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Quels enseignements tirer des sciences du vivant ?

3 Evolution et sciences du vivant

3.5 Quels enseignements tirer des sciences du vivant ?

Le survol des sciences du vivant que nous avons effectué, bien que rapide et sommaire, constitue une source riche d'enseignements pour le développement d'une approche évolutive. Tout d'abord, il confirme que l'évolution biotique n'est pas une vue de l'esprit ou un concept abstrait, mais bien un fait scientifiquement établi : il existe une ou plusieurs souches originelles aux phénomènes biotiques, et ces phénomènes ont conduit à une grande diversité d'organismes, au sein de laquelle les organismes les plus élémentaires coexistent avec les plus complexes.

Parallèlement, les controverses portant sur les processus conduisant à l'évolution biotique sont nombreuses, au point qu'il n'existe pas actuellement de théorie aboutie susceptible d'appréhender la complexité et la diversité des processus vitaux. Un consensus semble cependant exister au sein des théories biologiques sur le fait que l'évolution biotique est à la fois cause et conséquence d'une double tendance : une tendance à la variation qui constitue une source de diversité au sein des êtres vivants, et une tendance à la sélection de certains types d'organismes qui s'avèrent plus adaptés aux conditions de vie spécifiques à leur contexte spatio-temporel. Prise isolément, chacune de ces deux tendances conduirait à une impasse évolutive (instabilité chaotique dans le premier cas, immobilité totale dans le second). Ainsi, le couple variation-sélection s'avère nécessairement complémentaire, pour qu'une évolution biotique conduise à des organismes capables à la fois de se maintenir dans leur milieu et s'y développer : la variation, qui résulte du fonctionnement de la vie elle-même (et de ses interactions avec son milieu physique), assure un renouvellement des possibilités biologiques, et constitue une source de propriétés nouvelles dans le domaine du vivant; la sélection, qui résulte du caractère fondamentalement limité du contexte de réalisation matériel des processus vitaux (qui inclut un apport limité en basse entropie sous forme de flux d'énergie solaire), limite l'expansion de ces processus, ce qui se traduit par l'élimination de certaines propriétés, le maintien de certaines autres, et l'adoption de nouvelles.

Le consensus apparent sur l'existence d'une double tendance inhérente à l'évolution biotique au travers du couple variation-sélection laisse entrevoir d'intéressantes perspectives sur une possible articulation d'une théorie générale de l'évolution en biologie. Cependant, les controverses demeurent virulentes.

Outre les aspects particuliers sur lesquelles elles portent (rythme de l'évolution, types d'interaction entre les différents niveaux d'organisation du monde vivant,

impact des interactions avec le milieu naturel), les controverses portent également sur le type d'approche adoptée par les biologistes. Face à l'approche essentialiste que la biologie propose pour l'étude de l'évolution sur la base des organismes eux-mêmes, la nature dialectique de l'approche écologique et son intérêt spécifique envers la nature relationnelle de l'évolution constitue certainement une alternative digne du plus grand intérêt.

Grâce à ses développements scientifiques sur les interactions intra- et inter-espèces, l'écologie apporte à l'approche évolutive des enseignements précieux : l'évolution ne résulte pas seulement d'une sélection statistique de génotypes individuels au sein d'un pool génique, comme la génétique des populations l'enseigne. Elle résulte également de l'interaction des comportements adaptatifs d'espèces qui co-évoluent au sein d'écosystèmes eux-mêmes reliés par les grands cycles naturels de la Biosphère. Dépendante des interactions extraordinairement complexes entre les comportements d'innombrables organismes vivants, l'évolution naturelle s'auto-produit et peut donc avoir lieu même au sein d'un milieu globalement stable. Ce processus de structuration complexifiante demeure cependant fondamentalement dépendant de l'existence d'un flux entropique irréversible sans l'alimentation duquel tout processus interne à la Biosphère cesserait vite. Ainsi, pour qu'elle se réalise, l'évolution naturelle demeure soumise aux lois de la thermodynamique; en même temps, sa réalisation est parfaitement compatible avec ces mêmes lois.

L'écologie, en montrant que les interactions entre les espèces sont à la fois causes et conséquences des processus d'adaptation et de sélection, révèle le rôle fondamental que joue la coévolution des espèces dans l'évolution biologique.

Avec la coévolution, l'évolution des espèces est à la fois à la fois cause et conséquence de l'évolution naturelle. L'évolution naturelle est la résultante de causes exogènes (changements de l'environnement global, dus à des causes extra-biosphériques) et à des causes endogènes (l'évolution de la Biosphère elle-même, conséquence des interactions entre les organismes vivants et leur milieu biophysique). La prise en compte de cette réalité implique une représentation véritablement dialectique de l'évolution, où l'évolution biologique façonne elle-même le milieu physico-chimique duquel elle a émergé et dans lequel elle évolue. A ce propos, l'écologie globale met en évidence que la biologie, en tant que science du vivant, ne peut être pensée isolément de sa dimension physico-chimique et de son contexte géologique. Tout semble ainsi indiquer qu'une théorie générale de l'évolution nécessite une intégration des connaissances

acquises dans de nombreux domaines du savoir humain, ainsi qu'un important travail méthodologique d'articulation entre ces savoirs. Toutefois, même si les ingrédients d'une nouvelle synthèse sont d'ores et déjà disponibles, celle-ci n'a pas encore vu le jour. Ainsi que le dit Grassé113 : "Le mécanisme de la grande évolution, c'est-à-dire la vraie, reste à découvrir".

113 Grassé P.-P., ´Evolution´ Encyclopaedia Universalis, édition 1996, Corpus 9, p. 138.

4 L'évolution : un concept intégrateur ?

Le principe cartésien de l'analyse −qui cherche à subdiviser la réalité en parties bien distinctes pour mieux la comprendre− a permis à la science classique d'expliquer un grand nombre de phénomènes. Cette procédure analytique a été une méthode d'investigation scientifique essentielle et demeure nécessaire à l'avancement de la science. Par contre, elle ne peut plus prétendre, comme par le passé, au monopole de l'explication scientifique. En effet, la complexité et la globalité que le principe analytique tentait d'éluder ont réapparu au sein même de la discipline qui l'avait appliqué jusqu'à ses ultimes limites : la physique quantique. Comme le relève Bernard d'Espagnat (1997) :

Autrefois, les théories contenant un élément globalisant étaient plutôt vagues, cantonnées à certains domaines, comme la psychologie. La physique quantique, elle, est d'une précision extraordinaire, elle amène des prédictions à 10-7 près, mais elle n'en implique pas moins ce principe de globalité.

(d'Espagnat, 1997:3)

Pour prendre en compte la globalité en sciences, il n'est pas question de passer d'un réductionnisme à l'autre, et de ne considérer, dans une perspective holiste, que l'aspect global de la réalité. C'est dans la complémentarité du tout et de ses parties qu'il convient de baser son approche. Toutefois, compte tenu de la spécialisation extrême des disciplines scientifiques, redécouvrir la globalité en science ne constitue pas une entreprise facile. Une des façons d'y parvenir consiste à mettre en évidence, au sein des domaines d'étude des sciences traditionnelles, des principes similaires ou communs. C'est la voie qu'a choisie l'approche systémique.

4.1 L'approche systémique, une représentation synchronique de