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3 Evolution et sciences du vivant

4.3 La dynamique évolutive

4.3.1 Auto-organisation

Lorsque, suite à une période d'instabilité, un système recouvre un état stationnaire (steady state), son activité repose sur une organisation interne nouvelle et de nouveaux échanges avec l'environnement. Cette situation inédite constitue un potentiel de développement nouveau pour le système. Or, les fluctuations qui agitent continuellement le système à l'état stationnaire lui permettent d'explorer ce nouveau potentiel151. Parmi les configurations "testées"

lors de ce processus de variation, les plus stables sont progressivement

149 Heylighen (1997) distingue la variation interne de la variation externe. La variation est interne lorsque les éléments d'un système ou leurs relations au sein du système changent. La variation est externe lorsqu'un système entre en interaction avec un ou plusieurs autres systèmes.

150 La sélection peut être interne, le système pouvant être détruit par une configuration interne instable, et externe, le système pouvant être éliminé lorsqu'il n'est pas en mesure de s'adapter à son environnement (Heylighen, 1997).

151 Cf. note 137, p.101.

sélectionnées152. Lors de ce processus combinant la variation et la sélection, chaque élément s'intègre de manière plus complexe dans le fonctionnement du tout, conduisant au développement de cycles auto-catalytiques "… où un produit d'une réaction catalyse sa propre synthèse" (Laszlo & Laszlo, 1993:151n). Ce phénomène, alimenté par le flux d'énergie en provenance de l'environnement, constitue le processus d'auto-organisation du système.

Le processus d'auto-organisation confère au système une certaine autonomie envers son environnement. L'autonomie est relative, puisqu'elle demeure subordonnée à certaines conditions existant à la limite des frontières du système (boundary conditions), à commencer par un apport suffisant de basse entropie, source énergétique du processus d'auto-organisation (Heylighen, 1995;

Foster, 2002). Pour prendre en compte de manière générique les différents facteurs qui rendent l'auto-organisation possible, tout en limitant ce monde du possible, le physicien Hermann Haken (2002) propose de recourir à la notion de paramètres d'ordre (order parameters).

Poursuivant les tendances de variation et de sélection, le processus d'auto-organisation privilégie les types d'd'auto-organisation interne qui permettent au système de tirer le meilleur profit de ses échanges avec l'environnement.

Améliorant progressivement les relations d'équilibre entre son organisation interne et les conditions de son milieu, le processus d'auto-organisation peut conduire à une situation où l'organisation d'un système semble optimale (Laszlo, 1987). En effet, arrivé à un certain stade, le processus de complexification fonctionnelle s'arrête ou tout au moins se réduit sensiblement (Heylighen, 1995).

Face à ce nouveau seuil, les théories récemment développées sur la base de simulations par les théoriciens de la complexité semblent en mesure de fournir une explication : le mode de fonctionnement d'un système cesse de se complexifier lorsque le système atteint un équilibre dynamique caractérisé par un flux informationnel optimal entre le système et l'environnement (Lewin, 1993). Cet optimum informationnel, qui correspond à l'adaptation optimale d'un système ouvert aux conditions qui prévalent à sa frontière (conditions aux limites), pourrait constituer un quatrième type d'attracteur des systèmes

152 L'état stationnaire repose sur une balance entre les forces structurantes internes au système et la tendance générale à sa dissipation. Selon Heylighen (1997), les configurations les plus stables sont celles qui confèrent au système une organisation interne stable (sélection interne) et qui lui assurent la meilleure stabilité au sein de son environnement (sélection externe).

dynamiques (Lewin, 1993)153. Contrairement à d'autres types d'attracteurs, cet optimum de complexité ne garantit pas une grande stabilité au système : une faible perturbation suffit à le faire basculer dans l'instabilité. Autrement dit, le processus d'auto-organisation, qui semble viser une adaptation optimale à son milieu, aboutit à un état proche de l'instabilité. Pour décrire cette situation, les théoriciens de la complexité soutiennent que la tendance à l'adaptation optimale aboutit au seuil de l'instabilité, "à la frontière du chaos" (on the edge of chaos) (Waldrop, 1992; Lewin, 1993). Autrement dit, la recherche de la stabilité pourrait conduire à la porte de l'instabilité.

4.3.2 Convergence

Lorsqu'un système se trouve proche d'un niveau de complexité optimal, il est particulièrement sensible aux échanges qu'il entretient avec son milieu. Pendant cette phase d'instabilité, il est fréquent que le système établisse des relations avec d'autres systèmes de son entourage. Dans cette phase de "variation externe", les relations qu'entretient un système avec d'autres systèmes voisins peuvent être à l'origine de cycles catalytiques croisés "… où deux produits (ou groupes de produits) différents catalysent la synthèse l'une de l'autre" (Laszlo &

Laszlo, 1993:151n). Cette phase de variation externe correspond à une étape de convergence de systèmes distincts, mais reliés.

Les liens qui sont susceptibles de s'établir entre des systèmes en interaction dépendent à la fois de l'organisation interne des systèmes et de l'impact que ces interactions ont sur eux. Différentes configurations sont testées ; certaines disparaissent aussitôt formées, d'autres perdurent plus longtemps. Pendant tout le temps que dure le processus de convergence, chaque système se trouve en phase d'instabilité, comme soumis à l'attraction variable de différents attracteurs.

4.3.3 Emergence

Selon le degré d'ouverture et de complexité des systèmes considérés, les processus d'auto-organisation et de convergence peuvent soit se succéder, soit se produire en parallèle. Mais dans les deux cas, ces processus se terminent lorsqu'une relation collective stable émerge de la convergence des systèmes.

153 Pour les trois autres types d'attracteurs physiques, voir note 40 (p.37).

Lors du processus de convergence, une configuration particulière entre les systèmes s'avère en mesure de se maintenir plus longtemps que les autres.

Assurant une stabilité globale à une relation collective particulière, cette configuration définit un hyper-cycle catalytique (Laszlo, 1987) reliant les différents systèmes en une entité globalement stable. Cette étape correspond à l'émergence d'un nouveau niveau d'organisation, ou, comme nous l'avons proposé, au franchissement d'un palier d'intégration :

Instead of drifting randomly around the optimal complexity of level n, the formation of hypercycles allow two or more systems to jointly create a suprasystem on level n + 1, where fresh structural possibilities offer new horizons for further evolution. (Laszlo, 1987:34)

La relation collective, une fois stabilisée, constitue à la fois une contrainte pour les éléments constitutifs −qui doivent être subordonnés à la stabilité de l'entité globale− et une opportunité de comportements individuels nouveaux. L'entité créée manifeste en effet des propriétés inconnues des systèmes isolés. Elle est en mesure de réaliser un type de comportement inédit et un type d'organisation qui était inaccessible aux systèmes jusque-là isolés. Dès lors, la nouvelle entité, les éléments qui la constituent et les processus qui assurent son renouvellement sont en co-évolution avec le milieu dynamique qui les accueille.