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3 Evolution et sciences du vivant

4.3 La dynamique évolutive

4.3.4 Le cycle évolutif

La dynamique que nous venons de décrire permet d'envisager l'existence d'un cycle évolutif qui repose sur l'alternance successive des trois étapes évolutives (voir Figure 1, p.114) :

1. Etape 1 : l'auto-organisation : à l'état stationnaire, un système ouvert explore les différentes possibilités d'auto-organisation (son potentiel de variation interne, limité par les paramètres d'ordre qui assurent sa stabilité) et sélectionne celles qui améliorent le renouvellement de sa structure et son intégration dans les conditions environnementales. Sans perturbations extérieures, cette phase aboutit à une situation d'adaptation optimale.

2. Etape 2 : la convergence : des systèmes ouverts (des processus d'auto-organisation stabilisés par des paramètres d'ordre) entrent en interaction et explorent les différentes possibilités d'organisation mutuelle susceptibles d'apporter de nouveaux éléments à leur propre organisation (éléments dont ils ne peuvent se doter eux-mêmes). De la stabilité des relations collectives au sein de leur milieu dépend la durée de leur existence.

3. Etape 3 : l'émergence : une relation collective se stabilise entre différents systèmes convergents. Une entité globale émerge, dont l'organisation interne repose à la fois sur les interactions entre les sous-systèmes qui la constituent et sur les nouveaux paramètres d'ordre qui lui assurent sa stabilité. En plus des nouvelles propriétés (spécifiques à ce nouveau palier d'intégration), l'entité globale établit un contexte de réalisation inédit envers les éléments qui la constituent, à la fois en les soumettant à la stabilité de l'ensemble (au travers de paramètres d'ordre internes) et en leur procurant un milieu propice à de nouveaux développements individuels.

FIGURE 3

LE CYCLE EVOLUTIF : UNE REPRESENTATION SCHEMATIQUE SUR TROIS ETAPES

Auto-organisation (niveau n)

¦

Auto-organisation (niveau n)

¦

Convergence

§

Convergence

§

Émergence (niveau n+1)

¨

Émergence (niveau n+1)

¨

Auto-organisation (niveau n)

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Auto-organisation (niveau n)

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Convergence

§

Convergence

§

Émergence (niveau n+1)

¨

Émergence (niveau n+1)

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Les trois étapes du cycle évolutif ne sont pas toujours distinctes : un certain chevauchement est possible, notamment entre l'étape 1 (auto-organisation) et l'étape 2 (convergence). Les systèmes étant ouverts, l'auto-organisation d'un système et la convergence de plusieurs systèmes peuvent se produire en parallèle. En fait, plus un système est ouvert, plus les étapes 1 et 2 sont liées. A la limite, elles ne constituent plus qu'une seule et même étape154. Les étapes 2 (convergence) et 3 (émergence) sont à la fois intimement liées et fondamentalement distinctes. D'un côté, l'émergence d'une entité supérieure stabilise une relation collective existante. De l'autre, la permanence (toujours relative) de la relation collective concrétise une rupture de symétrie temporelle : au travers de l'organisation collective qu'elle représente, l'entité nouvellement créée réalise un type de comportement inédit et manifeste des propriétés jusque-là inconnues aussi bien des éléments qui la constituent que du milieu qui l'accueille155.

L'alternance successive des étapes 1 (auto-organisation) 2 (convergence) et 3 (émergence) constitue ce que nous nommons un cycle évolutif. Selon le type de terminologie à laquelle on recourt, un tel cycle aboutit à l'émergence d'un niveau d'organisation, au franchissement d'un palier d'intégration ou à l'apparition d'une nouvelle dimension. Un cycle évolutif repose sur la continuité des trois étapes156. Pourtant, la continuité du cycle aboutit à une phase de rupture et de discontinuité. Le cycle évolutif repose donc à la fois sur une phase de changement graduel et de continuité et sur une phase de rupture et de discontinuité.

Le cycle évolutif réunit également l'individu et le multiple en une relation circulaire et cumulative. C'est sur la base de comportements individuels qu'émerge une relation collective, et cette relation collective permet l'émergence

154 Dans les systèmes particulièrement évolués comme les systèmes cognitifs, l'interaction entre la variation interne et la variation externe est quasiment simultanée, de sorte que des modifications extérieures influencent directement le fonctionnement interne alors que des modifications intérieures –dans les schémas cognitifs– conduisent à des modifications externes –par exemple en influençant le comportement (Varela, 1996). Cette dialectique interne/externe est l'une des caractéristiques fondamentales du développement du système biologique le plus complexe que nous connaissons : le cerveau humain (Rose, 1975, 1994).

155 Sur la rupture de symétrie temporelle, cf. section 2.5.1, p. 42.

156 Rappelons que cette perspective dynamique n'exclut nullement la possibilité que le processus s'arrête à l'une de ces trois étapes ou entre deux étapes et cela pour une durée indéterminée. De même la possibilité existe toujours qu'une relation collective devienne instable et cesse d'exister. C'est même le cas général dans l'évolution biologique, le maintien d'une espèce constituant l'exception face à la "règle de l'extinction" vérifiée pour plus de 99% des espèces ayant apparu sur Terre depuis sa création (Gould, 1994).

de nouveaux types d'individus dont l'unité spécifique repose sur de multiples éléments. Cette dialectique avait été évoquée dans le cas de la vision synchronique de l'approche systémique; elle apparaît plus évidente dans une perspective diachronique qui met l'accent sur le fait que la complémentarité du couple "un/multiple" repose sur leur alternance dans le temps.

Le cycle évolutif constitue un processus circulaire, lorsque l'émergence d'une nouvelle entité (étape 3) coïncide avec le début d'un nouveau processus d'auto-organisation au niveau de cette entité (étape 1). Le processus est également cumulatif, car chaque nouveau cycle évolutif repose sur l'aboutissement d'un cycle antérieur. Ainsi, chaque palier d'intégration constitue à la fois un aboutissement et un potentiel de commencement. L'existence d'un cycle évolutif circulaire et cumulatif permet ainsi d'envisager l'hypothèse d'une continuité entre les processus évolutifs. Selon cette hypothèse, chaque cycle évolutif concrétise un palier d'intégration dans le cadre d'un processus évolutif global, celui de la "grande évolution".