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La modulation La solution retenant le plus l’attention est celle de la modulation Par ce procédé, la juridiction énonce une règle, mais refuse de

C. Les remèdes à la nocivité de la rétroactivité jurisprudentielle

39. La modulation La solution retenant le plus l’attention est celle de la modulation Par ce procédé, la juridiction énonce une règle, mais refuse de

l’appliquer à des espèces qui, sous un régime de pure déclarativité, auraient été jugées selon cette règle. Cela signifie que si, en principe, la règle jurisprudentielle doit s’appliquer à tous, exceptés à ceux dont le jugement est définitif, il arrive que le juge refuse d’appliquer cette règle, par exemple à l’instance qui a donné lieu à sa saisine, ou à toutes les situations constituées avant le jour où le juge a posé la nouvelle règle. La modulation sera ainsi définie comme la technique qui consiste à modifier de quelque manière que ce soit l’application normalement rétroactive de la règle de droit créée. Il y a modulation dès que la régime de la rétroactivité jurisprudentielle se distingue de celui de la déclarativité. Il s’agit donc plus ou moins de l’élaboration d’un droit transitoire par le juge, pour la règle jurisprudentielle.

Le procédé a fait débat en doctrine. Proposée par différents auteurs1, la méthode a pu susciter des réactions2, parfois vives, comme en témoignent les articles de Messieurs Sargos3 et Heuzé4. L’élaboration d’un tel droit transitoire aboutissant à parfaire le rapprochement de la jurisprudence avec la loi, la violation de l’article 5 du Code civil serait patente.

Les réticences doctrinales n’ont pas empêché la Cour de cassation de s’essayer à cette méthode, avec plus ou moins de succès. Un exemple suffira à le montrer. On a pu relever que la Cour de cassation, dans un arrêt du 26 octobre 20105, avait refusé d’appliquer une règle jurisprudentielle au prétexte qu’une telle application rétroactive de la règle récemment dégagée, par un arrêt du 18 mai 20076, aurait privé le justiciable du droit d’exercer un recours. Or, derrière cette modulation, se cache en réalité l’application rétroactive d’une autre règle, à savoir l’adage contra non valentem agere non currit praescriptio. L’affaire, relative à

1 Cf. F. ZENATI, La jurisprudence, Dalloz, Coll. Méthodes du droit, 1991, p. 210 ; C. MOULY, art. préc. ; M. de

VIRVILLE, Pour un code du travail plus efficace, rapport au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, La Documentation française, janv. 2004, proposition n° 10 : « La commission recommande que la Cour de cassation se voie reconnaître par la loi la faculté de moduler les effets de ses décisions dans le temps » ; Les revirements de

jurisprudence. Rapport remis à Monsieur le Premier Président Guy Canivet, dir. N. MOLFESSIS, LexisNexis Litec, 2005, avec notamment les propositions du groupe de travail et les propositions de textes du MEDEF (p. 149), de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris (p. 151 et s.).

2 Cf. les contributions rassemblées à la RTD civ. 2005, p. 293 et s. ; C. RADE, « De la rétroactivité des revirements de

jurisprudence », D. 2005, p. 988 et s. ; D. de BECHILLON, « Comment traiter le pouvoir normatif du juge ? », Libres

propos sur les sources du droit. Mélanges en l’honneur de Ph. Jestaz, Dalloz, 2006, p. 29 et s. ; X. LAGARDE, « Jurisprudence et insécurité juridique », D. 2006, p. 678 et s. ; X. LAGARDE, « Brèves réflexions sur les revirements pour l’avenir », APD, t. 50, Dalloz, 2007, p. 77 et s. ; C. RADE, « La chambre sociale de la Cour de cassation et la modulation dans le temps des effets des revirements de jurisprudence », Droit social 2010, p. 1150 et s.

3 P. SARGOS, « L’horreur économique dans la relation de droit (Libres propos sur le "Rapport sur les revirements de

jurisprudence") », Dr. soc. 2005, p. 123 et s.

4 V. HEUZE, « A propos du rapport sur les revirements de jurisprudence. Une réaction entre indignation et

incrédulité », JCP 2005, I, 130. Adde. les contributions de nombreux auteurs à la RTD civ. 2005, p. 293 et s.

5 Cass. com., 26 oct. 2010, n° 09-68.928, Bull. civ., n° 159, Rev. des sociétés 2011, p. 359 et s., N. MORELLI. 6 Cass. mixte, 18 mai 2007, n° 05-10.413, Bull. mixte, n° 4.

l’action d’un créancier d’une société civile contre les associés de cette société, était complexe. En voici les éléments essentiels.

Selon l’article 1858 du Code civil1, le créancier d’une société civile ne peut agir contre les associés que si la société ne peut le payer. Le créancier doit ainsi prouver qu’il a préalablement et vainement poursuivi la société. Classiquement, pour établir la vanité de la poursuite, le créancier devait « rapporter une double preuve : il [devait] justifier d’un acte de poursuite, c’est-à-dire une mesure d’exécution ; il [devait] en outre démontrer sa vanité, ce qui suppose d’établir tant l’échec de la poursuite que l’insuffisance du patrimoine social2. »

Par ailleurs, avant l’arrêt du 26 octobre 2010, la Cour de cassation refusait d’appliquer la maxime contra non valentem agere non currit praescriptio à l’action exercée par le créancier3 : le délai de cinq ans prévu par l’article 1859 du Code civil4 s’écoulait ainsi automatiquement à compter de la publication du jugement ouvrant la liquidation judiciaire5. La jurisprudence était donc sévère, le délai de prescription pouvant commencer à courir alors même que le créancier ne pouvait établir l’insuffisance du patrimoine de la personne morale. Par conséquent, la prescription courait tandis que le créancier ne pouvait établir la vanité de la poursuite et donc, ne pouvait agir.

L’arrêt du 18 mai 2007 est venu alléger les conditions de la vaine poursuite lorsque la société fait l’objet d’une procédure collective : désormais, « lorsque la société est mise en liquidation judiciaire, la déclaration de la créance au passif de la procédure collective suffit à établir la vaine poursuite6. »

En l’espèce, la société civile avait été placée en liquidation judiciaire par un jugement rendu le 15 octobre 1998. Le créancier a agi en décembre 2006 contre les associés. Normalement, il ne pouvait le faire, son action étant prescrite depuis 2003. Pourtant, la Cour de cassation a tenu le raisonnement suivant : en appliquant la solution de l’arrêt du 18 mai 2007, le créancier pouvait agir sans avoir besoin de justifier d’autre chose que de la déclaration de sa créance à la procédure collective. Or, sans cette solution, il était possible de considérer que le créancier ne pouvait pas agir, puisqu’il ne pouvait pas établir la condition jusqu’alors exigée, à savoir l’insuffisance du patrimoine de la personne morale. Et si le créancier ne pouvait pas agir, on pouvait songer alors à appliquer la maxime contra non valentem pour

1 Art. 1858 C. civ. : « Les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu'après

avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale. »

2 M. COZIAN, A. VIANDIER, F. DEBOISSY, Droit des sociétés, LexisNexis, coll. Manuel, 26e éd., 2013, n° 1270, p. 635. 3 Cass. com., 12 déc. 2006, n° 04-17.187, Bull. civ., n° 247.

4 Art. 1859 C. civ. : « Toutes les actions contre les associés non liquidateurs ou leurs héritiers et ayants cause se

prescrivent par cinq ans à compter de la publication de la dissolution de la société. »

5 Cass. 3e civ., 13 nov. 2003, n° 00-14.206, Bull. civ., n° 198 ; Cass. com. 12 déc. 2006, préc. 6 M. COZIAN, A. VIANDIER, F. DEBOISSY, op. cit., n° 1270, p. 636.

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repousser le point de départ de la prescription, solution jusque là écartée. Pour permettre l’action, il convenait donc d’écarter la rétroactivité de l’arrêt de 2007, et d’appliquer rétroactivement l’adage. C’est ce à quoi s’emploiera la Cour de cassation dans son arrêt du 26 octobre 2010 en estimant « qu'après avoir rappelé que la prescription de cinq ans à compter de la mise en liquidation d'une société civile pour agir contre les associés ne court pas lorsque ceux-ci se sont trouvés dans l'impossibilité d'agir contre la société avant d'engager les poursuites contre les associés, ainsi que le leur impose l'article 1858 du code civil, l'arrêt retient à bon droit que le revirement de jurisprudence opéré par la chambre mixte de la Cour de cassation par un arrêt du 18 mai 2007, qui a retenu que la simple déclaration de créance à la liquidation de la société civile constitue la preuve de vaines poursuites par le créancier, ne peut recevoir application à l'instance en cours au moment de son prononcé, sans priver la créancière d'un procès équitable au sens de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, celle-ci se trouvant, eu égard à la jurisprudence antérieure, dans l'impossibilité d'éviter de laisser prescrire sa créance ».

Ainsi, la Cour de cassation refuse d’appliquer la solution de l’arrêt du 18 mai 2007 pour pouvoir dire que le créancier avait été empêché d’agir et, dès lors, appliquer pour la première fois en la matière, l’adage contra non valentem.

Remarquons qu’une telle solution n’impressionne pas par sa clarté et il est peu probable que la sécurité juridique se trouve véritablement renforcée par ce type d’acrobaties. D’autant plus que, comme le relève l’annotateur de l’arrêt, « l'action entreprise en l'espèce est intervenue plus de huit années après que la liquidation judiciaire de la société civile a été prononcée. A l'égard de l'associé, la recevabilité de cette action était-elle prévisible1 ? »

40. L’arrêt de règlement. La modulation, pensée pour résoudre les

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