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Conclusion du chapitre 1

Chapitre 2 : Cadre théorique de la thèse

2.1. Le sujet, l’identité et les positions subjectives : définitions théoriques

2.1.4. Le désir de l’autre

Quelque chose là se présente, qui est tout à fait dernier quant à la structuration du désir du sujet. Nous pouvons dès maintenant l’articuler - c’est l’aventure primordiale de ce qui s’est passé autour du désir infantile, du désir essentiel, qui est le désir du désir de l’Autre, ou le désir d’être désiré. (Lacan, 1988).

113 Le choix terminologique d’ « acteur » et d’ « action » induit pour Lahire (Ibid.) une série de tensions représentatives (p.12). Il utilise également les termes de sujet, d’individu, d’être social, de personne « désignant l’homme dans toutes les formes de la vie sociale » (p.13).

Comme cela a été évoqué précédemment, le sujet de l’inconscient se forme dans et par le langage (Benveniste), toujours lacunaire, opaque et mouvant (Authier-Revuz ; Coracini). Or, le sujet se constitue dans son rapport à autrui, ce qui induit un désir de l’autre, désir de connaître et d’être reconnu. Selon le Dictionnaire de la psychanalyse (Chemana & Vandermersch, 2003 : 121)114, Freud a été le premier à utiliser ce terme pour décrire la pulsion et la réalisation de la pulsion. Le désir serait d’abord « l’accomplissement d’un souhait ou d’un vœu inconscient. Chez Freud115, le désir est avant tout un désir inconscient116. Lacan s’est emparé de la définition freudienne en l’associant à la tradition philosophique pour expliquer que le désir « tend à se satisfaire dans l’absolu, en dehors de toute réalisation d’un souhait et d’une demande ». (Lacan, 1988 : 223). À partir de la conscience hégélienne, il établit un désir inconscient fondé sur la reconnaissance, désir du désir de l’autre (Idem. : 223).

« Le désir de l’homme trouve son sens dans le désir de l’autre, non pas tant parce que l’autre détient les clefs de l’objet désiré, que parce que son premier objet est d’être reconnu par l’autre » (Lacan, 1966 : 268). Cette reconnaissance de l’autre se fait par l’acte de parole ; il s’agit de parler de soi. Le désir de l’autre peut faire référence à l’individu auquel le sujet s’adresse, à un autre imaginaire, ou à un autre réel mais absent, inclus dans son discours117.

Le désir est essentiel et fondamental à tout sujet, car ce dernier désire à la fois ce qui lui manque (plan symbolique), mais aussi ce qui est là (plan réel), à sa portée. C’est ainsi que le désir de l’autre renvoie à la jouissance ou à la frustration et la souffrance. Le pédagogue Jacky Beillerot, dans Pour une clinique du rapport

114 CHEMAMA, Roland & VANDERMERSCH, Bernard, 2003, Dictionnaire de la Psychanalyse, Paris, Larousse.

115 Dans son livre L’interprétation des rêves (1967) paru pour la première fois en 1900, il explique, à partir de cas cliniques, sa théorie du désir. FREUD Sigmund, [1900] 1987, L’interprétation des rêves, Paris, PUF.

116 Sa conception du désir est liée aux rêves, aux fantasmes, à l’inconscient et à un désir à caractère sexuel. Freud ne fait pas la distinction entre le désir et le besoin.

117 La question du désir est un thème important dans les travaux de Lacan. À voir dans : Le séminaire (livre IV) (1994) et Le séminaire (livre V) – les formations de l’inconscient (1988).

au savoir, (2014 : 82)118 évoque le désir comme étant le désir du désir. Ainsi,« je désire voir autrui reporter sur moi le désir que j'ai formé à son endroit ; en dernier ressort, l'essence de mon désir est désir que la valeur que je représente soit reconnue par l'autre ou que mon désir soit désir d'être engendré comme valeur par l'autre ». L’auteur évoque également l’origine du désir, celui-ci étant lié aux « traces mnésiques » (mémoire, souvenirs) et le désigne comme « un regret de quelque chose que l'on n'a plus », ce qui mène à une recherche constante de l’objet.

À la croisée des chemins entre sciences du langage et psychanalyse, Patrick Anderson (1999 : 263) reprend la définition lacanienne : « le désir nait de l’écart entre le besoin et la demande ». Il est irréductible au besoin, car il n’est pas dans son principe relation à un objet réel, indépendant du sujet, mais au fantasme ». De cette manière, pour qu’il y ait du désir, le sujet doit s’engager dans la satisfaction de son besoin, ce manque119 ressenti à tout moment de son existence. La demande est ce qui lie le besoin et le désir, c’est une demande d’amour. « Prendre en compte au désir suppose d’emblée d’interroger ce que peut recouvrir cette question d’une parole en devenir. La parole implique de se situer non pas au plan des acquisitions - acquisition de la langue - mais dans l’articulation de ce que peut sous-tendre la question de la relation au savoir » (Anderson, 1999 : 264).

Quelle relation peut-on alors établir entre les sujets brésiliens et la langue-culture française dans le processus migratoire ? Le brésilien en contact avec cette nouvelle langue désire, à différents degrés, la faire sienne, et cela passe par le désir de savoir. Ce désir de la langue pour le sujet brésilien est le désir de maîtrise « ce n'est pas le savoir qui est visé comme objet de satisfaction ; ce qui est visé c'est l'idée de savoir, le savoir sur le savoir, voire même que le savoir dont il est question est le désir du désir de soi et de l'autre » (Beillerot, 2014 : 84). Le

118 BEILLEROT Jacky, 2014, « Désir, désir de savoir, désir d’apprendre » in : Cliopsy, 12, 73-90, (1e ed. 1996).

119 Ce manque peut être associé à la nature biologique, mais la psychanalyse reconnaît que le besoin biologique et le besoin vital ne correspondent pas seulement à l’essence du sujet. Il est question du besoin inconscient d’amour, le désir de l’autre.

brésilien en migration non seulement désire la langue-culture du pays qu’il découvre, mais souhaite également être désiré par cette langue-culture, qu’elle l’accepte, c’est-à-dire, être désiré en tant que sujet migrant, possédant une autre langue-culture à transmettre. Le désir devient alors le moteur de l’apprentissage de la langue-culture, de la langue de l’autre. On peut ainsi comprendre comment, dans certains cas, des freins à cet apprentissage prennent forme, face au rejet de l’autre, rejet du migrant.Car celui-ci établira dans tous les cas un rapport intime avec l’objet de son désir, source de souffrance, mais aussi « objet de jouissance et de plaisir » (Coracini, 2003).

La question du désir est donc essentielle pour appréhender les enjeux identitaires et linguistiques du sujet migrant brésilien. L’image de soi, le désir de soi et de l’autre, le désir du savoir et la construction d’une énonciation dans la langue de l’autre sont autant de questions-clefs révélées par le récit de vie des migrants dans le cadre de cette recherche pour une appropriation de la langue-culture française.

2.2. Le rapport à la langue-culture

120

La langue n’est pas faite par ceux qui la parlent et pourtant elle n’existe pas sans eux ; la langue c’est cela : elle n’est pas, elle n’est nulle part, et tout le monde la parle, tout le monde la comprend mais personne ne sait au juste ce que comprend l’autre et comment il

120 Nous avons choisi de traiter de la langue-culture, car comme nous explique Coracini (2010 : 160) «la culture est dans la langue et la langue, dans la culture ; c’est donc la langue-culture qui moule l’être, le raisonnement, les croyances et les valeurs». Nous souhaitons aborder l’appropriation d’une langue par une approche, qui ne se limite pas aux seules structures linguistiques internes (grammaire, phonétique) et la culture, sans la réduire à la gastronomie, à la mode ou à un monument célèbre, mais comme un «ensemble de symboles qui permettent à une personne ou à un groupe de voir le monde d’une manière et non pas d’une autre» (Ibid. : 159). Il existe également une discussion de la notion de langue-culture selon Edward Sapir (1967, 1969), Benjamin Lee Whorf (1969) et Claude Lévi- Strauss (1961, 1996).

comprend. C’est pour le dire et se faire entendre que chacun se sert de la langue : il s’en sert, elle n’est pas à lui (Goldschmidt, 1996)121

Parler de la langue est un défi, car il n’y a pas de langue unique, mais il y a autant de langues qu’il y a d’êtres sur terre. La langue circule au plus intime de chaque être en même temps qu’entre les êtres (Anderson, 1999 : 103). Elle se présente à la fois sous l’aspect d’une extrême banalité et d’une incroyable complexité (Idem: 93). C’est parce qu’elle est si complexe que nous allons tenter de nous intéresser seulement à ce que la langue étrangère et la langue maternelle pourraient représenter pour un sujet en contexte migratoire. Toutefois, une autre question se pose : comment appréhender / s’approprier la langue, si elle est si

mystérieuse ? Si Saussure affirme que « c’est le point de vue qui crée l’objet », le

sujet se positionne en fonction de son propre point de vue, afin de faire « sienne » la langue de l’autre.

Pour tout sujet parlant, il y a avant tout la langue première, dite langue maternelle, puis vient la langue qu’il envisage d’apprendre, la langue

étrangère. Il s’agira de présenter ce que l’usage de la langue maternelle implique

et ce qu’elle signifie pour le sujet migrant. Puis de cerner la manière dont la langue étrangère, la langue française dans le cadre de ce travail, prend place dans la vie du sujet, comment il procède pour se l’approprier. La langue maternelle, langue de l’intime, représente la langue d’accès au langage. Pour que le sujet puisse s’approprier une langue seconde, il est préférable qu’il maîtrise sa langue maternelle, mais aussi qu’il soit capable d’en faire le deuil. La langue étrangère, la langue de l’autre, est la langue par laquelle le sujet s’inscrit dans un autre univers, différent de celui de son pays natal et qu’il désire s’approprier.

121 GOLDSCHMIDT Georges-Arthur, 1996, Quand Freud attend le verbe – Freud et la langue allemande II, Paris, Buchet / Chastel.