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Rétroactivité de la jurisprudence et rétroactivité de l’annulation prononcée par le juge Doivent être écartées de notre étude les considérations

A. L’apparition de la rétroactivité jurisprudentielle

28. Rétroactivité de la jurisprudence et rétroactivité de l’annulation prononcée par le juge Doivent être écartées de notre étude les considérations

En matière de déclarativité ou de rétroactivité, les principes généraux ne semblent pas présenter ici une particularité particulière, la doctrine oscillant également entre déclaration ou création de ces principes par la Cour de cassation. Cf. J. BOULANGER, art. préc. n° 21, p. 67, : « A strictement parler, la jurisprudence n’a pas, en notre matière, de pouvoir créateur. Les principes existent, alors même qu’ils ne s’expriment pas ou ne se reflètent pas dans des textes de loi. Mais la jurisprudence se borne à les déclarer ; elle ne les crée pas. L’énoncé d’un principe non écrit est la manifestation de « l’esprit » d’une législation. » Comp. D. BUREAU, « L’ambivalence des principes généraux du droit devant la Cour de cassation », La Cour de cassation et l’élaboration du droit, dir. N. MOLFESSIS, Economica, coll. Etudes juridiques, 2004, n° 5, p. 187 : l’auteur précise vouloir apporter une réponse en nuance, à la question de la révélation ou de la création des principes et séparer le bon grain de l’ivraie. « L’ivraie, lorsque les principes ne sont invoqués par la Cour de cassation que pour dissimuler une règle d’une toute autre nature : le principe ne serait alors que l’expression d’une création purement prétorienne. Le bon grain, lorsque les principes fondent, à juste titre, la solution rendue par la Cour de cassation : de véritables principes pourraient être découverts, préexistants à l’intervention du juge. » Adde. N. MOLFESSIS, « La notion de principe dans la jurisprudence de la Cour de cassation », RTD civ. 2001, p. 699 et s., spéc. p. 705. V. égal. L. SILANCE, « La motivation des jugements et la cohérence du droit », La motivation des décisions de

justice, Etudes publiées par Ch. PERELMAN et P. FORIERS, Bruylant, Travaux du centre national de recherches de logique, 1978, p. 226-227 : « De plus en plus, les Tribunaux font à la fois œuvre de législateur et de Juge car ils déterminent le principe et l’appliquent au cas de l’espèce. Comme un principe général n’a pas d’existence propre et n’est généralement pas énoncé dans un texte, mais repose sur plusieurs dispositions qui en font application, c’est en réalité le Juge qui donne force et vie à une règle non écrite. » Adde. M. de BECHILLON, La notion de principe général en droit privé, PUAM, 1998, p. 100 et s.

Comp. : P. MORVAN, Le principe de droit privé, Editions Panthéon-Assas, 1999, n° 430, p. 378 : « Le cœur de la définition du principe palpite ici. Le principe présente la particularité d’échapper à tout fondement juridique inscrit dans le corps du droit écrit, légal ou réglementaire. Les textes relatifs à la matière ou à l’institution régie sont dans l’incapacité d’en refléter le contenu normatif. Le principe excède les facultés explicatives des textes du droit positif. Cette réalité est une donnée systématique de l’ensemble des principes : elle a donc pour vocation naturelle d’y devenir un élément cardinal de leur théorie, un critère de reconnaissance. Sa description s’ordonne autour de deux propositions : d’une part, aucun principe ne puise sa substance normative, ne se laisse enfermer dans un texte ; d’autre part, cette extra- textualité, cette existence positivement extra legem, constitue l’essence même du principe. » et n° 529, p. 493 « La troisième voie qu’il convient de suivre impose de répudier l’alternative classique de la préexistence ou de la création des principes et de lui substituer une tierce explication, incarnée par l’idée d’ "invention" du principe. ».

relatives à la rétroactivité de la sanction que le juge peut mettre en œuvre. L’objet de l’étude étant la rétroactivité de la jurisprudence, non la gestion de la rétroactivité d’un autre phénomène par les juges, sont hors de propos les réflexions concernant la modulation des effets de l’annulation d’un acte juridique. Dans cette hypothèse, le juge est contraint de mettre en œuvre une sanction qui a pour effet d’opérer rétroactivement, à savoir l’annulation. Se pencher sur ce problème, c’est envisager celui de la sanction et de sa finalité. Autrement dit, vaut-il mieux retirer totalement l’acte de l’ordre juridique ou supprimer quelques-uns de ses effets indésirables ? En ce sens, la putativité offre un remède à l’annulation rétroactive du mariage, et c’est en ce sens encore que le Conseil constitutionnel a la possibilité de modifier la date d’abrogation du texte déclaré inconstitutionnel1 et la Cour de justice de l’Union européenne la possibilité d’indiquer les « effets de l'acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs2. »

1 Art. 62 al. 2 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est

abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause. » Cf. P. PUIG, « Le Conseil constitutionnel et la modulation dans le temps des décisions QPC », RTD civ. 2010, p. 517 et s.

C’est pourquoi ne sera pas traitée ici la véritable saga jurisprudentielle provoquée par la prise en tenaille de la Cour de cassation entre la question prioritaire de constitutionnalité et le contrôle de conventionnalité en matière de garde à vue. Rappelons simplement la chronologie : le 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel déclare non conformes à la Constitution les articles 62, 63, 63-1 et 77 du Code de procédure pénale et les alinéas 1er à 6 de son article 63-4 relatifs

au droit à l’avocat et au droit de garder le silence, mais uniquement à compter du 1er juillet 2011, afin que le législateur

ait le temps de voter une loi. Le 19 octobre 2010 (Cass. crim., n° 10-82.902), la Cour de cassation tient compte de cette solution et valide une garde à vue, faisant primer la constitutionnalité sur la conventionnalité (cf. not. CEDH, 27 nov. 2008, Salduz c. Turquie, § 58 ; CEDH 14 oct. 2010, Brusco c. France) au nom de la sécurité juridique et d’une bonne administration de la justice. A dire vrai, ce doit surtout être la bonne administration de la justice qui importe ici. La Cour de cassation affirme qu’il en sera ainsi jusqu’au 1er juillet 2011 (quid de l’article 5 du Code civil ?). Un tribunal a résisté,

invalidant une garde à vue et rejetant expressément les arguments de la Cour de cassation (« Avec tous les égards dus à la Cour de cassation, le tribunal pense ne pas devoir suivre cette théorie. ») : TGI Charleville-Mézières, 2 déc. 2010, n° minute 1567/10. Le 4 janvier 2011, la Chambre criminelle maintient sa solution, ne sanctionnant toutefois pas la cour d’appel qui annule des actes ne fondant pas l’accusation (Cass. crim., 4 janv. 2011, n° 10-85.520, Bull. crim,. n° 3). Le 14 avril 2011 est signée une loi relative à la garde à vue (loi n° 2011-392) devant entrer en vigueur « le premier jour du deuxième mois suivant sa publication au Journal officiel et au plus tard le 1er juillet 2011 » (art. 26) et précisant qu’elle « est applicable aux mesures de garde à vue prises à compter de son entrée en vigueur » (art. 26). Il suffisait désormais d’attendre que cette loi entre en vigueur pour que la Cour de cassation opère un changement de jurisprudence correspondant à l’application de cette loi pour les gardes à vue visées à l’article 26. Cependant, le lendemain, le 15 avril, l’Assemblée plénière rend quatre arrêts (n° 10-17.049, 10-30.313, 10- 30.316 et 10-30.242) invalidant des gardes à vue au regard de la convention européenne des droits de l’homme. Il ne s’agit aucunement d’une application de la loi, tout au plus d’un revirement d’anticipation. A s’en tenir à ce que dit la Cour de cassation dans un communiqué, il ne s’agit que d’appliquer l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme, le communiqué ne mentionnant ni la loi, ni la décision du Conseil constitutionnel mais uniquement la décision du 19 octobre 2010 en ce qu’elle reconnaissait l’inconventionnalité des articles du Code de procédure pénale. Dans tous les cas, la jurisprudence du 19 octobre 2010 est rendue parfaitement inutile, car des gardes à vue antérieures à celles ayant donné lieu à cet arrêt peuvent être désormais annulées tant que le délai de prescription n’est pas écoulé. La succession de la signature de la loi et des arrêts d’assemblée plénière ne respecte donc aucune logique au regard des situations à prendre en compte.

En matière civile, cf. Cass. 1re civ., 9 avr. 2013, n° 11-27.071, Bull. civ., n° 66, qui écarte l’article L. 224-8 du code de

l’action sociale et des familles déclaré inconstitutionnel par le Conseil constitutionnel dans une décision du 27 juillet 2012, à compter seulement du 1er janvier 2014. C’est l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui

fut sollicité pour effectuer le contrôle de conventionnalité. Cf. P. DEUMIER, « La loi condamnée », RTD civ. 2014, p.

610 et s.

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29. Rétroactivité de la jurisprudence, jugements déclaratifs et

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