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Contexte historique, théorique et méthodologique

Chapitre 1 : Contexte socio-historique de la thèse

1.2. Processus migratoire : quelques définitions

1.2.2. L’immigré : (dé)placé de la société

L’immigré est atopos, sans lieu, déplacé, inclassable. Rapprochement qui n’est pas là seulement pour ennoblir, par la vertu de la référence. Ni citoyen, ni étranger, ni vraiment du côté de Même, ni totalement du côté de l’Autre, il se situe en ce lieu « bâtard » dont parle aussi Platon, la frontière de l’être et du non-être social. (Sayad, 1999)46.

Le mot immigré est employé pour désigner un individu originaire d’un autre pays que celui dans lequel il s’est installé. Il est donc « celui venu de l’étranger ». Le terme n’apparaît en France qu’à la fin du XIXème siècle et coïncide avec un besoin de main d’oeuvre à l’époque du développement de l’industrialisation. Selon Jean Magniadas (2007)47, dans la terminologie courante, ce terme sera « souvent employé pour désigner un ouvrier étranger, issu d’un pays peu développé et qui travaille dans un pays étranger ». Une représentation, explique Francois Héran (Cours 1 - Collège de France), qui est connotée et s’associe à une réalité fortement hiérarchisée.

Lorsque l’immigré arrive à son lieu de destination, quelles sont ses fonctions et son rôle dans la société d’accueil ? Dans son article, Maryse Tripier (2004)48 retrace les figures de l’immigrant des années soixante en France et affirme qu’il est réduit à une fonction utilitariste comme une marchandise dont on peut disposer. Les critiques d’Abdelmalek Sayad rejoignent ces positions en révélant que le statut de l’immigrant en France est réduit au travail et en y voyant une forme de légitimation de son déplacement.

Sans s’attacher au modèle de l’immigration en France, et au delà de cette simple définition, nous souhaitons citer les questionnements de Sayad (1992 ;

46 SAYAD Abdelmalek, 1999, La double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Seuil.

47 MAGNIADAS Jean, 2007, Migrations et mondialisation. Paris, Espere et le Temps de Cerises.

48 TRIPIER Maryse, 2004 « L'immigré, analyseur de la société » (note critique) ENS Cachan | in : Terrains & travaux 2004/2 - n° 7 p. 173-185.

1999) et Le Bras (2012)49. Quelques années séparent ces deux auteurs, ainsi que leur façon de voir l’immigré. Parler de l’immigration pour Sayad (1992), est parler de la société dans son intégralité, de sa dimension diachronique, dans une perspective historique et dans son extension synchronique, du point de vue des structures présentes de la société ainsi que leur fonctionnement. L’auteur, dans son livre phare L’immigration ou les paradoxes de l’altérité, retrace toute l’histoire de l’immigration, citant le cas de l’Algérie, mais aussi, classifiant les modes d’immigration : l’immigration par le travail et l’immigration de peuplement (immigration familiale).

L’immigré n’existe pour la société qui le nomme comme tel, qu’à partir du moment où il en franchit les frontières et en foule le territoire; l’immigré « naît » de ce jour à la société qui le désigne de la sorte. Aussi, celle-ci s’autorise-t-elle à tout ignorer de ce qui précède ce moment et cette naissance.(Sayad, 1992 : 15).

Encore selon l’auteur, « l’action d’immigrer est liée à l’histoire du sujet, avec ses traditions, ses manières de vivre, de sentir, d’agir et de penser, c’est immigrer avec sa langue et avec sa culture » (Sayad, 1999 : 19). Cet extrait se met en relation avec ce que Judith Stern (1996)50 expose à propos de l’émigré et de son histoire avant le processus migratoire. Le sujet ne part pas seul. Il amène avec lui son vécu et son histoire de vie.

Pour Hervé Le Bras, l’immigré possède une double figure, celle du travailleur et celle de l’habitant. L’une cache, en général, l’autre : on ne voit que le travailleur en période de boom économique et que l’habitant en période de crise. (Le Bras, 2012). Une fois que le migrant ne remplit plus les cases de la nécessité sociale ou du besoin économique, il est considéré comme un intrus. «Comme immigré, il est bien venu ; comme homme il est malvenu » (Idem. : 117). La société d’accueil le classe comme celui qui fait accélérer les courbes de

49 LE BRAS Hervé, 2012, L’invention de l’immigré, Paris, Edition de l’aube.

chômage, de criminalité, de banditisme, en « commettant deux fois et demie plus de délits que les Français » (Idem). L’immigration est positive seulement lorsqu’elle sert à la croissance du pays, à la positivité économique et au développement de la population.

Un immigré est condamné à le rester toute sa vie. Il ne peut changer ni sa nationalité à sa naissance ni son lieu de naissance. Au contraire, un étranger peut cesser de l’être par suite de sa naturalisation. Le seul moyen de ne plus être immigré en France est de rentrer dans son pays de naissance, ce que le gouvernement français encourage. Être étranger est de l’ordre de la volonté : on peut cesser de l’être pourvu que l’on fasse l’effort de satisfaire aux critères de la naturalisation. Être immigré est de l’ordre de la fatalité. Aucun effort de votre part ne modifiera votre condition si vous restez en France. (Le Bras, 2012 : 115).

En période de crise, l’immigré est instrumentalisé par la classe politique. Il permet de désigner un bouc émissaire qui justifie le manque de travail dans un contexte économique difficile. D’où la connotation péjorative qui vient s’associer à ce terme. Encore selon Le Bras (2012), quelques changements pour les immigrés et étrangers ont eu lieu au fil du temps : les immigrés peuvent occuper des postes à tous les niveaux de l’échelle sociale, à quelques restrictions près comme les entrepreneurs.

À la réalité de la convergence des comportements et des compétences des français et des étrangers, on oppose la fiction des étrangers de plus en plus différents des français, de plus en plus difficiles à intégrer, de plus en plus menaçants. L’invasion n’a pas eu lieu dans les faits, mais on l’inscrite dans les têtes d’où il sera difficile de la déloger. (p.141-142).

L’immigré ainsi que l’émigré sont des définitions sociales qui s’entrecroisent et se complètent, restant à leur insu, des concepts isolés, avec chacune ses caractéristiques. Cet ensemble émigration – immigration pourrait former ce que l’on définit comme la migration, cette capacité à s’intégrer dans le pays d’accueil et à s’identifier à une autre langue et une autre culture. La migration serait alors la transition entre le passé de l’émigré et le présent de l’immigré, insérés dans une nouvelle langue-culture, mais encore chargés de la

langue-culture natale. Avant de développer davantage les caractéristiques du migrant, nous nous intéresserons à deux figures emblématiques du processus migratoire, évoluant avec les mœurs. Celle du réfugié, directement liée à la place du sujet brésilien dans l’histoire et celle de l’exilé, condition et conscience de tout individu (Nouss, 2015).