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3 Evolution et sciences du vivant

4.1 L'approche systémique, une représentation synchronique de l'évolution

4.1.7 Dépasser l'approche systémique

Avec le concept de système, l'approche systémique propose une notion susceptible de prendre en compte à la fois la complexité et la globalité. La représentation du monde au travers d'une hiérarchie de systèmes complexes permet d'intégrer la dialectique fondamentale reliant "l'un" et le "multiple", puisque chaque système est à la fois un tout intégré constitué de multiples parties (chacune d'elles étant un tout complexe et multiple) et l'un des éléments

129 Passet (1996a:203) donne des niveaux d'organisation la définition suivante : "On peut définir les niveaux d'organisation par l'articulation des finalités dont la combinaison conditionne l'apparition et l'existence d'un système. Ainsi, des cellules (niveau 1) combinent leurs activités dans un organe (niveau 2), dont la (ou les) fonction(s) associée(s) à d'autres assure(nt) l'accomplissement de fonctions de niveau supérieur (système digestif, respiratoire... niveau 3) qui, associées, permettent le maintien de la reproduction de l'organisme (niveau 4). Le « rang » de chacun de ces niveaux dépend des limites et de l'objet de l'analyse : d'une part, l'organisme peut être inséré dans divers systèmes et d'autre part, on peut descendre très bas à l'intérieur même de la cellule."

130 Pour Passet (1996a:205), "[d]ans les sociétés comme dans le vivant de nouvelles propriétés, de nouvelles fonctions, de nouveaux besoins et de nouvelles finalités qui n'étaient pas apparentes à un certain niveau d'organisation, se révèlent lorsque l'on passe à un niveau supérieur."

d'une relation collective formant un niveau d'organisation supérieur. Ces caractéristiques nous semblent rendre compte de la valeur heuristique de l'approche systémique.

Cette valeur est renforcée par le fait que le concept de système constitue un concept théorique abstrait, à la fois décontextualisé et désubstancialisé (Passet, 1996a). En ce sens, le concept de système permet d'appréhender, au travers d'une abstraction simplificatrice, le caractère possiblement universel des entités réelles131. En outre, le système demeure un concept abstrait et universel tant que ni le système, ni l'environnement dans lequel il se trouve ne sont identifiés. Pour cette raison, le concept de système fait partie de cette catégorie de concepts que nous appelons méta-concepts, potentiellement adapté à l'élaboration d'une méta-théorie visant l'articulation des disciplines scientifiques traditionnelles. En ce sens, le concept de système se situe à un niveau transdisciplinaire, qui permet à la fois de concevoir l'unité de la science et la différenciation des sciences, non seulement selon la nature matérielle de leur objet, mais aussi, selon les types et les complexités des phénomènes d'association/organisation (Morin, 1990).

La tentative systémique de proposer une théorie générale et une vision intégrée de la science doit être considérée dans cette perspective. En effet, la vision unifiée de la science, présente en particulier chez Bertalanffy (1968) constitue un programme universaliste qui ne peut éluder son propre caractère abstrait. Tout système, pour être étudié, nécessite d'être défini, ce qui requiert notamment une distinction claire d'avec son environnement. Ainsi que le relève Luhmann (1990:282), cette distinction "oblige à indiquer chaque fois très précisément quelle est la référence systémique dont on part et ce qui est l'environnement de ce système déterminé." Autrement dit, toute schématisation provisoire en termes de concepts systémiques devrait s'accompagner d'une prise en compte des conditions spécifiques d'un contexte concret. A défaut, l'approche systémique ne permet que l'articulation de concepts abstraits.

Le programme universaliste de la méta-théorie doit donc se doter d'une contrepartie empirique fondamentalement spécifique liée à la définition de son objet d'étude concret. Ce point est abordé par Bertalanffy (1968) qui ne nie pas

131 C'est du moins l'opinion d'Edgar Morin pour qui l'approche systémique "franchit les trois grands secteurs entre lesquels était interdite ou inconcevable toute théorisation commune : le physique, le vivant, l'humain." Cité par Passet (1996a:200).

les spécificités des systèmes particuliers132. Selon lui, la théorie générale des systèmes ne peut se passer de l'étude des systèmes concrets, mais elle apporte quelque chose de plus, une "approche unifiée de la science".

Toutefois, l'articulation des disciplines au sein de cette vision unifiée n'apparaît pas clairement, ce qui n'est peut-être pas sans lien avec la vision du monde que propose l'approche systémique. Dans sa version simplifiée, la théorie générale des systèmes représente la complexité de la réalité au travers d'une hiérarchie de systèmes complexes emboîtés les uns dans les autres, chacun présentant à la fois des principes de fonctionnement communs et des propriétés spécifiques et irréductibles. Or, cette représentation ne permet pas de déterminer le type d'interactions existant entre les systèmes de niveaux différents, empêchant la théorie générale de proposer une articulation claire des disciplines qu'elle prétend intégrer.

Ainsi, la représentation des systèmes en une hiérarchie de niveaux d'organisation n'apparaît pas complètement satisfaisante. Elle propose une conception partiellement téléologique où chaque niveau est supposé avoir une finalité propre, mais elle n'explique ni l'origine de l'organisation qui réalise cette finalité, ni les relations qui existent entre cette finalité particulière et celle des autres niveaux d'organisation (inférieurs ou supérieurs). Dès lors …

…la simple dénonciation du réductionnisme risque de se borner à répéter les critiques d'Aristote contre les atomistes de son époque et à opposer à l'idée que le tout est simplement déductible du comportement des parties, la vieille notion d'organisation hiérarchique : à chaque niveau une nouvelle totalité émerge, qui suppose les parties mais les intègre dans un comportement d'ensemble régi par une logique qui leur est étrangère et qu'elles ne peuvent expliquer. (Prigogine & Stengers, 1979:173)

Incapable de proposer une articulation claire entre les différents niveaux de systèmes, l'approche systémique classique doit être complétée par une description des relations qui unissent ces différents niveaux. Pour ce faire, et conformément à notre approche, nous allons privilégier la dimension dynamique de ces interactions, en étudiant les conditions dans lesquelles de telles relations ont émergé.

132 Bertalanffy (1968) consacre des chapitres entiers à la spécificité de l'usage du concept de système en physique, en biologie et dans les sciences de l'homme (y compris la psychologie et la psychiatrie).