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à quel point ?

6.1 L'émergence de l'économie évolutive

Des tendances évolutives :

à quel point ?

6.1 L'émergence de l'économie évolutive

A ce jour, l'économie évolutive ne constitue pas une théorie solidement établie, reposant sur des hypothèses clairement définies et disposant de modèles explicatifs éprouvés. Ainsi, pour Ulrich Witt (1993b:x) "a general analytical framework and a coherent organization of the many problems (…) have not yet been achieved", ajoutant ailleurs que "[t]he evolutionary approach to economics is still awaiting a discussion of its general principles…" (Witt, 1991:85). Les auteurs qui se situent parmi les tenants d'une approche évolutive proviennent en effet d'horizons forts variés (Hodgson, 1995, 1997).

L'extrême variété des approches évolutives contemporaines en économie repose sur un double phénomène. D'une part, les contributions théoriques les plus importantes du courant évolutif, comme celles de Thorstein Veblen ou de Joseph Schumpeter, ont été développées de manière indépendante et dans des contextes différents. D'autre part, en élaborant l'œuvre d'un même "maître à penser", les développements ultérieurs auxquels ces approches ont conduit n'ont généralement pas eu comme objectif un éventuel rapprochement, et ont, de fait, suivi des trajectoires divergentes, conduisant à des interprétations souvent fort différentes les unes des autres.

Parallèlement des courants de pensée dont l'intérêt premier n'était pas de développer une approche évolutive (comme l'école autrichienne ou l'école de Chicago) se sont efforcés d'intégrer certaines notions évolutives dans leur approche, conduisant à des visions de l'économie évolutive –ou de l'évolution

économique– fort variées. Issues de courants méthodologiques différents, ayant évolué le long d' "itinéraires épistémologiques" divergents, les diverses approches de l'économie évolutive contemporaine apparaissent souvent difficiles à concilier, et s'avèrent parfois incompatibles (Hodgson, 1998).

A la fois cause et conséquence, explanans et explanandum, le manque d'approche unifiée ne constitue pourtant pas un obstacle insurmontable à l'établissement d'une telle approche. Face à une telle variété, un certain recul méthodologique est souhaitable. C'est ce que fait Alan Gruchy (1990) lorsqu'il distingue trois manières d'appréhender l'institutionnalisme :

1. une approche par la diversité des sujets abordés ; 2. une approche thématique ;

3. une approche "paradigmatique".

En considérant l'économie évolutive selon la diversité des sujets abordés, on est vite confronté au caractère disparate des contributions qui rend toute généralisation impossible, si bien que le manque de cohérence d'ensemble est mis en évidence. La seconde approche tente de définir un ensemble de thèmes privilégiés de l'économie évolutive. Deux types de contributions se retrouvent dans cette catégorie : d'une part, les études qui, adoptant une approche épistémologique, s'intéressent à l'évolution de la pensée évolutive en sciences économique (Clark & Juma, 1988, Hodgson, 1993, 1995a, 1997; Langlois &

Everett, 1994) ; d'autre part, les études qui présentent les thèmes ou concepts de l'économie évolutive contemporaine (Saviotti & Metcalfe, 1991; Witt, 1992, 1993, 2001; Dosi & Nelson, 1994; Hodgson, 1998).

Malgré la nette avancée par rapport à l'approche précédente, l'approche thématique manque encore d'un cadre conceptuel et théorique unifié permettant d'articuler chacun des thèmes les uns avec les autres. Conscients de ce problème, la plupart de ces auteurs, après avoir reconnu le manque d'unité de l'économie évolutive, s'efforcent de dépasser la variété des interprétations et de doter l'économie évolutive de structures analytiques et d'outils conceptuels communs212. Ainsi, au-delà des controverses, quelques notions essentielles

212 Relevons qu'en lieu et place d'un cadre d'analyse général, certains auteurs plaident en faveur d'un pluralisme méthodologique comme condition à une recherche scientifique ouverte et créative (Bush & Tool, 2001). Nous pensons qu'une approche véritablement évolutive permet de donner un cadre de référence général qui intègre l'ouverture –ou la non-finitude–

comme postulat de base.

semblent émerger comme concepts de base d'une économie évolutive : parmi les thèmes convergents, on trouve notamment le changement économique et la nouveauté (Witt, 1992, 1993, 2001), l'analyse dynamique et la métaphore biologique (Dosi & Nelson, 1994; Nelson, 1995, 2001; Hodgson, 1993).

Cependant, le manque d'approche synthétique se fait toujours sentir, et mis à part une opposition commune au paradigme mécaniste, aucune articulation claire entre ces thèmes n'est présentée.

Ainsi, bien que perceptible, l'approche paradigmatique de l'économie évolutive n'est pas encore confirmée. Comme le relèvent Saviotti et Metcalfe (1991), loin de représenter un système théorique complet, la métaphore ou le paradigme évolutif en économie est en train d'émerger et il faudra sans doute une période de "science normale" (Kuhn, 1962) pour qu'il se développe pleinement213.

C'est dans ce contexte que se situe notre propre contribution. Après avoir tenté d'identifié les caractéristiques d'une théorie générale de l'évolution (une méta-théorie évolutive), il convient maintenant de voir en quoi cette façon de procéder nous aide à présenter une approche évolutive unifiée de l'économie.

Conformément à la méthodologie que nous associons à une approche évolutive de la connaissance214, il conviendrait de déterminer de quelle manière les principes évolutifs se réalisent en économie. L'élaboration d'une théorie économique évolutive reposerait alors sur l'articulation en un tout cohérent des principes économiques évolutifs. Toutefois, conscients de la nature heuristique de notre démarche et du caractère inachevé de notre étude, nous ne prétendons pas réaliser cet objectif dans le cadre de ce travail. Nous le considèrerons plutôt comme une direction à suivre, un objectif susceptible de guider notre démarche.

Nous allons donc suivre une "démarche paradigmatique indirecte". Une telle démarche consiste à rechercher, parmi les contributions les plus représentatives des différents courants évolutifs, les principales tendances que nos propres développements ont permis d'identifier. Plutôt que de nous

213 Dans cet esprit, Hodgson (1993:viii) compare l'état encore émergeant de l'économie évolutive à la formulation accomplie de l'économie néoclassique : "It should be emphasized that there is not a well-rounded ´alternative´ theory here, merely signposts to, and modest suggestions for, the economics of the future. Those that look for such an instant

´alternative´, perhaps as a condition for giving anything heterodox serious consideration, simply forget the history of their own orthodoxy. Neoclassical economics took over a period of more than a dozen exceptionally gifted minds over a period of more than ninety years – from the 1860s to the 1950s– before it emerged in its modern form."

214 Cf. section 1.7, p.24.

intéresser aux très nombreuses contributions pouvant se réclamer de l'économie évolutive –l'éventail étant d'autant plus large qu'aucune théorie unifiée n'est constituée–, nous voulons privilégier celles issues d'auteurs qui ont mis l'accent sur la réalisation en économie de principes évolutifs215. Or, la grande majorité des ouvrages et articles que nous avons lus constituent des développements plus ou moins directs de l'approche développée par quelques "maîtres à penser"

parmi lesquels on peut citer Adam Smith, Alfred Marshall, Joseph Schumpeter et Thorstein Veblen. C'est pourquoi nous avons décidé de nous limiter au traitement de l'approche que donnent ces "auteurs-clés" de la pensée évolutive en économie216.

Pour chacune d'entre elles, nous voulons déterminer si des principes évolutifs ont été identifiés et dans quelle mesure leur traitement apparaît compatible avec le type d'approche évolutive que nous proposons. Le cas échéant, nous tenterons de déterminer en quoi l'approche présentée pourrait ou non être aménagée en vue d'une meilleure prise en compte des processus évolutifs en économie. Cette façon de faire devrait nous permettre de déterminer les contributions qui sont les plus riches d'enseignements pour une approche évolutive de l'économie, et donc de nous rapprocher de l'objectif visé dans ce chapitre.