• Aucun résultat trouvé

3 Evolution et sciences du vivant

4.1 L'approche systémique, une représentation synchronique de l'évolution

4.1.4 Relations système-environnement

Comme le relève Luhmann (1990), l'approche systémique part d'une distinction fondamentale, celle du système et de son environnement122. De fait, c'est sur la base d'une telle distinction qu'est "déconstruite l'unité incompréhensible du monde (Luhmann, 1990:282). Or, cette distinction théorique n'apparaît pas évidente à la lumière des connaissances acquises sur les processus évolutifs. En

121 Laszlo (1981:10) envisage explicitement le type de problèmes auxquels conduirait l'application d'une approche réductionniste à des phénomènes complexes : "Naturellement, il est tout à fait concevable que nous puissions pleinement rendre compte des propriétés de tout ensemble si nous avions la possibilité de connaître les caractéristiques précises de tous les éléments et d'identifier de plus toutes les relations qui existent entre eux. Nous pourrions alors réduire les caractéristiques du tout à la somme des caractéristiques des éléments en interaction qui le composent. Mais ceci implique l'intégration de données non seulement pour trois corps, mais pour trois mille, trois millions, trois milliards ou plus, selon le tout pris en considération. Mais dès lors que la science ne peut pas même réaliser cela pour un ensemble de trois éléments, qu'elle puisse être à même de le faire pour les phénomènes parmi les plus complexes qu'elle rencontre dans la nature (tels l'homme et la société), on ne saurait en aucune façon l'espérer. En conséquence les caractéristiques des touts complexes demeurent virtuellement irréductibles aux caractéristiques de leurs éléments."

122 Ainsi, l'approche systémique ne traite pas de systèmes par opposition à d'autres objets : elle

"traite du monde comme il est appréhendé au travers d'une différence spécifique, celle du système et de son environnement" (Luhmann, 1990:282).

effet, selon les développements de la physique des processus irréversibles et de la biologie évolutive, le fonctionnement d'un système est fondamentalement dépendant du type de relations qu'il entretient avec son environnement.

L'étude des systèmes physiques a donné lieu a une triple distinction des relations qu'un système entretient avec son environnement. En fonction de celles-ci, un système est soit isolé, soit clos, soit ouvert (Georgescu-Roegen, 1979; Clark et al, 1995; Clayton & Redcliffe, 1996) :

isolé : système qui n'échange ni matière ni énergie avec son environnement ;

clos : système qui n'échange que de l'énergie avec son environnement ;

ouvert : système qui échange de l'énergie et de la matière avec son environnement.

Nous avons vu la différence essentielle qu'implique, en termes thermodynamiques, l'ouverture d'un système sur son environnement : alors qu'un système isolé subit la loi de l'entropie et se dégrade irréversiblement, un système ouvert peut utiliser l'énergie que lui fournit l'environnement pour maintenir sa structure loin de l'équilibre thermodynamique. De même, nous avons souligné qu'un organisme vivant ne peut survivre sans d'étroites relations avec son milieu naturel. De fait, on reconnaît maintenant que le système isolé n'est qu'un concept théorique, un cas limite, et qu'il n'existe dans la réalité que des systèmes qui sont plus ou moins ouverts sur leur environnement (Durand, 1979)123.

Edgar Morin (1990) met en évidence le caractère paradoxal d'un système ouvert : il est question d'une entité globale qui maintient sa structure et son milieu intérieur de la désintégration, et qui en conséquence se ferme au monde extérieur. Pourtant, c'est l'ouverture à l'environnement qui rend l'existence et l'autonomie du système possible : "[u]n système ouvert est un système qui peut nourrir son autonomie mais à travers la dépendance à l'égard du milieu extérieur" (Morin, 1983:320). Ainsi, c'est l'ouverture qui permet la fermeture124. Morin (1990) en tire une conséquence capitale : l'intelligibilité du système doit

123 Même les systèmes inertes sont soumis à la dissipation progressive de leur structure matérielle dans leur environnement.

124 Relevons que dès 1857, Claude Bernard (1813-1878) avait mis en évidence la dialectique du "milieu intérieur" et "du milieu cosmique". Bernard développa également l'idée que l'indépendance vis-à-vis du milieu externe (la "liberté") devient de plus en plus grande chez des organismes de plus en plus complexes (cf. section 4.2.6, p. 104).

être trouvée non seulement dans le système lui-même, mais aussi dans sa relation avec l'environnement. Plus encore, "cette relation n'est pas qu'une simple dépendance, elle est constitutive du système. La réalité est alors autant dans le lien que dans la distinction entre le système ouvert et son environnement" (Morin, 1990:32).

Le problème devient alors méthodologique, car il devient difficile d'étudier les systèmes ouverts comme des entités isolables. Pour étudier un système ouvert, il devient nécessaire d'étudier également le lien qu'il entretient avec son environnement, son "éco-système" (Morin, 1990). Pour Morin (1990), la prise en compte de cette relation dialectique nécessite de reconnaître l'existence d'un méta-système, qui intègre à la fois le système, l'éco-système qui le contient et la relation qui les unit. Une telle prise en compte amène à partir de la réalité du méta-système, pour ensuite déterminer les multiples relations dont il est le siège. Relevons que cette approche correspond à celle préconisée par l'écologie globale, qui part de la Biosphère comme méta-système global pour s'intéresser ensuite à des processus internes partiels.

Les systèmes clos constituent un cas intéressant à plus d'un titre. Selon la définition physique, un système clos n'échange que de l'énergie avec son milieu.

Cela signifie qu'un système clos se comporte de manière à produire lui-même les éléments matériels nécessaires à son propre fonctionnement. Cette propriété lui permet de se distinguer structurellement de son environnement. Dans le cas de systèmes plus évolués, le système est en mesure de se distinguer de manière quasi-autonome de son milieu extérieur (Varela, 1989)125. Cette particularité a poussé certains scientifiques à concentrer leur attention sur l'organisation interne des systèmes clos. Cette démarche méthodologique, dite de la clôture opérationnelle, a été proposée par les biologistes Humberto Maturana (1928-…) et Francisco Varela (1946-2001). Selon eux, l'essentiel de l'activité du système clos se produit en son sein et doit être expliqué en termes de logique interne, indépendamment des échanges avec l'environnement. Ces derniers ne sont pas ignorés, mais pris en compte au travers des effets qu'ils entraînent systématiquement au sein du fonctionnement interne (Maturana & Varela 1980;

Varela, 1989).

L'approche de la clôture opérationnelle a connu d'importants développements dans les sciences naturelles (Varela, 1989) et sociales

125 L'autonomie n'est jamais absolue, car le système clos demeure fondamentalement dépendant d'une source d'énergie (ou d'entropie basse).

(Luhmann, 1990; Hayoz, 1991). Nous y reviendrons lorsque nous nous pencherons sur les représentations théoriques des interactions entre les sphères économique et naturelle126. Pour le moment, contentons-nous de relever deux points : (1) la méthode de la clôture opérationnelle ne s'applique qu'aux systèmes satisfaisant à la définition des systèmes clos; (2) cette approche requiert une prise en compte adéquate du fonctionnement de l'environnement du système, dont la logique n'est pas réductible à la logique interne du système clos127.

Ces considérations permettent de mieux situer le rôle de l'approche systémique. En se concentrant sur l'organisation interne aux systèmes, l'approche systémique constitue une étape essentielle à la compréhension de la complexité et de la globalité. Mais l'approche systémique requiert une prudence particulière, et nécessite notamment que les relations que tout système entretient avec son environnement soient prises en compte, sans que les logiques externes au système ne soient réduites à celle du système lui-même.