• Aucun résultat trouvé

L’absence de remise en cause de la doctrine de la Cour de cassation suite à un revirement

Partie II – Le fondement de la rétroactivité jurisprudentielle

Section 2. L’absence de rétroactivité jurisprudentielle

B. L’absence de remise en cause de la doctrine de la Cour de cassation suite à un revirement

203. Qu’est-ce que la doctrine de la Cour de cassation ? Il arrive que la Cour de cassation ne prenne pas en compte la rétroactivité d’un revirement quand il est question de la remise en cause de sa doctrine. L’expression « doctrine de la Cour de cassation » recouvre deux cas de figures bien particuliers. D’une part, il est fait état de la doctrine de la Cour de cassation en cas de contrariété de décisions. Selon l’article 618 du Code de procédure civile, « lorsque la contrariété est constatée, la Cour de cassation annule l'une des décisions ou, s'il y a lieu, les deux ». La Cour de cassation décidera éventuellement d’annuler la décision qui n’est pas conforme à sa doctrine1. Ce cas de figure n’est pas concerné par la suite des développements.

D’autre part, la Cour de cassation évoque sa doctrine lorsque la cour d’appel de renvoi s’est conformé à l’arrêt de cassation ayant donné lieu à sa saisine. Il est impossible alors pour le plaideur de remettre en cause cette solution

n° 60), laquelle énonçait qu’aucune disposition de la loi du 25 janvier 1985 et du décret du 27 décembre 1985 ne faisait exception aux règles de l’article 643 du (nouveau) code de procédure civile d’application générale à défaut de dérogation expresse, la cour d’appel n’a pu qu’en déduire, en présence du revirement opéré par l’arrêt du 28 septembre 2004 précité, que le professionnel du droit n’avait pas commis de faute ; que le moyen est mal fondé en ses deux branches ».

Le raisonnement a été étendu aux experts devant évaluer les droits sociaux. V. Cass. com., 15 janv. 2013, n° 12- 11.666, Bull. civ., n° 9 ; D. 2013, p. 342 et s., A. COURET : « Mais attendu que l'arrêt rendu le 4 mai 2010 par la Cour de cassation ne constitue ni un revirement, ni même l'expression d'une évolution imprévisible de la jurisprudence ; que dès lors, la société n'est pas fondée à s'en prévaloir pour contester l'erreur grossière reprochée à l'expert judiciaire ; qu'ayant à bon droit retenu que la valeur des droits sociaux de l'associé qui se retire doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits, la cour d'appel en a exactement déduit que l'expert avait commis une erreur grossière en évaluant les parts sociales de Mme X... à la date de l'arrêt ayant autorisé le retrait ».

1 Cass. soc., 13 sept. 2005, n° 03-43.361, Bull. civ., n° 253, RTD civ. 2006, p. 73 et s., P. DEUMIER : « dès lors que la

seconde décision est conforme à la doctrine de la Cour de cassation, il convient d'annuler la première ». V. encore Cass. mixte, 11 déc. 2009, n° 09-13.944, Bull. mixte, n° 2.

devant la Cour de cassation dans la même affaire. C’est de ce type de cas dont il est question ici1.

204. Application. L’hypothèse est relativement simple : sur renvoi, la cour d’appel s’incline devant la décision de la Cour de cassation, au détriment d’un plaideur. Toutefois, il est possible qu’entre l’arrêt de cassation et l’arrêt de la cour de renvoi, ou après l’arrêt de la cour de renvoi, survienne un revirement2 dans une autre affaire. La tentation est alors immense pour le plaideur déçu par la solution de l’arrêt de renvoi, de former un second pourvoi afin de se voir appliquer le revirement. La Cour de cassation, depuis 1971, refuse d’examiner ce second pourvoi en jugeant le moyen irrecevable3. L’assemblée plénière de la Cour de cassation procéda également de la sorte en 2006, à travers deux arrêts rendus le même jour4, rejetant le moyen ainsi formé lors d’un second pourvoi, que l’arrêt de revirement fût intervenu avant l’arrêt de renvoi5 ou postérieurement6.

205. Analyse. L’analyse de ces solutions nécessite de répondre à la question suivante : en refusant d’appliquer la nouvelle solution posée par un arrêt, la Cour de cassation refuse-t-elle d’y voir un revirement avec une portée générale, ou bien, au contraire, s’agit-il réellement pour elle de limiter la rétroactivité du revirement ? En 2006, les revirements dont il s’agissait d’apprécier l’application avaient été opérés par un arrêt d’Assemblée plénière de 2005 afin de mettre le droit français en conformité avec le droit de l’Union7 et, par un autre arrêt d’Assemblée plénière de 2004, rendu dans un souci de conformité avec la Cour européenne des droits de l’Homme8. Il est peu probable alors que la Cour de cassation ait vu dans ces arrêts des arrêts d’espèce, dont la solution n’aurait pas eu vocation à s’appliquer à d’autres affaires. En refusant de prendre en compte la solution posée,

1 Adde. N. MOLFESSIS, « Doctrine de la Cour de cassation et reconnaissance des précédents », RTD civ. 2003, p. 567 et

s. ; et pour une réflexion sur le terme de doctrine utilisé par la Cour de cassation : R. LIBCHABER, « Une doctrine de la Cour de cassation ? », RTD civ. 2000, p. 197 et s.

2 Ou une divergence de jurisprudence, puisque pour l’espèce de l’arrêt de 1971, cité infra, il semble difficile de dire

s’il s’agit d’un changement de jurisprudence ou d’une divergence : le changement émana d’une autre chambre devenue entre temps compétente en la matière. Cf. les conclusions de Lindon et la note de Hébraud, citées infra, note 2. Il faut cependant que la solution de l’arrêt remette clairement en cause celle qui a été appliquée à la partie, laquelle résultait d’une jurisprudence établie, sans quoi il n’y aurait que deux décisions, certes contradictoires, mais isolées.

3 Cass. mixte, 30 avr. 1971, n° 61-11.829, Bull. mixte, n° 8, JCP 1971, II, 16800, concl. R. LINDON ; RTD civ. 1971, p.

691 et s., P. HEBRAUD. Lindon cite avant cet arrêt un autre dans le même sens, Cass. crim., 17 janv. 1835.

4 Cass. Ass. plén., 21 déc. 2006, n° 05-17.690 et n° 05-11.966, Bull. Ass. plén., n° 14, JCP 2007, II, 10016, H.

GUYADER ; JCP E 2007, n° 1529, P. FLEURY-LE GROS.

5 Arrêt La Briocherie, n° 05-17.690. 6 Arrêt Société Centéa, n° 05-11.966.

7 Cass. Ass. plén., 4 mars 2005, n° 03-11.725, Bull. Ass. plén., n° 2, pour l’arrêt Société Centéa.

8 Cass. Ass. plén., 23 janv. 2004 n° 03-13.617, Bull. Ass. plén., n° 2, D. 2004, p. 1108 et s., P.-Y. GAUTIER ; RTD civ.

2004, p. 341 et s., Ph. THERY ; RTD civ. 2004, p. 371 et s., J. RAYNARD ; JCP 2004, II, 10030, M. BILLIAU ; RDC 2004, p. 791 et s., note A. MARAIS ; Def. 2004, art. 37917-1, p. 525 et s., L. RUET pour l’arrêt La Briocherie. Sur l’arrêt du 23 janv. 2004, cf. infra, n° 209 et s.

- 158 -

il ne s’agissait donc pas de nier les revirements, mais bien de minimiser leur rétroactivité1.

206. Conclusion de la section. En refusant de prendre en compte un revirement, que ce soit pour écarter l’existence d’une erreur ou au nom de sa doctrine, la Cour de cassation limite parfois la portée rétroactive de sa jurisprudence. La rétroactivité ne serait donc pas une qualité intrinsèque à la jurisprudence, puisqu’il est possible d’y faire entorse sans que l’on ne cesse de parler de jurisprudence. Existe-t-il pour autant des règles jurisprudentielles dénuées de toute rétroactivité, en dehors d’éventuels arrêts de règlement ?

Outline

Documents relatifs