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3 Evolution et sciences du vivant

3.4 Evolution et écologie

3.4.6 Ecologie globale et Biosphère

L'écologie globale s'efforce de réunifier trois domaines que la science occidentale, après les avoir dissociés, a considéré comme autant de disciplines scientifiques distinctes : la biologie, la géologie et la chimie. Elle doit son essor aux travaux de pionnier d'un savant russe, Vladimir Ivanovitch Vernadsky (1863-1945), qui créa la biogéochimie, i.e. l'étude quantitative et systématique des cycles biogéochimiques qui assurent le fonctionnement de la Biosphère, et en fit la base de la science de la Biosphère (Grinevald, 1987, 1990). Selon cette approche, le monde vivant est fondamentalement ancré dans son milieu géologique (duquel il a émergé), et ne peut, par conséquent, en être isolé. Les interactions entre le monde vivant et son support géologique se manifestent pour la plupart sous la forme de relations chimiques particulières entre les organismes vivants et le support matériel de la Terre. Pour Vernadsky, les relations biogéochimiques sont constitutives de l'évolution de la vie sur Terre, et, partant, de l'évolution particulière de notre planète.

110 Relevons que la vulgarisation et la diffusion de ce point de vue écosystémique doit beaucoup au traité d'Eugène Odum (1953), Fundamentals of Ecology, Philadelphia, Saunders.

L'approche que donne Vernadsky de la Biosphère est véritablement révolutionnaire. Elle rompt avec la vision qu'on se faisait, au XIXe siècle (et souvent encore au XXe) sur les relations entre la Vie et la Terre. Pour le savant, la Biosphère inclut les relations entre les êtres vivants (qu'il appelle la "matière vivante") mais ne s'y limite pas : elle intègre les relations chimiques qu'entretiennent les organismes vivants avec les éléments chimiques de leur milieu géophysique. A l'échelle planétaire, la Biosphère est un vaste système biogéologique transformant l'énergie solaire et formant le "domaine de la vie" à la surface de la Terre, pénétrant la lithosphère, l'hydrosphère et l'atmosphère en transformant leur composition chimique. Pour le savant russe, l'activité du vivant augmente l'activité chimique de la Terre et transforme le milieu géophysique en un milieu plus favorable à la vie. Ainsi, "[c]es processus définissent l'énergie biogéochimique de la matière vivante, dont la principale manifestation est la reproduction et la propagation de la matière vivante (Vernadsky, 2000:7)111. Autrement dit, l'action commune des échanges issus de l'activité du vivant induit des phénomènes globaux qui affectent en retour les conditions de l'évolution des organismes vivants. L'un des exemples les mieux connus de ces phénomènes à la fois collectifs et globaux est celui de la formation de la couche d'ozone stratosphérique.

A l'origine de ce phénomène, on trouve la photosynthèse des micro-organismes végétaux présents dans les mers primitives qui rejeta d'importantes quantités d'oxygène dans l'hydrosphère puis l'atmosphère. Dans les conditions géophysiques particulières de la Terre, les molécules d'oxygène, sous l'action du rayonnement solaire, se sont partiellement mises à former des molécules d'ozone (O3=O+O+O). Or, l'ozone a la propriété de bloquer le rayonnement ultraviolet présent dans le flux d'énergie solaire, rayonnement qui empêche l'activité cellulaire des organismes vivants. La formation d'un écran d'ozone dans une couche supérieure de l'atmosphère, la stratosphère, a alors permis aux processus spécifiques au vivant de sortir de l'hydrosphère et de se réaliser dans l'atmosphère. Ainsi, alors que la vie est apparue dans les mers originelles (la

"soupe primitive" dont la composition chimique était toute différente de celle des océans d'aujourd'hui), cette "conquête" des continents rocheux par les organismes vivants n'aurait pas été possible sans l'activité collective des organismes eux-mêmes.

111 Vernadsky V.I. (2000), ´ Sur la différence énergético-matérielle fondamentale entre les corps naturels vivants et non vivants dans la biosphère ´. Texte écrit en 1938, publié en russe en 1993, traduit en français par E. Grenier et reproduit dans Fusion, 83, 11-25.

La formation de l'écran d'ozone stratosphérique constitue un exemple de processus spécifique à l'évolution de la Biosphère. Pour ce type de phénomènes, seule l'échelle globale, i.e. du globe terrestre, apparaît pertinente. C'est pour prendre conscience, comprendre et décrire ce type de processus que l'écologie globale considère la Biosphère en tant que tout. Relevons que cet objectif est parfaitement compatible avec l'étude des niveaux inférieurs : l'écologie globale considère, au travers de la Biosphère, l'unité du monde vivant, dont les écosystèmes, les biocénoses et autres niveaux d'organisation constituent des entités partielles, dont les frontières sont définies en fonction de l'intention analytique des chercheurs.

La formation de l'ozone stratosphérique ne constitue qu'un exemple de l'occurrence de phénomènes globaux. Vernadsky, et les savants qui ont suivi son approche holistique, ont mis en évidence que les relations chimiques entre le métabolisme biologique et le milieu géophysique étaient à l'origine de nombreux processus spécifiques au niveau global. Mentionnons ici les cycles biogéochimiques, ainsi nommés par Vernadsky dans les années 1920 (Grinevald, 1990), qui correspondent à l'évolution de certains éléments chimiques, comme l'oxygène, le carbone et l'azote au travers des grands ensembles que constituent la lithosphère, l'atmosphère et l'hydrosphère112.

Dans la suite de notre travail, nous adopterons la vision proposée par Vernadsky de la Biosphère : un système évolutif particulièrement complexe qui s'auto-organise grâce aux activités des organismes vivants –le métabolisme– et qui transforme la face de la Terre depuis plus de quatre milliards d'année.

La vision holistique de l'écologie globale apporte à la connaissance du vivant davantage que la découverte d'influence réciproque entre les organismes vivants. Mettant l'accent sur des phénomènes perceptibles seulement à l'échelle planétaire, l'écologie globale met en évidence la nécessité de penser l'évolution

112 Les cycles du carbone et de l'oxygène sont parmi les plus importants, parce qu'ils sont liés directement au flux de l'énergie solaire et à la matière vivante via son métabolisme. Les cellules photosynthétiques (producteurs autotrophes) fabriquent des composés organiques comme le glucose, à partir du gaz carbonique (CO2) de l'atmosphère, et rejettent de l'oxygène. Les cellules aérobies ou anaérobies (consommateurs hétérotrophes) utilisent le glucose et l'oxygène formés et restituent du gaz carbonique à l'atmosphère. Cependant, aussi bien le cycle du carbone que le cycle de l'oxygène participent à des échanges complexes. Le cycle du carbone, en particulier, fait intervenir de nombreux sous-cycles de périodes très variables (Bolin, 1980).

biotique comme un processus unique au sein duquel les activités des organismes vivants constituent des processus partiels et généralement ponctuels. Selon cette vision, l'écologie doit d'abord être pensée en termes globaux, i.e. en fonction de la structure planétaire et de l'évolution de la Biosphère elle-même. Ce n'est que dans un deuxième temps que les relations entre les différents éléments de la Biosphère peuvent être prises en compte. Autrement dit, la Biosphère est davantage que la réunion de l'ensemble des écosystèmes : elle constitue un niveau d'organisation global spécifique, au sein duquel les écosystèmes ne constituent que des entités partielles, dont les frontières, distinguées à des fins analytiques, ne correspondent à aucune limite stricte dans le fonctionnement global de la Biosphère.

Si les différents niveaux d'organisation du vivant composent la structure hiérarchique complexe de la Biosphère, ce sont les interactions continuelles entre ces différents niveaux façonnent l'évolution de la Biosphère elle-même. La Biosphère, en tant que système dynamique est ainsi étroitement à l'évolution biotique. A cet égard, relevons la pertinence de la constatation de Drouin (1991:84) que "elle [la Biosphère] assure la cohérence synchronique [de l'ensemble des formes vivantes], comme l'évolution réalise leur unité diachronique.

La vision holistique de l'écologie globale révèle une unité fondamentale des processus vivants, unité qui repose sur les échanges entre les organismes vivants et leur milieu géophysique et géographique. C'est au travers des multiples échanges chimiques avec leur milieu que les organismes vivants sont en interaction à l'échelle planétaire, et c'est au travers du concept de Biosphère qu'une telle interaction est envisagée. Le maintien dans le temps d'un système dynamique aussi complexe que la Biosphère, de même que ses variations dans le temps, dépendent des conditions particulières du système Terre. En particulier, tant qu'elle est en mesure de se procurer, au sein de son milieu géophysique et cosmique, l'énergie-matière nécessaire à son bon fonctionnement d'une part, d'évacuer l'énergie-matière dégradée produite par ce même fonctionnement d'autre part, la Biosphère peut perpétuer son activité d'auto-organisation complexe. Les relations entre la Biosphère, la Géosphère et le système solaire sont loin d'être bien comprises; elles sont pourtant essentielles.

Constitutives de l'apparition, du maintien et du développement de la vie sur Terre, elles constituent un contexte vital pour le développement des sociétés humaines.