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Conclusion du Chapitre

Section 1. L’absence de reconnaissance expresse dans la lo

144. La faible influence de la reconnaissance expresse. Il a été soutenu précédemment qu’il importait finalement assez peu que la loi interdise à la jurisprudence d’être source du droit1. En effet, la question est de savoir si, en fait, le juge pose des règles ou non. Il n’est toutefois pas inintéressant de voir ce que peuvent dire les textes en matière de reconnaissance de la jurisprudence : c’est un premier renseignement, qui peut influencer la conduite des auteurs des règles de reconnaissance. Il faut garder à l’esprit que les textes ne sont toutefois que de faibles indices.

145. Les divergences de solutions au sein de la Cour de cassation. On pourrait être tenté, tout d’abord, de voir dans certaines règles relatives à la technique de cassation, la reconnaissance de l’existence de la jurisprudence.

Selon l’article L. 431-5 du Code de l’organisation judiciaire, « le renvoi devant une chambre mixte peut être ordonné […] si la question a reçu ou est susceptible de recevoir devant les chambres des solutions divergentes2 ». Avons- nous là un texte formulant la reconnaissance par le législateur du fait que les chambres de la Cour de cassation formulent des règles de droit, qu’il conviendrait d’harmoniser ? Ou bien, inversement, le terme de décisions renvoie-t-il seulement à l’amas de solutions particulières, sans qu’il soit possible d’en déduire une règle jurisprudentielle ?

L’article L. 431-5 ne semble pouvoir être invoqué ni dans un sens, ni dans l’autre. En effet, il est possible, dans un premier temps, de soutenir que l’article ne mentionne que des amas de décisions dont, globalement, le sens diverge. A chaque chambre concernée, ne correspondrait donc pas une jurisprudence bien établie. On peut d’ailleurs douter de l’existence même de jurisprudence en cas de divergence

1 Cf. supra, n° 56 et s.

2 Adde. art. L. 431-6 COJ. On s’intéresse ici aux divergences entre les chambres de la Cour de cassation, et non aux

divergences entre les sections d’une même chambre de la Cour de cassation. Sur l’existence de telles divergences :

Rapport annuel, 2013, p. 589, sous Cass. 2e civ., 28 févr. 2013, n° 11-21.015, Bull. civ., n° 48. Selon le rapport, cet arrêt

« met fin à une période d'incertitude où les sections de droit commun et de sécurité sociale de cette chambre avaient retenu des solutions divergentes pour la définition du préjudice d'agrément, ainsi que pour l'imputation de la rente majorée versée par la caisse primaire d'assurance maladie sur le déficit fonctionnel permanent. »

de solutions : « le constat d’une distorsion met en cause l’existence même de la règle, du fait du particularisme des normes jurisprudentielles1. » Sur le plan institutionnel, la création de deux règles de droit, simultanément contradictoires, par la Cour de cassation, semble d’ailleurs impossible. En effet, il n’existe qu’une seule et unique Cour de cassation : attribuer la création d’une règle de droit à chacune des chambres concernées reviendrait à ruiner cette unité, résultant de l’unicité de l’organe. Les divergences donneraient donc lieu à deux groupes de solutions contraires, mais non à deux jurisprudences antinomiques.

L’argument est faible cependant, puisque cette approche juridique ne rend pas forcément compte de la réalité. Il est tout à fait possible de considérer, dans un second temps, que chaque chambre a une conscience aigüe de son indépendance et estime sa solution aussi imposante qu’une règle de droit. Les chambres de la Cour de cassation peuvent tout à fait considérer qu’entre elles le désaccord porte réellement sur deux règles de droit divergentes. La reconnaissance législative de la jurisprudence viendrait alors prendre acte de la reconnaissance par les juges de leurs propres créations.

Est-il possible de trancher ce débat ? A considérer uniquement le texte du Code de l’organisation judiciaire, il semble que non. Autrement dit, en lisant simplement l’article L. 431-5 il n’est pas possible de savoir si le législateur a entendu reconnaître ou non l’existence de règles de droit jurisprudentielles.

146. La mise à l’écart d’un texte par le juge. On pourrait également penser, ensuite, que le législateur prend en compte la jurisprudence, en particulier sa rétroactivité, lorsqu’une loi limite dans le temps les effets produits par la mise à l’écart d’un texte par le juge. L’hypothèse est la suivante : un texte impose de verser une somme déterminée à des personnes. Or, il apparaît que ce texte est contraire à une norme supérieure antérieure. Le juge écarte donc le texte. Il faut en tirer les conséquences : le texte ayant toujours été contraire à la norme supérieure, la personne qui a bénéficié de son application doit rembourser toutes les sommes reçues. Cependant, la loi prévoit que dans ce cas les restitutions ne seront pas intégralement exigées, mais limitées à une certaine période.

1 M.-C. RIVIER, S. LAULOM, Les divergences de la jurisprudence, dir. P. ANCEL et M.-C. RIVIER, Publications de

l’Université de Saint-Etienne, 2003, p. 41. Comp. F. ZENATI, « La notion de divergence de jurisprudence », Les

divergences de la jurisprudence, dir. P. ANCEL et M.-C. RIVIER, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2003, p. 60 : « La jurisprudence divergente est une jurisprudence pré-formelle, ou, si l’on préfère, comme le souligne Antoine Jeammaud, une règle pré-positive, dont le défaut de positivité résulte de son état même de divergence. (…) Les règles juridiques qui s’opposent dans une antinomie sont des règles non pas pour interpréter mais qu’il faut interpréter pour les concilier ou dont il faut arbitrer le conflit. L’antinomie est un désordre qui nécessite une interprétation, alors que la divergence des jugements est un désordre dans l’interprétation. »

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147. Exemple. En matière de sécurité sociale, l’article L. 243-6 du Code de la sécurité sociale dispose que « (al. 1er) la demande de remboursement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales indûment versées se prescrit par trois ans à compter de la date à laquelle lesdites cotisations ont été acquittées. (al. 2) Lorsque l’obligation de remboursement desdites cotisations naît d’une décision juridictionnelle qui révèle la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure, la demande de remboursement ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la troisième année précédant celle où la décision révélant la non-conformité est intervenue1. » Autrement dit, il arrive que des cotisations soient versées en vertu d’un texte, mais que celui-ci ne soit pas conforme à un texte d’une valeur supérieure. Dès lors, il faut rembourser les cotisations qui ont été indûment versées. L’article L. 243-6 vient limiter le moment à partir duquel les restitutions sont dues2.

148. Déclarativité et non-rétroactivité. Il a été soutenu que ce type de texte venait limiter la rétroactivité de la jurisprudence3. Il faudrait alors en déduire les éléments suivants : si ce type de texte vient limiter la rétroactivité de la jurisprudence, c’est que la jurisprudence est une règle de droit.

Pourtant, le raisonnement nous paraît erroné. Le juge ne fait ici que déclarer qu’un texte est contraire à une autre texte. Il n’y a donc aucune création d’une règle de droit rétroactive. La rétroactivité qui est limitée par l’article L. 243- 6 est en réalité l’effet déclaratif de la suppression du texte ; c’est la déclarativité de cette suppression qui est en cause. Il convient de constater d’ailleurs que l’article L. 243-6 utilise le mot « révéler », parfait synonyme ici de « déclarer ». Où est alors la règle de droit créée par le juge, dont la rétroactivité devrait être limitée ? La loi ne fait que limiter la portée de la mise à l’écart du texte. Il faut comprendre

1 Pour une application : Cass. 2e civ., 17 juin 2010, n° 07-13.447, Bull. civ. n° 119 : « Attendu que, pour fixer au 1er

janvier 2001 le point de départ de la période de répétition des cotisations litigieuses et condamner l'URSSAF au remboursement des cotisations versées par la société entre cette date et le 1er mai 2002, l'arrêt, après avoir rappelé que la

Cour de cassation a qualifié, dans un arrêt de la deuxième chambre civile du 20 janvier 2004, de dommages-intérêts les sommes versées à titre de compensation salariale en application d'un accord conclu dans le cadre de l'article 39-1 de la loi du 20 décembre 1993, retient qu'en se prononçant ainsi en faisant explicitement référence à la loi et en réponse au moyen de cassation soulevé, la Cour de cassation a considéré que la disposition de la loi du 20 décembre 1993 affirmant le caractère salarial des sommes en cause devait être écartée, et qu'elle n'était pas conforme à une norme supérieure constitutionnelle dès lors que toute cotisation doit être assise sur un texte législatif, de sorte qu'il existe ainsi une décision juridictionnelle qui a révélé le caractère indemnitaire des compensations salariales et qu'il convient de faire application de l'article L. 243-6, alinéas 1 et 2, du code de la sécurité sociale. »

2 Dans la même veine, il est possible de citer l’article L. 190, alinéa 4 du Livre des procédures fiscales et l’article 352 ter du Code des douanes qui limitent les effets dans le temps de la décision qui révèle le défaut de validité d’un texte

fondant une imposition.

3 J.-G. HUGLO, « La Cour de cassation et le principe de la sécurité juridique », Les cahiers du Conseil constitutionnel,

le texte de la sorte : de tout temps, le texte fondant le versement des cotisations est contraire à une règle de droit supérieure, pourtant, il ne faut pas tirer toutes les conséquences de son éviction. C’est exactement la même chose que si la loi venait limiter dans le temps la portée de l’annulation d’un contrat, sauf qu’il s’agit ici en quelque sorte, mutatis mutandis, de l’annulation d’un texte à portée générale.

149. Articles 4, 5 et 1351 du Code civil. Renvoi. Les articles 4, 5 et 1351 du Code civil sont les articles les plus fréquemment invoqués pour savoir si la jurisprudence est une source du droit ou non1. L’analyse de ces textes étant développées infra, nous nous contenterons d’indiquer nos conclusions : l’article 5 et l’article 4 permettent l’élaboration d’une jurisprudence en ce qu’ils n’obligent pas le juge à créer du droit (article 4) ni n’interdisent toute création (article 5). Quant à l’article 1351, il nous semble être hors de cause2.

150. Conclusion de la section. Par conséquent, ni l’article L. 431-5 du Code de l’organisation judiciaire, ni les articles relevant du même mécanisme que l’article L. 243-6 du Code de la sécurité sociale ne permettent de soutenir que le législateur a reconnu explicitement la création de règles de droit par le juge, à savoir la jurisprudence. L’article 4 du Code civil n’interdit ni n’autorise explicitement la création jurisprudentielle, et l’article 5 n’interdit qu’une de ses manifestations : la création du droit à la manière de la loi. Les règles de reconnaissance de notre ordre juridique ne permettent donc pas de trancher la question avec certitude. L’attitude du législateur à l’égard de la jurisprudence est beaucoup explicite.

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