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L'hypothèse évolutionniste : le continuum de l'évolution

3 Evolution et sciences du vivant

4.3 La dynamique évolutive

4.3.5 L'hypothèse évolutionniste : le continuum de l'évolution

Les découvertes concernant l'auto-organisation des systèmes loin de l'équilibre thermodynamique, associées aux principes de variation et de sélection issus de la biologie évolutive permettent d'envisager une description cohérente et non téléologique de la dynamique de la hiérarchie des systèmes. L'approche évolutive intègre le processus d'auto-organisation selon lequel un système ouvert organise et complexifie sa propre structure avec le temps; elle révèle les processus de convergence par lesquels des systèmes individuels entretiennent des relations avec d'autres systèmes et décrit l'émergence d'un palier d'intégration comme une relation globale et stable qui s'établit entre des systèmes convergents. L'émergence par la convergence correspond à l'irruption de la nouveauté, à l'apparition d'une nouvelle forme d'organisation, à celle de nouvelles propriétés et d'un nouveau potentiel de développement. Les conséquences de l'actualisation d'un tel potentiel concernent aussi bien les éléments constituant l'entité collective que le milieu qui l'accueille.

Dans un tel cadre, la vision évolutionniste propose de considérer la

"grande évolution" comme une sorte de méta-processus ouvert dont la continuité est assurée par l'action conjointe et complémentaire de deux tendances évolutives fondamentales : une tendance générale à la différenciation et une tendance locale à l'intégration. Selon cette approche, le méta-processus évolutif

est un processus circulaire et cumulatif : l'évolution s'auto-produit de manière récursive, c'est-à-dire que chaque boucle d'évolution intègre et poursuit le niveau d'évolution atteint lors d'une boucle précédente. A chaque étape, un palier évolutif est franchi.

Dans la vision évolutionniste, l'apparition de la matière structurée, celle de la vie, puis de la conscience et de la culture constituent les étapes majeures d'un grand courant d'évolution cosmique qui anime l'Univers depuis sa création et qui se poursuit sans qu'une issue ne puisse lui être associée (Laszlo, 1987).

L'évolution apparaît comme une sorte de méta-processus irréversible et ouvert ponctué d'évènements majeurs, une histoire continue de bifurcations successives : "[a]u cours de ce processus de complexification et d'émergence de structures nouvelles, la matière a franchi une série de seuils qui l'ont fait passer de l'inanimé au vivant, puis au conscient, et enfin à la conscience repliée sur elle-même" (Passet, 1996a:93). Un bon exemple de la vision évolutionniste nous est donné par Laszlo & Laszlo (1993) :

Dans certaines conditions spécialement favorables, le niveau d'organisation prend les proportions de substances organiques extrêmement lourdes, comme les protéines et les acides nucléiques. Les stocks contributifs fondamentaux sont alors fournis par la constitution d'unités d'un niveau encore supérieur qui se reproduisent elles-mêmes : les cellules. Ces systèmes maintiennent un flux constant de substances entre leurs structures, et leur imposent un état stationnaire avec des paramètres spécifiques. Il se peut que les flux d'entrée et de sortie se coordonnent avec des unités analogues dans le milieu environnant, et nous sommes alors sur le chemin de phénomènes multicellulaires. Les structures résultantes -ou organismes- ressemblent à des configurations stationnaires imposées par un flux continu, composé cette fois d'énergies libres, de substances (énergies intégrées de façon rigide) et d'information (configuration d'énergies codées). Les flux d'entrée et de sortie des organismes peuvent se consolider en voies à la structure bien définie, et la nature de ces voies, conjuguée à la diversité des systèmes organiques qui interagissent localement, définit le système écologique. Dans certains cas, où des organismes en forte interaction s'agglomèrent. Les voies convergent en un système composé d'une seule variété d'organismes : il s'agit alors d'un système social. Et quand les organismes en interaction sont des créatures conscientes, maniant des symboles, le système qui émerge de leurs interférences mutuelles est socioculturel. Enfin, les flux de communication et d'interaction envahissent la région de l'espace-temps dans lequel ils interviennent et forment un système particulier. C'est Gaia, le système global de la biosphère et de la sociosphère.

(Laszlo & Laszlo, 1993:136)

La vision évolutionniste n'est pas nouvelle : on la trouve déjà dans la pensée antique (Buican, 1989). Ce qui est nouveau, c'est qu'elle se base sur les découvertes scientifiques les plus récentes. De l'astrophysique à la physique quantique, de la biologie moléculaire à l'écologie, les sciences naturelles découvrent des liens de globalité, des éléments de continuité entre les

disciplines scientifiques. Peut-être y a-t-il là une possible unité de la science ? La vision évolutionniste est en tous cas très proche de la conception qu'avait Bertalanffy (1968) de l'unité de la science157.

Toutefois, dans la vision évolutionniste, l'unité de la science ne repose pas sur l'hypothèse de l'existence de principes communs dans des domaines du savoir habituellement distincts (les isomorphismes chers à Bertalanffy). Dans une approche évolutionniste, l'unité entre les disciplines scientifiques traditionnelles (sciences physiques, sciences biologiques, sciences sociales) repose sur le fait que l'objet d'étude de chacune de ces disciplines s'inscrit dans le même courant évolutif de base, la "grande évolution", qui situe chaque événement dans une méta-histoire unidirectionnelle et continue, et cela quel que soit le processus étudié, et quelles que soient ses spécificités.

L'hypothèse d'une continuité fondamentale dans l'émergence successive de paliers évolutifs distincts est parfaitement compatible avec le postulat de base de l'approche évolutive selon lequel tout processus évolutif se réalise dans une dimension temporelle continue, au sein de laquelle les phénomènes sont fondamentalement liés du simple fait que leur réalisation se succède dans le temps. Pour prendre en compte cet élément de continuité à la fois entre les phénomènes et les sciences qui les étudient, nous recourons au terme d'unité diachronique. L'unité diachronique reflète l'idée que la dimension temporelle donne un élément de continuité même dans le cas de phénomènes distincts, à l'instar de l'émergence successive des paliers d'intégration.

L'unité diachronique apparaît par contre en contradiction flagrante avec la vision intégrée qu'avait Bertalanffy (1968) de la science. Bertalanffy recherchait une "unité de la science (…) au travers des uniformités structurelles qui existent entre les différents niveaux de la réalité" (Bertalanffy 1968:85). Selon nos développements, il n'existe pas d'uniformités structurelles ou isomorphismes à proprement parler : des principes relatifs à la dynamique de réalisation des processus communs peuvent être définis abstraitement mais les modalités de la réalisation effective des processus dépendent toujours des conditions spécifiques de réalisation (interaction du processus et du contexte). Ainsi, si une unité

157 "La conception moderne de la réalité la présente comme un gigantesque ordre hiérarchique composé d'êtres organisés qui mène, par la superposition de nombreux étages, des systèmes physiques et chimiques aux systèmes biologiques et sociologiques. L'unité de la science est obtenue, non pas par une réduction utopique de toutes les sciences à la physique et à la chimie, mais grâce aux uniformités structurelles qui existent entre les différents niveaux de la réalité" (Bertalanffy, 1968:85).

diachronique entre les paliers d'intégration peut être envisagée, une telle unité s'accompagne de la nécessaire prise en compte des différences structurelles et fonctionnelles qui caractérisent les modes de fonctionnement des différentes dimensions ayant émergé dans le courant de la "grande évolution". C'est pourquoi nos développements nous font considérer que l'approche évolutive ne vise pas l'identification d'une unité de la science, mais qu'elle propose une vision intégrée de la science au travers de principes de réalisation à la fois communs et spécifiques à chaque palier évolutif, vision qui conduit à une articulation des disciplines scientifiques sur la base d'une unité diachronique entre les paliers évolutifs.