi. »

3 A. MARAIS, « Le temps, la loi et la jurisprudence : le bon, la brute et le truand », Au-delà des codes. Mélanges en l’honneur de Marie-Stéphane Payet, Dalloz, 2011, n° 48, p. 421.

4 Le juge communautaire fonde également la rétroactivité de sa jurisprudence « sur le caractère interprétatif de ses

arrêts. » Cf. N. CHARBIT, « La limitation de l’effet rétroactif des arrêts par le juge communautaire », Les revirements de

jurisprudence. Rapport remis à Monsieur le Premier Président Guy Canivet, dir. N. MOLFESSIS, LexisNexis Litec, 2005, p. 73.

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d’autre part, « cette incorporation produit un effet dans le temps redoutable : l’interprétation s’appliquera aussi loin qu’existait le texte1. »

Ainsi, que le juge interprète ou crée une règle de droit, il y a une incorporation de l’interprétation ou de la création au texte visé. Les différences entre la déclarativité et la rétroactivité semblent s’effacer derrière le masque de l’incorporation. C’est un point qu’il conviendra d’approfondir par la suite, tant il paraît primordial et semble lié à la prohibition des arrêts de règlement2. Contentons-nous pour l’instant de retenir que c’est l’incorporation qui permet d’expliquer pourquoi la rétroactivité remonte jusqu'à l’entrée en vigueur du texte interprété.

236. La valeur de la jurisprudence. La théorie de l’incorporation permet de comprendre également que pour combattre l’interprétation d’une loi il faille au moins une loi, l’interprétation d’un règlement, un règlement3 etc. La jurisprudence « emprunte4 » à la norme interprétée sa valeur, certains ayant été jusqu’à y voir, au-delà d’un emprunt de valeur, un emprunt de nature5. Dans les deux cas, emprunt de valeur ou emprunt de nature, la jurisprudence n’a pas de valeur propre6. De même que l’aumônier militaire emprunte le grade de son interlocuteur, devenant colonel en s’adressant à un colonel et caporal en discutant avec un caporal, la jurisprudence prend le rang de la norme interprétée7. Cela signifie également que si la loi change, la règle qui y est incorporée est vouée à disparaître à l’avenir8.

1 P. DEUMIER, Introduction générale au droit, Lextenso éditions, LGDJ, coll. manuel, 2e éd., 2013, n° 376, p. 306,

pour les deux citations. Adde. GAJC, n° 10, § 6, p. 83 ; A. SERIAUX, Le Droit : une introduction, ellipses, 1997, n° 217, p. 210.

2 Cf. infra, n° 304 et s.

3 M. WALINE, « Le pouvoir normatif de la jurisprudence », La technique et les principes du droit public. Mélanges en l’honneur de G. Scelle, t. 2, LGDJ, 1950, n° 23, p. 629-630 : « Chaque fois que la règle jurisprudentielle peut être

considérée, même s’il y a là une part de fiction, comme interprétant une loi, ou au moins une règle de droit préexistante […], elle s’incorpore, par le jeu de cette fiction, à la règle qu’elle est censée interpréter. […] elle s’y incorpore en ce sens que si, naturellement, elle disparaît avec la règle qu’elle est censée interprétée, en revanche, elle ne peut être atteinte par une règle inférieure. »

4 O. DUPEYROUX, « La doctrine française et le problème de la jurisprudence source de droit », Mélanges dédiés à G. Marty, Université des Sciences sociales de Toulouse, 1978, p. 475 : « La règle jurisprudentielle ne peut avoir qu’une

valeur d’emprunt. »

5 F. ZENATI, « La nature de la Cour de cassation », BICC, 15 avr. 2003, n° 575 : « L’interprétation que la Cour de

cassation donne de la loi est constitutive d’une véritable norme […]. Cette norme ne se confond pas pour autant avec les normes formelles qu’elle interprète, bien qu’elle emprunte leur nature ; c’est la conséquence de ce que l’interprétation se fait par voie de doctrine et non par voie d’autorité. »

6 P. HEBRAUD, « Le juge et la jurisprudence », Mélanges offerts à P. Couzinet, 1974, p. 363 : « En réalité, le juge civil

a pour seul objet de son pouvoir juridictionnel les relations privées, et il les juge en fonction des règles de droit, légales ou règlementaires ; l’interprétation qu’il en donne et la jurisprudence qui s’en dégage s’incorpore, au niveau qui est le leur, et non à un niveau particulier qui lui serait propre. »

7 Il s’agit d’une coutume, résumée en la formule : « ni rang, ni grade ». Comp. art. 1er, al. 2, du décret n° 2008-1524 du

30 décembre 2008 relatif aux aumôniers militaires : les aumôniers militaires « détiennent le grade unique d'aumônier militaire, sans correspondance avec la hiérarchie militaire générale. »

8 J. BOULANGER, « Notations sur le pouvoir créateur de la jurisprudence civile », RTD civ. 1961, n° 20, p. 428 ; P.

237. Conclusion du paragraphe. L’incorporation de la création jurisprudentielle à un texte, suivant en cela le régime de la simple interprétation permettrait de comprendre l’étendue temporelle de la rétroactivité. L’incorporation justifie également la valeur que l’on attache à la jurisprudence, valeur dépendante du texte prétendument interprété. A ces vertus explicatives de l’incorporation, s’ajoute une nécessité constitutionnelle.

§ 2. Nécessité constitutionnelle

238. Le refus de transmettre les interprétations. La théorie de l’incorporation est vivifiée par les évolutions constitutionnelles les plus récentes. Afin que la question prioritaire de constitutionnalité soit efficace et que le Conseil constitutionnel n’examine pas les textes sans l’interprétation qui en est faite, il était important que l’interprétation puisse également faire l’objet du contrôle de constitutionnalité a posteriori. L’incorporation permet d’opérer cette double transmission du texte et de son interprétation. En effet, par l’incorporation, la Cour de cassation avait pu écarter toute autonomie de sa jurisprudence par rapport aux textes1.

Pourtant, au début du fonctionnement de la procédure concernant la question prioritaire de constitutionnalité2, la Cour de cassation refusait de transmettre les questions qui portaient non sur le texte, mais sur l’interprétation qui en était faite3. Dissocier ainsi le texte, susceptible d’être contrôlé par le Conseil constitutionnel, et son interprétation, insusceptible de contrôle, aboutissait à renier toute incorporation et à reconnaître ipso facto les créations prétoriennes. Lesquelles acquéraient à cette occasion une valeur supra-constitutionnelle4.

239. L’interprétation conforme délivrée par la Cour de cassation. Cependant, le comportement de la Cour de cassation, ayant pour principe la volonté de préserver son pouvoir d’interprétation à tout prix, aboutissait à un paradoxe. En effet, pour refuser de transmettre une question prioritaire de

1 Cf. N. MOLFESSIS, « La jurisprudence supra-constitutionem », JCP 2010, doctr. 1039, et les arrêts cités, n° 7, p.

1958-1959.

2 Article 61-1 de la Constitution, dont les conditions d’applications furent précisées par la loi organique n° 2009-1523

du 10 déc. 2009, entrée en vigueur le 1er mars 2010.

3 Cass. crim., QPC, 19 mai 2010, n° 09-82.582, n° 09-83.328, n° 09-87.307 (trois arrêts) : « Et attendu qu’aux termes

de l’article 61-1 de la Constitution, la question dont peut être saisi le Conseil constitutionnel est seulement celle qui invoque l’atteinte portée par une disposition législative aux droits et libertés que la Constitution garantit ; que la question posée tend, en réalité, à contester non la constitutionnalité des dispositions qu’elle vise, mais l’interprétation qu’en a donnée la Cour de cassation au regard du caractère spécifique de la motivation des arrêts des cours d’assises statuant sur l’action publique ; que, comme telle, elle ne satisfait pas aux exigences du texte précité ».

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constitutionnalité, la Cour de cassation va tantôt dire que l’interprétation ne peut être soumise au Conseil constitutionnel, et tantôt affirmer que cela n’est pas nécessaire puisque, par son interprétation, la constitutionnalité de la disposition est assurée1. Cela signifie que, dans ce second cas, l’interprétation prend la place de la disposition législative. La théorie de l’incorporation est ici respectée. Si réellement l’interprétation était détachée du texte, la Cour de cassation devrait laisser le justiciable soulever la question, l’interprétation ne venant influer en rien sur la constitutionnalité du texte. Pourtant, telle n’est pas la pratique de la Cour de cassation, qui va jusqu’à se donner des directives d’interprétation en statuant sur une question prioritaire de constitutionnalité2. L’interprétation de la Cour de cassation vient modifier le sens du texte, pour le rendre conforme à la Constitution. Ne convient-il pas d’y voir un attachement à la théorie de l’incorporation ?

De manière plus abrupte, la Cour de cassation peut profiter de la question posée pour opérer un revirement de jurisprudence3. Elle évite ainsi d’avoir à transmettre la question au Conseil constitutionnel puisque la nouvelle

1 Cass. crim, QPC, 8 juill. 2010, n° 10-90.048 : n’a pas été transmise une question portant sur l’article 665 du code de

procédure pénale, relatif au dépaysement d’une procédure dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, celle-ci ne présentant pas un caractère sérieux : « attendu qu'aux termes de l'article 61-1 de la Constitution, la question dont peut être saisi le Conseil constitutionnel, est seulement celle qui invoque l'atteinte portée par une disposition législative aux droits et libertés que la Constitution garantit ; que tel n'est pas le cas ici dés lors qu'il appartient à la Chambre criminelle, conformément à l'article préliminaire du code de procédure pénale, de veiller , lors de l'examen de la requête, au respect du principe de la contradiction ». Un auteur (N. MAZIAU, « Brefs commentaires sur la doctrine du droit vivant dans le cadre du contrôle incident de constitutionnalité », D. 2011, p. 529 et s.) en déduira que « la norme législative contestée n’est pas contraire à la Constitution dès lors que le juge apporte, par son contrôle et ses procédures, des garanties suffisantes et effectives aux droits des requérants. » (p. 532).

Par ailleurs, la Cour de cassation s’opposait à la transmission de textes jugés par les plaideurs contraires à la constitution, uniquement parce qu’ils laissaient une place à l’interprétation des juges. Cf. Cass. Ass. plén. QPC, 31 mai 2010, n° 09-70.716, Rapport annuel 2010, p. 478 : « Et attendu, d'autre part, que la question posée ne présente pas un caractère sérieux dès lors que la disposition législative n'est critiquée qu'en ce qu'elle laisse la place à interprétation, laquelle relève de l'office du juge ». En refusant une telle transmission, la Cour de cassation protégeait l’office du juge, qui est notamment d’interpréter les textes. Elle tenait ainsi, notamment, à exercer pleinement son rôle de filtre et pouvait témoigner alors de son refus de faire du Conseil constitutionnel une Cour suprême. Cf. P. DEUMIER, « Autopsie d’une polémique : la QPC, la Cour de cassation et la doctrine », Le droit, entre autonomie et ouverture. Mélanges en l’honneur

de Jean-Louis Bergel, Bruylant, 2013, p. 171 et s.

2 V. Cass. Ass. plén., QPC, 16 juill. 2010, n° 10-80.551 à propos de l’art. 417 anc. du Code pénal qui disposait que :

« Al. 1er : Le prévenu qui comparaît a la faculté de se faire assister par un défenseur. Al. 2 : S'il n'a pas fait choix d'un défenseur avant l'audience et s'il demande cependant à être assisté, le président en commet un d'office. ». L’article ne prévoyait pas d’information du prévenu à ce sujet. La Cour de cassation décide le 16 juill. 2010 que « la question posée ne présente pas un caractère sérieux au regard du principe constitutionnel des droits de la défense, dès lors que l’exercice de la faculté de se faire assister par un défenseur, prévue par l’article 417, alinéas 1 et 2, du code de procédure pénale, implique, pour être effectif, que le prévenu a été préalablement informé de cette faculté ». La directive sera mise en œuvre par Cass. crim., 24 nov. 2010, n° 10-80.551, bull. crim., n° 188. Sur cette séquence, cf. N. MAZIAU, « Brefs commentaires sur la doctrine du droit vivant dans le cadre du contrôle incident de constitutionnalité », D. 2011, p. 529 et s., spéc. p. 534. V. désormais art. 417 al. 2 : « Si le prévenu n'a pas fait choix d'un défenseur avant l'audience, le président l'informe, s'il n'a pas reçu cette information avant l'audience, qu'il peut, à sa demande, bénéficier d'un avocat commis d'office. Si le prévenu formule cette demande, le président commet un défenseur d'office. »

3 N. MAZIAU, « Nouveaux développements dans la mise en œuvre de la question prioritaire de constitutionnalité : le

filtre au service des évolutions jurisprudentielles de la Cour de cassation », D. 2011, p. 2811 et s. ; N. MAZIAU, « Le revirement de jurisprudence dans la procédure de QPC. Comment la Cour de cassation, dans son interprétation de la loi, s’inspire du Conseil constitutionnel dans son rôle d’interprète de la Constitution », D. 2012, p. 1833 et s. L’auteur prend des exemples tirés du droit pénal. La chambre commerciale semble avoir fait de même : Cass. com. QPC, 5 sept. 2013, n° 13-40.034, Bull. civ., n° 127, D. 2013, p. 2100, A. LIENHARD.

interprétation du texte sauve celui-ci d’une éventuelle inconstitutionnalité1. Ce faisant, la Cour de cassation vivifie la théorie de l’incorporation.

240. La transmission de certaines interprétations. Il ne restait plus alors à la Cour de cassation qu’à transmettre ses interprétations pour que la théorie de l’incorporation l’emporte totalement. Cela semblait inéluctable, puisque la politique rigoureuse de la Cour de cassation concernant l’absence de transmission de ses interprétations n’était pas partagée par le Conseil d’Etat2. Le Conseil constitutionnel n’hésitera donc pas, de lui-même3, à examiner les interprétations de la Cour de cassation4, qu’elle transmettra par la suite5. Par conséquent, la jurisprudence n’échappe pas au contrôle de constitutionnalité et la question prioritaire de constitutionnalité n’est plus cantonnée au contrôle de la coquille creuse que peuvent être les textes législatifs privés de leur interprétation.

Désormais, sont transmises les jurisprudences constantes des deux cours au sommet de leur ordre juridictionnel6. En revanche, sont toujours soustraites à tout contrôle les pures constructions prétoriennes7. La Cour de cassation n’hésite pas

1 On a pu soutenir que de telles modifications de l’interprétation par la Cour de cassation ne témoignaient pas de son

refus de soumettre celle-ci au Conseil constitutionnel, son attitude s’imposant par la logique de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité. Cf. N. MAZIAU, « Le revirement de jurisprudence dans la procédure de QPC. Comment la Cour de cassation, dans son interprétation de la loi, s’inspire du Conseil constitutionnel dans son rôle d’interprète de la Constitution », D. 2012, n° 3, p. 1834 : « N’est-ce pas dans la logique des institutions, telle qu’elle résulte de la révision constitutionnelle de 2008, de considérer que le Conseil constitutionnel est le gardien en dernier ressort du respect de la Constitution, son intervention n’étant alors requise qu’en cas d’impossibilité manifeste d’interpréter la loi de manière conforme ? »

2 CE, 25 juin 2010, n° 326363, Mortagne.

3 F. CHENEDE, « QPC : le contrôle de l’interprétation jurisprudentielle et l’interdiction de l’adoption au sein d’un

couple homosexuel », D. 2010, p. 2745, 1re col. : « Le conseil constitutionnel s’est toutefois posé une toute autre

question [que celle posée par la Cour de cassation]. […] Il a estimé que ce n’était pas la lettre de l’article 365 du code civil, mais la portée donnée à cette disposition par la Cour de cassation qui devait faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité. »

4 Cons. const. 6 oct. 2010, n° 2010-39, Mmes Isabelle D. et Isabelle B. à partir de Cass. Ass. plén., QPC, 8 juill. 2010,

n° 10-10385.

5 V. not. Cass. crim., QPC, 19 janv. 2011,n° 10-85.305, n° 10-85.159 (deux arrêts), qui revient sur Cass. crim., QPC,

19 mai 2010, n° 09-82.582, n° 09-83.328, n° 09-87.307 (trois arrêts). Il était question de la motivation des arrêts de Cour d’assises.

La première chambre civile a par ailleurs, semble-t-il, tenté d’utiliser la question prioritaire de constitutionnalité pour tenter de faire sanctionner une interprétation délivrée par l’Assemblée plénière et venant la désavouer. Cf. P. DEUMIER, « Les divergences de jurisprudence : nécessité de leur résorption », RTD civ. 2013, p. 557 et s., spéc. p. 561 : « S’il est plutôt remarquable qu’une Cour suprême soumette ainsi volontairement sa jurisprudence à la vérification de sa constitutionnalité, il est plus troublant que cette soumission soit le fait d’une formation venant d’être désavouée. » Le Conseil constitutionnel « précisera contrôler la constitutionnalité de l’article 53 de la loi de 1881 tel qu’interprété par l’Assemblée plénière » (ibid.).

6 Cons. const., QPC, 8 avr. 2011, n° 2011-120, , M. Ismaël A, § 9 : « Considérant, en dernier lieu, que, si, en posant

une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition, la jurisprudence dégagée par la Cour nationale du droit d'asile n'a pas été soumise au Conseil d'État ; qu'il appartient à ce dernier, placé au sommet de l'ordre juridictionnel administratif, de s'assurer que cette jurisprudence garantit le droit au recours rappelé au considérant

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