• Aucun résultat trouvé

Au-delà de la métaphore de source du droit L’expression de source du droit est chargée d’ambiguïté Essayons toutefois d’en dégager les trois sens

Partie I – Les présupposés de la rétroactivité jurisprudentielle

49. Au-delà de la métaphore de source du droit L’expression de source du droit est chargée d’ambiguïté Essayons toutefois d’en dégager les trois sens

principaux : source matérielle, norme et source formelle. Si l’on prend l’exemple de la loi, on peut se demander, en premier lieu, si elle est le résultat, l’aboutissement, la concrétisation d’une source mystérieuse du droit dont elle aurait jailli. On se rapproche alors de l’idée de source matérielle du droit, de forces créatrices1. Ce sont les « sources du contenu de la loi : elles sont sources d’inspiration ou sources d’influence2. » En ce sens, le désir d’égalité a pu être la source matérielle de la loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe3, la colère des médecins, des assurance et l’Etat-providence sources matérielles de la loi dite anti-Perruche4. Ou bien, en deuxième lieu, on peut se demander si la loi est elle-même une source du droit, en ce sens que sans la loi, il n’y aurait pas de droit. Pour connaître le droit, savoir si X peut se marier avec Y, il faut regarder la loi, qui est à sa source. Avec cette deuxième acception, « sources et normes sont alors équivalentes5. »

A ces deux sens peut s’en ajouter un troisième. Ainsi que l’affirme Mme Lasserre-Kiesow, « par sources du droit, on désigne les modes de formation des règles juridiques au sein d'une société donnée, les différentes façons dont ces

1 Cf. G. RIPERT, Les forces créatrices du droit, LGDJ, 2e éd., 1955.

2 P. DEUMIER, Introduction générale au droit, Lextenso éditions, LGDJ, coll. manuel, 2e éd., 2013, n° 65, p. 58. 3 Loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

4 Cf. F. TERRE, « Observation sociologiques sur les nouvelles sources de la loi », La loi. Bilan et perspectives, dir. C.

PUIGELIER, Economica, coll. Etudes juridiques, 2005, p. 9.

5 E. JEANSEN, L’articulation des sources du droit. Essai en droit du travail, Economica, coll. Recherches juridiques,

règles sont établies1. » Dès lors, dire que la coutume et la loi sont sources du droit semble signifier que ce sont des règles de droit, mais dont l’élaboration est différente. Ce troisième sens a pu être désigné par l’expression de source formelle du droit : le droit prend une forme particulière, celle de la loi, ou celle de la coutume. Selon Mme Deumier, les sources formelles du droit « permettent de comprendre comment, par quelle procédure ou processus, se forment les règles de droit2 ». Ainsi, on comprend que la règle de droit nommée « loi » n’a pas été formée de la même manière que la règle de droit nommée « coutume ».

Il y aurait donc au moins trois sens de source du droit : source matérielle (ce qui génère la règle de droit dans une approche sociologique), norme (la règle de droit elle-même), source formelle (procédé d’élaboration de la règle de droit, permettant de distinguer les différentes règles de droit). On le voit, le terme « source » est pour le moins équivoque, bien que, les deux derniers sens étant proches, il est classique de n’opposer que les sources matérielles et les sources formelles.

Confronté à ces divers sens, Kelsen3 affirme que « la multiplicité des significations du terme "sources de droit (ou du droit)" le laisse apparaître comme vraiment inutilisable. »4 Prenant au sérieux l’image de la source, un auteur s’interroge d’ailleurs de la sorte : « En quoi le droit ressemble-t-il à un processus hydrologique ? Peut-on sérieusement parler des sources du droit comme on parle des sources du Nil5 ? » Il paraît en effet difficile de fonder un raisonnement sur cette image hydraulique, dont on peine pourtant à se passer tant elle est utilisée.

Face à ces critiques, il importe de donner un contour précis à l’image de source du droit, en précisant la question que nous nous posons. Le problème étant celui de la rétroactivité de la jurisprudence, l’interrogation première est de savoir si la jurisprudence est une règle de droit, qui sera appliquée rétroactivement. La jurisprudence étant issue du travail du juge, la question est alors la suivante : le juge crée-t-il des règles de droit ? Il convient donc de se détacher des termes métaphoriques de sources du droit, la question étant moins de savoir si la jurisprudence est source du droit, que de savoir si le juge crée des règles de droit. Précisons que l’expression de source du droit ne sera pas totalement évacuée ici tant elle est entrée dans le vocabulaire des juristes. Gardons simplement à l’esprit que l’occurrence « la jurisprudence est source du droit » est synonyme de « le juge

1 V. LASSERRE-KIESOW, « L'ordre des sources ou Le renouvellement des sources du droit », D. 2006, p. 2282. Adde.

sur les différents sens de la formule : E. JEANSEN, thèse préc., n° 3 et s., p. 2 et s.

2 P. DEUMIER, Introduction générale au droit, Lextenso éditions, LGDJ, coll. manuel, 2e éd., 2013, n° 65, p. 58. 3 Hans Kelsen, † 1973.

4 H. KELSEN, Théorie pure du droit, trad. Ch. Eisenmann, LGDJ, Bruylant, coll. La pensée juridique, 1999, p. 234. 5 J.-L. VULLIERME, « Les anastomoses du droit (Spéculation sur les sources du droit) », APD, t. 27, Sirey, 1982, p. 9.

- 46 -

crée des règles de droit ». C’est le deuxième sens, parmi les trois dégagés, qui est ici à retenir. Si l’on souhaite s’en écarter, on parlera alors plus précisément de source matérielle, pour évoquer le premier sens dégagé, ou de source formelle, pour désigner le troisième sens. Reste alors à déterminer ce qu’est une règle de droit.

50. Droit et règles de droit. Pour déterminer ce qu’est une règle de droit,

Outline

Documents relatifs