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3 Evolution et sciences du vivant

3.4 Evolution et écologie

3.4.1 L'approche dialectique

Dans le schéma darwinien, l'adaptation des organismes aux conditions de l'environnement est la conséquence à la fois de mutations aléatoires et d'un processus de recherche constitué d'essais, d'erreurs, d'éventuels succès et de sanctions. Le cas échéant, les caractéristiques développées par l'organisme –et les mutations qui les ont rendues possibles– sont sélectionnées. Selon Lewontin (1982), cette métaphore du trial and error introduite par Darwin a une importance épistémologique d'autant plus grande qu'elle est devenue le modèle,

rarement remis en question, de la plupart des explications dites évolutives (evolutionary)99. Pour Lewontin (1982), l'approche commune de l'adaptation par trial and error révèle la permanence de l'approche mécaniste au sein même des approches dites évolutives :

... the metaphor or adaptation begins with a world in which an organism's environment is somehow defined without reference to the organism itself, but as a given to which the organism adapts itself. This is the notion that the world is divided up into pre-existent ecological niches and that evolution consists of the progressive fitting of organisms into these niches. (...) This view of environment as causally prior to, and ontologically independent of, organisms is the surfacing in evolutionary theory of the underlying Cartesian structure of our world view. The world is divided into causes and effects, the external and the internal, environments and the organisms they 'contain'. (...) [This] creates indissoluble contradictions when taken as the meta-model of the living world.

(Lewontin, 1982:159)

A l'instar des tenants d'une approche épigénétique, Lewontin (1982) plaide pour l'action conjointe des causes internes et des causes externes dans le développement de l'organisme. Mais il va plus loin en mettant en évidence le fait que, loin de s'adapter à des conditions environnementales extérieures et données, les organismes façonnent eux-mêmes leur environnement :

Organisms within their individual lifetimes and in the course of their evolution as a species do not adapt to environments; they construct them. They are not simply objects of the laws of nature, (...), but active subjects transforming nature according to its laws. (Lewontin, 1982:163)

Si les organismes façonnent eux-mêmes leur environnement, ce dernier ne peut plus être pensé comme un concept exogène, une entité indépendante de l'évolution des organismes. Au contraire, l'évolution de l'environnement est partiellement déterminée par celle des organismes qu'il contient, et celle des organismes est partiellement déterminée par celle de l'environnement qu'ils façonnent. Environnement et organismes se définissent mutuellement dans une relation évolutive circulaire. De fait, pour Lewontin (1982), il ne fait aucun doute qu'organisme et environnement sont dialectiquement liés :

In fact, it is impossible to describe an environment except by reference to organisms that interacts with it and define it. Organism and environment are dialectically related. There is no organism without environment, but there is no environment without an organism. (Lewontin, 1982:160)

99 Lewontin (1982) la décèle dans les cycles historiques de Toynbee, dans l'anthropologie évolutive et dans les modèles socioculturels de Wilson; elle s'appliquerait aux idées et aux artefacts culturels –memes– chez Dawkins (1976), et représenterait la base de l'approche popérienne de l'épistémologie évolutive (Popper, 1987a, 1987b).

L'approche dialectique met en évidence les interactions constantes entre les organismes vivants et leur milieu naturel. Elle considère que l'évolution des organismes vivants est constitutive de celle de leur milieu, et réciproquement, l'une et l'autre étant corrélatives (Varela, 1996).

3.4.2 L'écologie

Le terme "écologie" a été créé en 1866 (mais sans aucun succès à l'époque) par le naturaliste allemand Ernst Haeckel pour désigner la science qui étudie les rapports entre les organismes et le milieu où ils vivent (Drouin, 1991)100. Haeckel ayant d'emblée perçu que les conditions de vie des organismes vivants –leur milieu– sont largement influencées par le comportement des autres organismes, l'écologie devait, selon lui, accorder une large part de son attention à l'étude des rapports vitaux entre les organismes (Drouin, 1991).

Contrairement à la biologie moléculaire et à la génétique des populations, l'écologie s'intéresse aux niveaux supérieurs d'organisation de la matière vivante, de l'espèce à la Biosphère, en passant par l'écosystème101. Mais c'est surtout parce qu'elle confère un rôle essentiel à la relation (relations entre organismes, entre espèces, relations avec le support physico-chimique) que l'écologie nous semble une source d'inspiration incontournable. Cet intérêt porté à la relation n'est pas sans lien avec l'approche holistique de l'écologie scientifique, qui conçoit les phénomènes vivants comme des ensembles de relations complexes et irréductibles à des entités distinctes et autonomes. En cela, l'écologie est fondamentalement opposée (mais aussi complémentaire) à

100 Privilégiant une approche dialectique, nous éviterons de recourir à la notion d'environnement du fait que ce terme ne rend pas suffisamment compte des interactions permanentes entre le comportement des organismes et leur support bio-physique. Nous préconiserons plutôt la notion de milieu dont les conditions reflètent le comportement des organismes. Parallèlement, nous conserverons le terme d'environnement pour décrire le milieu indéterminé d'un système dans le cadre d'un raisonnement théorique.

101 Selon Lamotte et al. (1996:861), l'écologie distingue les organismes vivants selon les niveaux d'organisation suivants : "Le système le plus simple ayant toutes les caractéristiques fondamentales des êtres vivants est la cellule. Des cellules, associées en tissus et en organes, sont intégrées en organismes pluricellulaires, animaux ou végétaux. À un niveau d'intégration supérieur, les individus de certaines espèces peuvent constituer des colonies ou des sociétés. À un niveau encore plus élevé se place, pour tous les êtres vivants, la population, ensemble des individus d'une même espèce liés entre eux par des liens parentaux, c'est-à-dire génétiques. Les populations des diverses espèces, bactériennes, végétales et animales, groupées en un lieu déterminé, forment un niveau d'organisation plus complexe encore, la communauté biologique ou biocénose; le milieu physique et chimique où celle-ci est installée est souvent appelé biotope et leur ensemble est un écosystème. Le niveau ultime d'organisation du monde vivant est constitué par l'ensemble des écosystèmes de la planète, c'est-à-dire l'écosphère ou biosphère" (Lamotte C., Sacchi C. & Blandin P.,

´Ecologie´, Encyclopaedia Universalis, édition 1996, Corpus 7, p.861).

l'approche souvent réductionniste de la biologie qui s'efforce de déterminer les entités les plus "fondamentales" de l'évolution (et notamment l'unité pertinente sur laquelle opèrerait la sélection).

3.4.3 Relations interspécifiques, adaptation et sélection