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Contexte historique, théorique et méthodologique

Chapitre 1 : Contexte socio-historique de la thèse

1.1. France / Brésil : bilan d’une histoire (é) mouvante

1.1.1. Les regards croisés : premiers contacts

« Traiter des influences croisées entre la France et le Brésil, c’est renouveler ce désir intellectuel et humain d’affronter l’altérité spécifique, de saisir dans leur dynamique endogène d’autres rationalités contextualisées » (Guicharnaud-Tollis, 2008).

Si nous souhaitons comprendre les affinités qui lient la France et le Brésil, il semble intéressant de se tourner vers les relations historiques entre les deux pays,carlesintérêtsfranco-brésiliens se situent bien au-delà des questionnements économiques et politiques. La convoitise et la curiosité invitent l’homme français à une expérience de l’exotisme ; le mélange du barbare et du civilisé témoigne d’un besoin pluri-culturel à double sens.

Les échanges franco-brésiliens peuvent se définir selon trois types de relation : un intérêt premier pour une matière noble – le bois brésil– pau-brasil

(Chaves de Mello, 2010)16; une relation d’affect pour cet indien sauvage et barbare que le Français civilisé veut éduquer (Carelli, 1988)17 et une fascination pour la découverte, celle d’un nouveau monde riche et troublant (Roman de Oliveira, 2007)18. France et Brésil ont construit une histoire de croisements culturels et également linguistiques formant un mélange culturel. « Il convient de respecter la complexité et l’ambiguïté de ce croisement de cultures pour ne pas le réduire à des schémas trop faciles » (Carelli, 1993: 15)19.

16 CHAVES DE MELLO Maria Elisabeth, 2010 « France et Brésil: dialogues possibles à travers la littérature de voyage » in : Synergies Brésil n° spécial 2 - 2010 p. 127-134.

17 CARELLI Mario, 1988, Brésil, Epopée Métisse, Paris, Découvertes Gallimard, Histoires.

18 ROMAN DE OLIVEIRA, A.B. 2007, Les femmes brésiliennes dans la presse française durant l’Année du Brésil en France : une représentations stéréotypée et sexiste. Mémoire de Master 2 en Média et Société. Université Paris VIII, Paris, 150p.

19 CARELLI Mario, 1993, Cultures croisées. Histoire des échanges culturels entre la France et le Brésil, de la découverte aux temps modernes. Paris: Editions Nathan.

Le Brésil n’était pas inconnu des français lors de sa découverte, au XVIe siècle. Grâce aux informations portugaises, les marins français se lancèrent dans l’aventure, à la recherche des Indes. Les relations entre les deux pays débutèrent en 1535, lorsque Binot Paulmier de Gonneville fut le premier français à fouler les côtes brésiliennes (et non indiennes !). Il rentra en France sept mois plus tard, ramenant avec lui un Indien Carijó nommé Essomeriq20. Ce dernier fut probablement le premier brésilien à marcher sur le sol français. Il y fut initié aux coutumes françaises, se maria et eut des enfants. Nous ignorons s’il rentra au Brésil.

De retour au Brésil, les français, désireux de connaître un peu plus ce nouveau monde, établirent un contact avec un groupe d’indiens-brésiliens et essayèrent d'apprendre leur langue. Il semble qu’ils furent plus appréciés des indiens que leurs premiers colonisateurs portugais21. Au départ, la rusticité des indiens brésiliens effraya les européens, mais leur image évolua rapidement grâce à leurs participations aux fêtes de la cour22 qui initièrent la publication d’une série de documents consacrés à la présence des indiens en France.

Aussitôt le premier contact établi, quelques années plus tard, dans la baie de Guanabara, actuelle Rio de Janeiro, le vice-amiral breton Nicolas Durand de Villegagnon fonda en 1555 la « France Antarctique23 ». Inspiré par les réformistes

20 Essomericq se marie en Normandie avec une française, avec qui il a 14 enfants. Son arrière petit-fils, Jean Paulmier de Gonneville, né en 1632, était chapelain de l’église Notre Dame de Lisieux et, dans ses mémoires il mentionne avec fierté son ascendance brésilienne. Il n'y a aucun document sur ses perceptions de l'Europe. (Roman de Oliveira, 2007 : 12).

21 « Des « truchements », interprètes français, souvent très jeunes, laissés au Brésil, y apprenaient les langues indiennes et servaient d’interprètes à leurs compatriotes. Leurs rapports avec le Tupi étaient des meilleurs à tel point que beaucoup « s’ensauvagèrent » (…). Ils semblaient préférer les maïrs, Français à barbe rousse, aux péros, Portugais plus basanés ». (Carelli, 1993 : 26)

22 « Étude de documents iconographiques montre que l’affirmation d’une présence brésilienne en France fut très précoce : dès le XVI siècle, à Rouen, certains Indiens participent déjà à une fête brésilienne, et avant même 1550, des navigateurs normands entrent en contact avec les Indiens Tupinambas. (Guicharnaud-Tollis 2008 : 13) (GUICHARNAUD-TOLLIS Michèle (coll), 2008, Regards croisés entre la France et le Brésil. Paris, Harmattan.)

23 En hommage au roi Henri II, Villegagnon construisit le fort de Coligny et posa la première pierre d’Henryville (nom donné à l’endroit) qu’il avait baptisé « la France Antarctique »

et les huguenots, il instaura des colonies religieuses. Le chevalier de Malte24 souhaitait évangéliser les indiens grâce à la présence de « bons chrétiens français pour peupler la colonie » (Carelli, 1993 : 27). Ce sauvage serait baptisé, exorcisé et civilisé pour, ensuite, être mythifié (Ibid. : 23). Néanmoins, les affrontements entre catholiques, calvinistes et réformateurs eurent raison de ses idées et amenèrent à la destruction de la France Antarctique par le gouverneur du Brésil de l’époque, le portugais, Men de Sá.

« Cette découverte d’un pays infini semble de grande considération », écrivit Montaigne ([1580]2008 : 11-12)25 dans son Essai sur le nouveau monde. Le philosophe, tout comme le cordelier André Thevet et le calviniste Jean de Léry, faisait part de ses impressions sur la découverte du Brésil26. La barbarie et la civilisation, l’enfer et le paradis étaient des thèmes récurrents dans la littérature de l’époque. Thevet et Léry participèrent à l’instauration du fort-Coligny et, de retour en France, publièrent respectivement « Les singularités de la France Antarctique » (1557) et « Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil » (1578) (Chaves de Mello, 2010). Montaigne écrivit son recueil à partir de récits de vie de témoins français sur leurs expériences lors de la découverte du nouveau monde27.

Lévi-24 Nom attribué à Villegagnon in : Montaigne, Michel de [1580] Des Cannibales suivi de La peur de l’autre (anthologie), Paris, Gallimard, 2008.

25 MONTAIGNE Michel de, [1580] 2008, Des cannibales suivi de La peur de l’autre (anthologie). Par Bénévent C. Collection Folioplus classiques (n° 143). Paris, Gallimard.

26 Nous tournons notre regard vers Jean de Léry qui fut impressionné par les pratiques anthropophages des indiens. « Par quoi qu’on n’abhorre plus tant désormais la cruauté des sauvages anthropophages, c'est-à-dire mangeurs d’hommes : car puisqu’il y a de tels, voire d’autant plus détestables et pires au milieu de nous, qu’eux qui, comme il a été vu, ne se ruent que sur les nations lesquelles leur ennemies, et ceux-ci se sont plongés au sang de leurs parents, voisins et compatriotes, il ne faut pas aller si loin qu’en leur pays, ni qu’en l’Amérique pour voir choses si monstrueuses et prodigieuses» (Léry, 1578) Livre en ligne in : http://www.bvh.univ-tours.fr/Epistemon/XUVA_Gordon1578_L47.pdf. Consulté le 18/03/2015.

27 Même si pour certains auteurs, comme Léry, l’indien brésilien est un sauvage et vit au stade de la barbarie, Montaigne, lui croit à la différence de nature et de culture entre les peuples. « Il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu’on m’en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ; comme de vrai, il semble que nous n’avons d’autre mire de la vérité et de la raison que l’exemple et idée des opinions et usances du pays où nous sommes. » (Montaigne [1580]2008 : 16)

Strauss (1991 : 281)28 rejoignit l’idée de que « toute société apparaît sauvage ou barbare quand on juge ses coutumes au critère de la raison ». Dans ce cas-là, la raison est décrite comme appartenant à la société française ; la société brésilienne qui se vulgarise avec l’exhibition des vrais sauvages en France.

Après l’échec de la France Antarctique, les français ne se laissèrent pas décourager par les conflits avec les portugais et trouvèrent un autre moyen de se rendre au Brésil. Avec des hommes d’armes, des nobles et des religieux capucins, en 1612, le navire du seigneur de La Ravardière, Daniel de la Touche, débarqua en terres nouvelles, cette fois-ci, au nord du pays. Ils fondèrent la ville de Saint-Louis-du-Maragnon, aujourd’hui São Luis, capitale de l’état du Maranhão. Les français immortalisèrent cette expédition en France Équinoxiale. Pour des raisons économiques et diplomatiques liées aux relations hispano-portugaises29, les Français finirent par quitter les terres brésiliennes en 1615, laissant derrière eux une ville détruite qui au départ avait été construite en hommage au roi de France Henri IV. L’histoire des conquêtes françaises en terre brésilienne ne s’arrêta pas là, car les français se montraient toujours intéressés par le nouveau monde. L’installation des colonies françaises entre le nord de l’Amazonie et la Guyane Française se prolongea jusqu’au XIXème siècle. La prise de Rio de Janeiro, l'exploitation des mines d’or du Minas Gerais et l’occupation portugaise de la Guyane Française furent des événements importants dans l'histoire des conquêtes et des guerres entre la France et le Brésil.

Nous notons que l’idée de barbare, de sauvage et de pauvreté dépend finalement du point de vue adopté. De nos jours, les questions sur les représentations de la langue-culture de l’autre dépendent de variables spatiales et temporelles prédéfinies. D’où regardons-nous? Qui regardons-nous? Les réponses

28 LEVI-STRAUSS Claude, 1991, L’histoire de Lynx, Paris, Plon.

29 L’Espagne y participe en raison du mariage entre Louis XIII et Anne d’Autriche. Le roi espagnol Felipe III demande l’expulsion des français, car il avait un rapport avec la couronne portugaise. Le roi Louis XIII ne réagit pas face à la demande des espagnols puisque son mariage était aussi en jeu.

à ces questions ne sont pas évidentes. Cette approche historique nous montre que les images et les représentations créées autour de la langue-culture étrangère se sont transformées au fil du temps et ne sont que le début d’une suite d’événements. Nous avons pu décrire de façon synthétique les premiers contacts des français avec les brésiliens. Dans ce qui suit, nous nous intéresserons aux influences linguistiques et culturelles françaises au Brésil aux XVIII et XIXème siècles.

1.1.2. Influences de la langue et de la culture françaises au Brésil –