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Figures de migrants brésiliens en France : approche anthropologique et sociolinguistique

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Academic year: 2021

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HAL Id: tel-02050459

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02050459

Submitted on 27 Feb 2019

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Figures de migrants brésiliens en France : approche anthropologique et sociolinguistique

Gabriela Rodrigues Moreira

To cite this version:

Gabriela Rodrigues Moreira. Figures de migrants brésiliens en France : approche anthropologique et sociolinguistique. Linguistique. Université Paul Valéry - Montpellier III, 2018. Français. �NNT : 2018MON30034�. �tel-02050459�

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Délivré par L’UNIVERSITÉ PAUL VALÉRY – MONTPELLIER 3

Préparée au sein de l’école doctorale 58

Langues, littératures, cultures et civilisations

Et de l’unité de recherche DIPRALANG EA 739 Spécialité : Sciences du langage

Présentée par Gabriela RODRIGUES MOREIRA

Sous la direction de Monsieur le Professeur Émérite, Jean-Marie PRIEUR

Soutenue publiquement le 12 décembre de 2018 devant le jury composé de

Madame Valérie SPAETH, Professeur, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3.

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Monsieur Jean-Gérard LAPACHERIE, Professeur Émérite, Université de Pau

Rapporteur

Madame Ksenija LEONARD, Maître de conférences HDR, Université Paul Valéry – Montpellier 3

Examinatrice

Madame Carla TAVARES, Professeur, Université Fédérale d’Uberlândia, Brésil

Examinatrice

Monsieur Jean-Marie PRIEUR, Professeur Émérite, Université Paul Valéry – Montpellier 3

Directeur de la thèse

VOLUME 1 Logo ETABLIMENT

« Mes plus beaux voyages, je les ai faits dans l’intelligence des autres »

Armand Gatti

FIGURES DE MIGRANTS BRÉSILIENS.

APPROCHE ANTHROPOLOGIQUE ET

SOCIOLINGUISTIQUE

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Résumé

L’un des effets de la mondialisation se traduit par l’intensification des mouvements migratoires. Motivés par des raisons variées, certains quittent leur terre natale pour vivre ailleurs, dans un « pays d’accueil ». Comprendre les flux migratoires n’est pas seulement saisir les approches théoriques qui concernent la migration, mais, d’une façon empirique, les confronter à la réalité du vécu. Tout récit de vie suit un schéma narratif subjectif, hétérogène et répétitif. Raconter l’histoire de sa vie, c’est mettre en mots sa mémoire et donner un sens nouveau au passé par un regard rétrospectif. Les récits de vie des migrants brésiliens installés en France font l’objet de cette étude de thèse en Sciences du langage. Leur processus migratoire s’inscrit dans une perspective subjective d’ordre affective ou économique et se concrétise par un type de migration choisie : affective, étudiante ou professionnelle. En nous appuyant sur les théories de l’analyse du discours et sur une définition lacanienne du sujet, nous avons cherché à savoir comment le rapport à la langue-culture étrangère révèle la subjectivité du sujet migrant et dans quelle mesure le processus migratoire conditionne l’entre-deux-langues-cultures.

Les entretiens sont analysés dans une perspective anthropologique et sociolinguistique qui vise à contribuer aux réflexions sur le processus d’appropriation d’une nouvelle langue-culture par le sujet migrant qui se voit, parfois douloureusement, partagé entre deux terres d’appartenance. Nous observons ainsi à la fois les conditions d’adaptation à une autre culture et le contexte d’apprentissage du Français Langue Étrangère. L’analyse des entretiens révèle un sujet migrant essayant sans cesse de justifier ses choix et son désir de départ par les événements de sa propre histoire. Le locuteur choisit alors des mots qui le positionnent subjectivement à travers le récit de ses origines, par rapport à l’autre, à la famille, à l’école, au travail. Partagé entre deux lieux, deux langues, en quête de repères, il se sent souvent étranger à lui-même. Migrer, c’est se scinder, se (re)trouver dans le regard de l’autre ; à la recherche de sa subjectivité.

Mots-clés : Migration, Récit de vie, Langue-culture, Entre-deux, Apprentissage, Subjectivité, Étranger, Brésilien, Discours.

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Abstract

One of the many effects of globalisation is the increase of migratory movements. Various reasons are calling some people to leave their homeland to go and live abroad, in a host country. And understand the migratory move is not only to get a hold of the theoretical input of this subject, but, in an empirical way, to confront them to the reality of life. Any life story follows a subjective, heterogeneous and repetitive narrative layout. Tell the story of your life is to put words on your memory and give a new meaning to the past by a retrospective view and this, through the talk. This thesis in Language Sciences will focus on the life stories of brazilian migrants living in France. Their migratory process will start in a subjective perspective, either affective or economical, and will shape through the chosen type of migration : affective, student or professional. Based on discourse analysis theories and a Lacan definition of the subject, we have attempted to figure out how the relation to the foreign language-culture reveals the subjectivity of the migrant subject and how the migratory process conditions the in-between two languages-cultures.

The interviews are analyzed in an anthropologic and sociolinguistic point of view to contribute to the research field of the language-culture integration process for the migrant subject. We then observe both the adaptation conditions and the French learning context. An analysis of the interviews highlights a migrant subject always trying to justify his/her choices, departure will, by the events of his/her own story. The speaker then chooses words setting him/her subjectively through the telling of his background, the relation to the other, to the family, to school, to work. Share between to places, two languages, seeking reference points, he feels like a stranger to himself. Migrate is to rift, to find oneself (back) in the eyes of the other ; in an search of each one subjectivity.

Key Words : Migration ; Life Stories ; Langage-Culture ; In Between ; Learning ; Subjectivity ; Foreigner ; Brazilian ; Discourse

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Resumo

Um dos efeitos da globalização é a intensificação dos movimentos migratórios. Motivados por várias razões, alguns deixam, de fato, sua terra natal para viverem em outro lugar, em um "país anfitrião". Compreender os fluxos migratórios não é apenas apreender as abordagens teóricas em torno da migração, mas, empiricamente, confrontá-los com a realidade da vida. Toda a narrativa de vida segue um esquema narrativo subjetivo, heterogêneo e repetitivo. Narrar uma história de vida é colocar em palavras a memória e dar um novo sentido ao passado por um olhar retrospectivo e isso, através do discurso. As histórias de vida de migrantes brasileiros que vivem na França são o tema deste estudo de tese em Ciências da Linguagem. Este processo migratório é parte de uma perspectiva afetiva ou econômica subjetiva e é concretizado por um tipo escolhido de migração: afetiva, estudante ou profissional. Com base nas teorias da análise do discurso e na definição lacaniana de sujeito, procuramos saber como a relação da língua-cultura estrangeira revela a subjetividade do sujeito migrante e em que medida o processo migratório condiciona en entre-duas-línguas-culturas. As entrevistas são analisadas numa perspectiva antropológica e sociolinguística que visa contribuir para as reflexões sobre o processo de apropriação de uma nova língua-cultura pelo sujeito migrante que se vê, às vezes dolorosamente, compartilhado entre duas terras de pertencimento. Assim, observamos tanto as condições da adaptação a uma nova cultura, quanto ao contexto de aprendizado do francês como língua estrangeira. A análise das entrevistas revela um sujeito migrante tentando constantemente justificar suas escolhas e seu desejo de partir pelos acontecimentos de sua própria história. O mesmo escolhe as palavras que o posicionam subjetivamente através da história de suas origens, da sua relação com o outro, com a família, com a escola, com o trabalho. Dividido entre dois lugares, duas línguas, em busca de pontos de referência, ele, muitas vezes se sente estranho para si mesmo. Migrar é dividir-se, encontrar-se nos olhos do outro; em busca da subjetividade.

Palavras-chave: Migração, Histórias de Vida, Língua-cultura, Entre-dois, Aprendizado, Subjetividade, Estrangeiro, Brasileiro, Discurso.

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À Victoria et Benicio,

véritables richesses de mon entre-deux.

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Remerciements

Au terme de ces six longues années de recherche, je souhaiterais exprimer ma sincère reconnaissance envers toutes celles et ceux grâce à qui ce travail a vu le jour.

Je tiens à remercier Monsieur Jean-Marie PRIEUR qui a accepté de me diriger dans ce travail, au départ très ambitieux, mais qui a su trouver sa voie, malgré « les pierres sur le chemin ». Merci de votre rigueur et votre regard acéré.

Je tiens également à remercier Madame Valérie SPAETH, Monsieur Jean- Gérard LAPACHERIE, Madame Ksenija LEONARD et Madame Carla TAVARES pour avoir accepté de faire partie du jury. Je suis très honorée de leur présence ainsi que de l’intérêt qu’ils portent à ma recherche.

Je ne te remercierai jamais assez, Maxime Herrgott, mon mari, mon ami et mon confident, d’avoir partagé cette folle aventure avec moi. Merci d’avoir cru en ce travail, sans vraiment le connaître, de m’avoir soutenue, surtout quand je perdais mes forces. Merci de ton soutien moral et financier (« Fondation Herrgott »). Merci d’être la partie qui compose mon « entre-deux » et de m’avoir donné le plus beau des cadeaux : nos enfants ! Je t’aime.

Mes parents, Margarete et Pio, ma base, ma source. Merci d’avoir été présents, solidaires, aimants. Vous êtes lumière à mes tristes journées hivernales.

Mon frère Michel et ma sœur Camila, vous avez toujours mis la barre très haute, mes docteurs préférés ! Merci de l’exemple de détermination et de courage. Léo, Vivian, Valentina, Théo, Noah, Larissa et Mariana, merci de faire partie de notre famille.

Merci à ma belle-famille, Joëlle, Bernard et Benjamin Herrgott qui ont accompagné toute la trajectoire, me faisant toujours garder le moral. Merci, Joëlle pour ces derniers jours décisifs.

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Merci à mes amis Françoise Serein-Spirau et Jean-Pierre Lère-Porte, ainsi que Anne et Estelle qui m’ont accueillie chez eux comme l’une de leur fille pendant les trois premières années de thèse à Montpellier. Merci des conseils, des sourires et des partages.

Aux amis français et brésiliens, je ne souhaite pas citer de noms au risque d’en oublier certains. Vous vous y reconnaîtrez. Merci d’avoir été présents, quand j’étais souvent « absente ».

À ceux et celles qui ont tenté de « me lire » : Brigitte Terisse, Yves Terisse, Elise Roy et Jean de Cazenove! Vous avez été précieux, merci beaucoup ! À mes deux « anges » que j’ai eu la chance de croiser sur mon chemin, Raphaële Mayet et Valérie Geandrot. Merci de votre (re)lecture, des regards attentifs et bienveillants. J’y suis arrivée grâce à vous !

Cette thèse n’aurait jamais abouti sans les 28 brésiliens et brésiliennes qui ont dédié de leur temps à me livrer leurs histoires, leur intimité et leurs souffrances. Je vous remercie de tout cœur d’avoir accepté de partager ce moment avec moi et avec tous ceux et celles qui liront ce travail. Je me vois en vous tous, dans cet éternel entre-deux. Obrigada !

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Avant-propos

Le désir de la langue-culture française est né dans mon pays natal, au Brésil. Je me souviens encore de ma première professeure de français, qui m’a enseignée, avec une telle affection et une telle intimité, la langue française. Au premier contact, cette langue a fait partie de ma vie, un véritable coup de foudre.

À l’université, la langue française a été mon principal objet d’études. J’étais passionnée, fascinée, enthousiasmée et désireuse de mieux connaître cette langue- culture qui m’a entraînée en France pour un échange international. Cette langue- culture m’a semblé étrangère à deux reprises. Une première fois quand j’ai débuté son apprentissage et une deuxième fois, lorsque je suis arrivée en France. Une langue peut-elle être étrangère deux fois à un seul sujet ? Comment caractérise-t- on une langue étrangère ?

Je suis arrivée en France en 2008. Dans ma valise, il n’y avait pas seulement mes habits d’hiver, soigneusement choisis pour affronter le froid de la Franche Comté. J’apportais avec moi un désir de liberté, de découvertes et des rêves. Je quittais mon pays, ma famille et mes amis en direction d’un lieu que je n’avais connu que dans mes rêves de jeune étudiante. Cette expérience devait nourrir ma personnalité et ma mémoire à jamais. Protégée par ce statut d’étudiante, presque touriste, j’ai pu profiter de chaque instant d’immersion dans cette langue-culture nouvelle, en vivant les malentendus, les incompréhensions de la langue et les découvertes culturelles, sans vraiment me soucier des conséquences… Lors de cette première expérience, j’ai découvert les préjugés et le regard de ceux et celles que je croisais dans la rue : « Mais, tu viens d’où ? Tu es marocaine ? Tu es tunisienne ? Tu es algérienne ? Ah, tu es brésilienne ?!

Samba, Football, Carnaval ! » J’étais une étrangère. Peu importe mon pays d’origine, ce qui compte c’est ce que l’autre voit en moi, quelqu’un qui vient d’ailleurs. Comment l’autre me voit-il ? Qui suis-je pour l’autre ?…

La France, ce pays qui m’a accueillie, mais qui m’a aussi montré que lorsqu’on arrive, on doit rapidement repartir. C’est comme si mon séjour avait eu

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une date de péremption ; et il l’avait. Je retourne au Brésil en août 2009, mais mes liens avec ce pays et cette langue ne seront pas coupés.

Non satisfaite de ma première expérience, mes désirs m’en demandaient plus et en 2010, je retourne en France pour la seconde fois, cette fois pour poursuivre mes études de Master. À nouveau protégée par ce statut d’étudiante, les conditions avaient aussi changées. La langue française n’était plus doublement étrangère, mais triplement étrangère. Comment cela est-il possible ? À chaque nouveau contact, je (re)découvrais une nouvelle langue, de nouvelles habitudes, de nouvelles sensations. Tout cela modifiait mon rapport à la langue-culture de départ, mon rapport à l’autre. Plus à l’aise, plus confiante, j’ai (re)découvert une autre langue-culture.

Et puis, j’ai connu l’amour…

La rencontre avec Maxime a complètement changé mon regard sur cette langue que j’aimais déjà. Il m’a montré une nouvelle façon d’aimer une langue étrangère, par sa façon d’être et de parler de la France, en français. C’est l’amour de l’homme et l’amour de la langue, c’est cette fusion qui m’a profondément transformée. Mes relations avec les gens, les difficultés, les situations du quotidien évoluaient dans la même mesure que mon non-lieu. Je commençais à ressentir un sentiment méconnu auparavant. Je me situais dans un entre-deux langues-cultures, je partageais mes peines, mes amours, mes angoisses et mes peurs entre ces deux mondes, la France et le Brésil.

Pour mon mémoire de Master, je suis restée attachée à mon statut d’étudiante, en travaillant sur les représentations sociales de la langue-culture pour les étudiants brésiliens en France. Par ce sujet, j’ai voulu observer si mes impressions et mes sentiments étaient aussi partagés par les étudiants ayant vécu la même première expérience que moi. J’ai été déçue des résultats obtenus, car je ne retrouvais pas cet amour que je portais à cette langue-culture française. J’avais voulu partager mes sentiments, en vain.

Alors, j’ai décidé de me lancer, de me libérer de cet univers étudiant pour aller à la rencontre d’autres migrants. Ces brésiliens qui sont là, sans voix, rarement interrogés, si ce n’est pour parler de samba, de carnaval, de football ou

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de favelas. Que représente cette langue-culture française pour eux ? J’ai voulu me retrouver dans chaque rencontre, dans chaque récit de vie, et j’y suis parvenue.

Peut-être parce que j’étais libérée de ce statut d’étudiante. J’ai alors commencé cette thèse de doctorat qui présente différentes figures de migrants brésiliens en France. Combien sommes-nous face à ce grand changement ? Combien de positions subjectives occupons-nous dans le récit d’une vie ? Comment la langue- culture française traverse la subjectivité de chacun.e ? Nous sommes un kaléidoscope de sensations, d’identités et c’est dans ce tourbillon de sensations que nous exprimons notre plus profonde intimité.

Lorsque je suis arrivée, j’étais simplement une étudiante, mais depuis que je vis en France, je suis devenue beaucoup plus que ce que j’aurais imaginé être.

Je suis une étudiante, mais aussi une chercheuse, une femme, une épouse, une mère, une héroïne. Je suis toutes ces figures. Elles transitent par mon corps de migrante, mon corps d’ici et d’ailleurs. Je suis ici et là-bas, entre-deux lieux et nulle part.

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Introduction

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Figure 1 : Bruno Catalano (1960 - ), Moi-même et Emilie, sculpture en bronze original. Tirage limité à 12 exemplaires. De la série : Voyageurs. Sans date1.

1 Pour plus d’informations, voir Annexe 1.

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1. Contexte général de la migration

L’histoire de l’humanité est une histoire de migrations. (Lucille Guilbert, 2005)2. Les phénomènes de mobilité et de mouvements migratoires, qu’ils soient collectifs ou individuels, organisés ou désordonnés, volontaires ou subis, représentent tous une histoire de mouvances et errances, flux et reflux, des hommes et des histoires (Gohard-Radenkovic & Rachedi, 2009)3. La migration est une réalité complexe qui évolue au fil du temps. Le sujet migrant change de profil et surtout de comportement, essayant de s’adapter aux transformations socio-historico-politiques de son époque et de s’intégrer au lieu qu’il s’apprête à découvrir. Les raisons, les conditions et les désirs sont infinis, mais la dynamique du déplacement est la même pour tous : un sujet quitte sa terre natale et part vers un endroit qui lui est souvent étranger. Le processus migratoire prend une nouvelle dimension sociale, géographique et subjective. Ces dimensions s’inscrivent alors dans un processus qui s’actualise dans une étendue globale, aussi bien spatiale que subjective, expérience active de sujets qui expriment besoins et désirs, projets et objectifs. La migration n’est pas simplement une traversée de frontières (Corrado, 2004) 4.

L’Europe actuelle évoque une crise migratoire qui retentit dans la dynamique de la société. Ils sont nombreux à fuir la guerre, la famine, la misère et le chômage. Leur départ est souvent douloureux et difficile. Pour certains français, ces migrants dérangent le fonctionnement du pays, pour d’autres français, il est du devoir du citoyen d’aider les plus démunis. Cependant, nous n’évoquons pas

2 GUILBERT Lucille, 2005 « L’expérience migratoire et le sentiment d’appartenance », in : Ethnologies, vol. 27, n° 1, p. 5-32.

3 GOHARD-RADENKOVIC Aline & RACHEDI Lilyane, 2009, Récits de vie, récits de langues et mobilités. Nouveaux territoires intimes, nouveaux passages vers l’alterité. Paris, L’Harmattan.

4 CORRADO Alessandra, 2004 «Migrations et autovalorisation. Enquête aux marges du système», in : Multitudes 2004/5 (no 19), p. 95-102.

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toutes ces personnes qui quittent leur pays d’origine pour une opportunité de travail, un échange universitaire international ou simplement parce qu’ils ont rencontré l’amour. Ceux et celles qui migrent « volontairement » ont également un vécu jalonné d’embûches, mais ils n’ont pas de voix. S’interroger sur la migration, c’est chercher à comprendre la complexité du sujet et de leur désir de partir. Elle peut entraîner une rupture des liens affectifs et la perte de repères socio-culturels. La migration génère de nouveaux liens dans le rapport à l’autre.

(Guilbert, 2005)

Partir bouscule les repères du sujet migrant. Alors que ce mouvement de partir et d’arriver fait partie de l’histoire de vie de tout individu, que cela soit pour un voyage, un déménagement ou un conflit, rares sont aujourd’hui, les personnes qui ne quittent jamais leur lieu d’origine. Ces changements géographiques et culturels sont ainsi présents dans le récit de tout individu. Nous partons tous quelque part, pour plus ou moins loin, plus ou moins longtemps, avec plus ou moins d’espoir d’un avenir meilleur. Mais nous partons.

2. La migration brésilienne dans le monde

L’histoire du Brésil, dès ses premiers temps, s’est construite avec les mouvements migratoires. Dans un mouvement inversé, le nombre de brésiliens résidant aujourd’hui à l’étranger est une question controversée quand il s’agit de migration internationale. Selon Almeida (2013)5, la crise économique brésilienne de 1980 a eu un impact majeur sur les conditions de vie de la population en augmentant considérablement le taux de chômage du pays. L’idée de partir était

5 ALMEIDA Gisele Maria Ribeiro de, 2013 Au revoir, Brésil: um estudo sobre a imigração brasileira na França após 1980. Tese de doutorado em Sociologia, Instituto de Filosofia e Ciências Humanas, Universidade Estadual de Campinas, Campinas, Brasil, 437p.

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novatrice, parce que historiquement, les flux migratoires s’étaient faits en sens inverse pendant la période coloniale. À partir des chiffres donnés par l’Institut Brésilien de Géographie et Statistique (IBGE), en 2010, le nombre de brésiliens répartis dans 193 pays du monde était de 491.243 personnes. Dans ce total, 264.743 sont des femmes, représentant 53,8 % et 226.743 des hommes représentant 46,1%. Et dans le processus d’émigration brésilienne, les pays qui ont reçu le plus de brésiliens sont principalement les États-Unis (23,8%), le Portugal (13,4%), l’Espagne (9,4%), le Japon (7,4%), l’Italie (7,0%) et l’Angleterre (6,2%). Selon les chercheurs de l’Institut, les liens historiques et les

« réseaux sociaux » expliqueraient la préférence pour ces pays par rapport aux pays frontaliers.

Le choix des États-Unis est expliqué, selon Almeida (2013), par la grande influence culturelle américaine6 et aussi par la transmission de l’idée du « rêve américain » dans l’imaginaire des brésiliens (Sales, 1994)7. Dans le cas du Japon, cette émigration s’explique par l’intérêt japonais de recevoir des descendants, contribuant au développement de la main d’œuvre du pays. Pour le Portugal, le choix est associé aux liens coloniaux entre les deux pays et à l’absence de barrière linguistique.

La France voit s’accroître le nombre de brésiliens qui viennent s’installer sur son territoire, car elle est devenue un lieu de passage en Europe. C’est l’une des raisons pour lesquelles ils décident de s’installer en territoire français. De plus, après l’attentat du 11 septembre 2001 aux États-Unis, l’augmentation des contrôles aux frontières a empêché l’entrée des brésiliens illégaux et encouragé les départs vers d’autres pays. C’est ainsi que l’Europe a regagné leur intérêt et ce, pour les échanges étudiants, mais aussi professionnellement.

6 L’anglais est la première langue étrangère enseignée au Brésil, suivie de l’espagnol.

7 SALES Teresa, 1994 « Brasil migrante, Brasil clandestino » São Paulo em Perspectiva. Vol 8, n°

1, 1994. p. 107-115.

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3. La migration brésilienne en France

Selon le site du Consulat Général du Brésil à Paris8, il n’y a pas de statistique officielle confirmant la présence des brésiliens en France. Néanmoins, l’Institut Brésilien de Géographie et Statistique (IBGE) a révélé qu’en 2010, 17.700 personnes seraient installées en France soit, 3,6% de la population brésilienne à l’étranger. Et les statistiques du gouvernement français, réalisées par l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques (l’INSEE) ont démontrée que le nombre de brésiliens en France s’élèverait à 43.383 personnes en 2013. L’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), estime que le Brésil possède entre 1 à 3 millions d’émigrés dans le monde, dont 28.560 en France. Dans l’impossibilité de confirmer ces chiffres, le Consulat estime que les brésiliens sont beaucoup plus nombreux en territoire français que les statistiques ne l’indiquent.

Les migrants brésiliens installés en France avaient autrefois une réputation d’« élite intellectuelle » (Almeida, 2003 : 15). La France est devenue « la porte d’entrée » vers l’Europe pour les brésiliens, car, dans la mesure où un visa n’est pas exigé pour un déplacement de courte durée (séjour de 90 jours), cela facilite le déplacement vers la France et les autres pays frontaliers (Allemagne, Suisse, Belgique, Italie, Espagne), sans compter la proximité avec le Royaume-Uni. Nous observons qu’au-delà d’une migration étudiante et « intellectuelle », un nouveau profil du migrant brésilien se dessine.

Selon la définition de l’INSEE, les émigrants brésiliens sont ceux qui, nés au Brésil, habitent en France et possèdent la nationalité française. Ils étaient 25.000 en 2008. Les étrangers brésiliens sont ceux qui, nés au Brésil, habitent en

8 Pour consulter le site : http://cgparis.itamaraty.gov.br/pt-br/brasileiros_na_franca.xml consulté le 23/06/2015.

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France, mais ne possèdent pas la nationalité française. L’Institut en comptait environ 14.000 en 2008. Les statistiques n’abordent pas le nombre de brésiliens illégaux ni ceux qui viennent en mobilité étudiante internationale. Ce ne sont que quelques chiffres donnant une idée de la présence de ces migrants en France. Cela dit, les entretiens recueillis auprès des brésiliens installés dans ce pays, sont loin d’être représentatifs de leur portrait général en France. Ils offrent cependant quelques pistes de profils au regard des conditions socio-économiques, des raisons du départ et des rapports avec la langue-culture étrangère.

4. Récits d’une vie ?

Explorant le thème de la migration, cette thèse s’articule autour de l’analyse de récits de vie de migrants brésiliens vivant en France. Pendant que les médias ne cessent de parler des dizaines de milliers de personnes qui arrivent en Europe dans des conditions inhumaines, fuyant la guerre et la famine, notre sujet de recherche explore un autre type de migration. Souvent moins douloureuse, la migration brésilienne n’est pas issue de conflits politiques et civils. Elle est généralement choisie et volontaire, mais elle implique aussi des souffrances et des pertes et génère des récits de vie tout aussi bouleversants. Les influences linguistiques et culturelles françaises au Brésil sont le produit d’une histoire qui lie ces deux pays (Carelli, 1987 ; 1988 ; 1993). France et Brésil partagent un passé de dominant et de dominé, chargé d’histoires et d’influences. Dans cette histoire commune, la langue-culture française a beaucoup influencé les brésiliens et ce, pendant des décennies.

Le sujet migrant brésilien, souvent sans voix au sein de la société, parce que migrant volontaire, n’a pas été souvent interrogé par les chercheurs. Vouloir connaître l’histoire de la vie de certaines personnes est sans doute un moyen de leur donner un éclat, l’occasion de présenter leur témoignage et de dévoiler ainsi le récit de leur expérience migratoire. Ce travail de recherche peut contribuer aux nombreuses recherches qui s’organisent par le biais des accordsfranco-brésiliens sur les migrations internationales.

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5. Le projet : questions de recherche, questions de vie

L’originalité et le grand défi de cette thèse est de construire un corpus qui vise la place des migrants brésiliens dans la langue-culture du pays d’accueil et de croiser cette approche avec les Sciences du langage, l’analyse du discours et le cadre psychanalytique dans une perspective d’anthropologie du langage. Un travail qui exige un dépassement de soi avec une nouvelle ouverture vers des théories jamais encore abordées personnellement. Il s’agira de savoir porter un nouveau regard sur le discours du migrant.

Cette thèse n’a pas pour objectif d’étudier la communauté brésilienne en France et ne prétend pas à une représentativité au sens statistique des brésiliens en situation migratoire. Elle s'intéresse plutôt aux dires des sujets, aux récits qu'ils font de leur migration. En partant du principe qu’un sujet, avec une histoire de vie unique, apprend une langue et établit des stratégies d’appropriation de cette langue en contexte migratoire, nous avons déterminé la problématique suivante : Dans quelle mesure la langue-culture du pays d’accueil s’inscrit-elle dans le quotidien du sujet migrant brésilien et quelles sont les incidences de cette inscription sur sa subjectivité ?

À partir de cette question centrale, nous avons développé différents axes de recherche montrant que la migration provoque chez le sujet migrant brésilien le désir de s’inscrire dans la langue-culture du pays d’accueil. Cette expérience provoque en lui un état d’entre-deux et le récit de vie permet de révéler sa subjectivité.

Notre premier questionnement est de savoir comment le sujet migrant se voit dès lors qu’il doit, par le récit de vie, retracer son histoire de façon chronologique. Parler de soi s’avère compliqué. Si la parole est « poreuse »

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(Authier-Revuz, 1995)9, elle apporte une infinité de façons de dire, de raconter, car elle est, en fait, incertaine, lacunaire et fluctuante (Coracini, 2013)10, d’autant plus que dans un récit de vie, il s’agit d’une parole pour raconter le temps passé et vécu, mais aussi le temps présent (Bertaux, 2010)11. Ainsi, un « même sujet peut donc engager dans sa parole différentes versions de lui-même, user des catégorisations ambivalentes, soutenir des positions contraires; il ne fait pas l’expérience de l’être et de l’identité à soi et sa subjectivité ne se résout en aucune plénitude substantielle » (Coracini, Léonard, Prieur, 2017 : 15-16)12.

Lorsque le sujet parle de soi, il parle de l’autre et quand il parle de l’autre, il parle de soi. (Coracini, 2013 : 22) C’est dans ce cercle vicieux que le sujet migrant constitue son discours, son histoire de vie. Il est constamment en train de parler des autres qui composent aussi son histoire de vie, car l’autre est important pour la formation de soi. Le père et la mère, les frères et les sœurs composent cette première rencontre avec l’autre lors d’une enfance partiellement oubliée. Et, dans cet oubli, le sujet (re)invente sa propre histoire, par les dires de ceux et celles qui l’ont composée, mais aussi par tout ce que le sujet, lui-même, pense se remémorer. Les souvenirs sont activés à travers le discours.

Nous nous intéresserons par ailleurs aux langues et à la manière dont la subjectivité entre en jeu dans les modalités d’appropriation de la langue-culture étrangère. Quelle place prend la langue-culture maternelle ? Quand on apprend une langue étrangère, on devient un autre, étranger à nous-même (Kristeva, 1988)13. Lorsqu’un enfant prononce ses premiers mots, il ne fait que répéter ce

9 AUTHIER-REVUZ Jacqueline, 1995, Ces mots qui ne vont pas de soi. Boucles réflexives et non- coincidence du dire. Tomes 1 et 2, Paris, Larrousse, Collection Sciences du langage.

10 CORACINI, Maria José. R. F., 2013, A Celebração do outro. Campinas: Editora Mercado de Letras, Brasil 2e éd.

11 BERTAUX Daniel, 2010, Le récit de vie, 3e édition, Paris, Armand Colin.

12 CORACINI, Maria José R. F., LEONARD Ksenija, PRIEUR, Jean-Marie (dir), 2017, Approches croisées des figures du migrant et de la migration, Saint-Denis, Connaissances et Savoirs.

13 KRISTEVA Julia, 1988, Étrangers à nous-mêmes, Paris, Fayard.

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que son entourage lui dit. Ces mots lui sont totalement étrangers et il se sert de ces paroles imposées pour créer son propre vocabulaire et se créer aussi en tant que sujet parlant. Même si ce caractère d’étrangeté existe dans sa langue maternelle, quand le sujet entre en contact avec une langue-culture différente, il est forcément transformé, en changeant d’élocution, de ton, puis plus largement, de comportement ou même d’habillement. Influencé par la langue-culture de l’autre, le sujet s’immerge dans cette nouveauté afin de se l’approprier. La langue permet ainsi au sujet de se construire et de s’inscrire dans un monde nouveau.

La langue-culture étrangère n’est pas considérée, dans la plupart des cas, comme facile ou difficile. C’est le sujet, lui-même, qui juge de sa capacité, souvent évoquée comme une facilité dans l’apprentissage des langues étrangères.

Ce désir de se présenter comme capable et compétent face à son interlocutrice (étudiante en langues étrangères) révèle une volonté de ne jamais perdre la face devant l’autre (Goffman, 2005)14. Le désir de montrer que la langue maternelle fait encore partie de leur vie est également un moyen de prouver que le deuil de la langue maternelle n’a pas été fait. (Freud, 191515 ; Coracini, 2013). Cette langue maternelle restera à jamais inscrite dans la mémoire du sujet migrant. Le désir de la langue-culture étrangère est essentiel dans la (trans)formation et la construction du sujet en situation migratoire. Le sujet s’inscrit dans la langue-culture étrangère par un désir de maîtrise de cette langue, qui se concrétise dans l’apprentissage.

Celui-ci permet au migrant d’apprendre à se connaître, d’identifier ses points faibles et de surmonter les difficultés.

Finalement, les propos sur l’expérience migratoire sont à relever avec précision : comment le sujet migrant raconte-il son processus migratoire, son départ et son arrivée dans le pays d’accueil ? Les retours dans son pays natal ? Évoque-t-il des souffrances, des blessures ? Le sujet brésilien migre parce qu’il

14 GOFFMAN Erving, 2005, Les rites d’interaction, Paris, Les Editions de Minuit.

15 FREUD Sigmund, 1915, Œuvres Complètes. Psychanalyse. Volume XIII, Deuil et Mélancolie Paris, Presses Universitaires de France.

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veut vivre mieux, peu importe sa situation de départ. Ailleurs, cela sera sûrement plus intéressant. Il laisse derrière lui toute une vie de liens tissés, des amis, une famille, un travail et il part, parfois sans regrets, pour vivre dans un lieu tout à fait inconnu où il doit apprendre à se (re)construire. Lorsqu’il arrive dans le pays de destination, il est perturbé par une multitude d’informations : une nouvelle langue-culture, de nouveaux lieux, de nouvelles rencontres, d’autres habitudes : une nouvelle vie commence. Il arrive aussi avec ses blessures, ses problèmes.

Alors se pose la possibilité du retour, pour retrouver la vie d’avant. Tant de questionnements et de possibilités envahissent la conscience du sujet migrant que, lors du récit, il laisse échapper son ressenti.

Après plusieurs années d’expérience dans le pays étranger, le sujet migrant ne se questionne plus sur ce passage du pays natal vers le pays d’accueil. Une nouvelle vie a commencé et c’est celle qu’il doit vivre, avec les problèmes quotidiens, les plaisirs et les déplaisirs de vivre ailleurs que chez soi. Quand le sujet est invité à se remémorer son passé, il raconte sa propre histoire et en même temps la questionne et l’analyse. De ce regard sur soi, émerge une subjectivité profonde, qui était parfois enfermée et interdite. Comment le migrant brésilien exprime-t-il le sentiment d’être étranger, d’être mis à l’écart, d’être différent face à la langue-culture française et face aux changements qu’il subit ? Si nous partons du principe que, pour s’inscrire dans la langue-culture de l’autre, il faut d’abord faire le deuil de sa propre langue (Freud, 1915 ; Coracini, 2013, 2017), nous pouvons supposer qu’il existe des freins qui l’empêchent de s’approprier la langue-culture de l’autre, ce qui provoque résistance et exclusion.

Le sentiment d’être étranger, selon nos interviewés, naît par la langue et par le corps. Ces traces audibles et visibles qui peuvent les mettre à l’écart de la nouvelle société dans laquelle ils essaient de s’intégrer. La langue est ainsi l’objet par lequel le sujet se construit, puis s’inscrit dans le monde.

Pire que d’être reconnu étranger dans le pays d’accueil, il est très difficile pour le sujet de se voir aussi étranger dans son propre pays. Ne plus avoir sa place parmi les siens, ne plus reconnaître les endroits, les saveurs et les habitudes du pays natal, augmente le malaise du migrant qui a, un jour, décidé de partir. Or, cet entre-deux–langues-cultures ou ce nulle part bouleverse la vie du sujet migrant,

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souvent de façon inconsciente. Dans certains de nos récits, les migrants brésiliens ne reconnaissent pas ce « vide » provoqué par la migration. Ainsi comme le

«vide» des sculptures de Bruno Catalano dans ces voyageurs, il peut y avoir un vide dans l’histoire de chaque migrant, représenté par d’innombrables moments de vide existentiel, lié à l’histoire de chacun ou, plus simplement, l’absence fondamentale de la langue-culture étrangère ou de la langue-culture maternelle.

Avec cette sorte de vide associé à l’entre-deux, se reconnaître étranger exige une profonde connaissance de soi-même et de son propre vécu.

Le sujet migrant possède-t-il une maison ? Quel est son chez soi ? La maison, ce lieu que l’on peut appeler « chez soi » relève de l’ordre de l’intime.

Puisque le sujet est bouleversé par sa place dans la langue-culture (étrangère et maternelle), comment fait-il pour se situer dans un espace-temps qui lui est propre ? Habiter le pays, habiter la langue, cette demeure idéalisée par le migrant, est-ce possible ? Ces questionnements s’imposent. Ils seront détaillés lors des analyses des récits.

6. Méthodes d’approche

Pour ce travail de recherche, nous avons choisi de travailler avec des enregistrements audio dans le but de recueillir des récits de vie. Notre corpus est constitué de vingt-huit entretiens réalisés avec 6 hommes et 22 femmes représentant la diversité régionale du Brésil et résidant dans différentes régions de France. Les entretiens ont été réalisés en portugais à la demande des interviewés et les lieux de rencontres ont également été choisis à la convenance des migrants, à leur domicile ou dans différents lieux publics. Cette diversité de profil des participants est aussi intéressante que motivante pour nos analyses de discours. Il nous a fallu d’abord mettre en place une analyse de contenu pour cibler les thématiques récurrentes pour, ensuite, réaliser une analyse de discours de chaque extrait choisi.

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7. Annonce du plan

Pour articuler notre réflexion, ce travail est divisé en deux parties. Dans la première partie, un premier chapitre est dédié au contexte socio-historique qui retrace les regards croisés qui lient la France et le Brésil, en nous appuyant sur les rapports linguistiques et culturels qui entretiennent les deux pays depuis la découverte du Brésil jusqu’à nos jours. Ensuite, nous retracerons et expliquerons brièvement quelques mots clés qui désignent un sujet dans son processus migratoire (l’émigrant, l’immigrant, le réfugié, l’exilé et le migrant) pour expliquer enfin notre choix épistémologique, à savoir, celui du terme de

« migrant ». Nous questionnerons les raisons pour lesquelles un sujet décide de partir. Nous avons pu identifier les raisons sous-jacentes qui précèdent l’action de migrer : des raisons liées à une insatisfaction affective et des raisons liées à une insatisfaction professionnelle ou économique. Ensuite, nous classerons les types de migration selon les entretiens, de la manière suivante : la migration affective, la migration étudiante et la migration par le travail.

Lors du deuxième chapitre, nous développerons les notions opératoires et les entrées théoriques qui guident cette thèse. Certains concepts étaient pour nous complètement nouveaux. L’objectif a été de développer l’essentiel de chaque entrée théorique pour mieux définir les outils de notre analyse. Nous éclairons ainsi la notion de sujet et de subjectivité, ainsi que la question de l’identité et celle des processus d’identification. La notion de position subjective sera également développée. Nous évoquerons par ailleurs l’idée d’inscription du sujet dans la langue-culture étrangère et la place da la langue maternelle dans le processus migratoire. Il s’agira de nous questionner à propos de l’appropriation d’une langue-culture et du deuil de la langue qu’implique le processus d’apprentissage.

Pour le troisième volet de ce chapitre, notre intérêt se portera sur la question du positionnement entre-deux-langues-cultures, la problématique du chez-soi et ce qu’induit pour le migrant le fait d’habiter une langue étrangère. Tous ces questionnements théoriques seront essentiels pour analyser les discours lors de l’étude approfondie des récits de vie.

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Le troisième chapitre sera consacré au cadre méthodologique de la recherche. Nous aborderons la méthodologie du récit de vie et l’importance de ce choix. Nous détaillerons également les périodes de l’enquête ainsi que le développement des entretiens, les situations d’entretiens et le choix de langue des migrants rencontrés. Nous présenterons ensuite un portrait synthétique à partir de chaque récit recueilli. Ce bref résumé aura pour objectif de familiariser le lecteur avec tous les profils, avant de découvrir les analyses de certains extraits.

La deuxième partie de la thèse est constituée des analyses des entretiens, à partir d’extraits que nous avons sélectionnés de façon transversale. Il s’agira de trois chapitres mettant en évidence les thèmes récurrents observés durant la relecture les portraits. Notre travail se basera sur une suite chronologique en commençant, au premier chapitre, par une analyse de l’enfance et des origines du sujet migrant. Mélange de cultures, recherche d’une appartenance, les migrants brésiliens se sont positionnés face à leurs origines. Le rapport à l’autre est ici essentiel dans leur construction en tant que sujets hétérogènes. Le rapport à l’école révélera la subjectivité des migrants dans le rapport à l’apprentissage des langues. Le deuxième chapitre dévoilera cette migration prise aux mots / maux évoquée comme une partie révélatrice du processus migratoire. Les récits recueillis démontreront ce non-lieu ressenti, ainsi que le sentiment d’étrangeté, perçu par le corps et la langue dans le pays d’accueil. Il sera essentiel d’évoquer la place de la langue-culture maternelle ainsi que la place de la langue-culture étrangère comme (trans)formatrice de subjectivités. Dans le troisième chapitre, nous analyserons le processus migratoire dans sa totalité ; le départ en direction de l’inconnu et les raisons (réelles et subjectives) qui poussent le sujet migrant à quitter le Brésil. Les migrants évoqueront ceux qui restent au pays natal et aussi ceux qui les accueillent en France. L’arrivée à destination a souvent été associée à des difficultés d’adaptation et à des souffrances psychologiques. Le retour (définitif ou provisoire) au Brésil révélera, encore une fois, la subjectivité du migrant qui vit, à présent, dans un entre-deux. Un exposé sur la saudade, souvent évoquée par les migrants, s’imposera pour clore ce chapitre, pour ce que ce mot, propre au portugais, décrit de la nostalgie des choses qui ne sont plus.

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Se voir comme un migrant, c’est se découvrir à travers les yeux d’autrui. Il n’y existe pas une seule voie, mais de nombreuses possibilités pour identifier les différentes figures d’un migrant brésilien partagé entre la France et le Brésil. Ces deux pays, en favorisant une coopération bi-latérale, contribuent au processus migratoire et renforcent ainsi leurs liens passés et présents.

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Première partie :

Contexte historique, théorique et méthodologique

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Chapitre 1 : Contexte socio-historique de la thèse

1.1. France / Brésil : bilan d’une histoire (é) mouvante

Les relations franco-brésiliennes se situent au-delà de simples représentations sociales. Elles ont créé un mouvement évolutif de l’histoire du Brésil, dans sa construction en tant que nation. Ces interférences ont marqué les terres, mais aussi l’identité du peuple brésilien. Les français, eux aussi été imprégnés d’un exotisme singulier. Par cet échange, mouvant et émouvant dans la mesure où il s’inscrit dans la construction identitaire des sujets brésilien et français, nous souhaitons mettre en avant quelques liens culturels et linguistiques unissant ces deux pays et ce, depuis la découverte du Brésil. Les français ont souvent été présents dans les « premiers pas » du Brésil après sa découverte par les européens. Nous avons décidé, dans un premier temps, de citer les premières influences littéraires et intellectuelles effectives dès le XVIII siècle (Chaves de Mello, 2010 ; Santiago, 2009 ; Vidal, 2000 ; Viotti da Costa, 2000). Ensuite, nous présenterons quelques moments historiques importants des deux pays, moments ayant directement influencé la langue et la culture brésilienne dans son ensemble.

Nous montrerons enfin, l’impact d’influences plus « contemporaines » qui se poursuivent encore de nos jours.

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1.1.1. Les regards croisés : premiers contacts

« Traiter des influences croisées entre la France et le Brésil, c’est renouveler ce désir intellectuel et humain d’affronter l’altérité spécifique, de saisir dans leur dynamique endogène d’autres rationalités contextualisées » (Guicharnaud-Tollis, 2008).

Si nous souhaitons comprendre les affinités qui lient la France et le Brésil, il semble intéressant de se tourner vers les relations historiques entre les deux pays,carlesintérêtsfranco-brésiliens se situent bien au-delà des questionnements économiques et politiques. La convoitise et la curiosité invitent l’homme français à une expérience de l’exotisme ; le mélange du barbare et du civilisé témoigne d’un besoin pluri-culturel à double sens.

Les échanges franco-brésiliens peuvent se définir selon trois types de relation : un intérêt premier pour une matière noble – le bois brésil– pau-brasil (Chaves de Mello, 2010)16; une relation d’affect pour cet indien sauvage et barbare que le Français civilisé veut éduquer (Carelli, 1988)17 et une fascination pour la découverte, celle d’un nouveau monde riche et troublant (Roman de Oliveira, 2007)18. France et Brésil ont construit une histoire de croisements culturels et également linguistiques formant un mélange culturel. « Il convient de respecter la complexité et l’ambiguïté de ce croisement de cultures pour ne pas le réduire à des schémas trop faciles » (Carelli, 1993: 15)19.

16 CHAVES DE MELLO Maria Elisabeth, 2010 « France et Brésil: dialogues possibles à travers la littérature de voyage » in : Synergies Brésil n° spécial 2 - 2010 p. 127-134.

17 CARELLI Mario, 1988, Brésil, Epopée Métisse, Paris, Découvertes Gallimard, Histoires.

18 ROMAN DE OLIVEIRA, A.B. 2007, Les femmes brésiliennes dans la presse française durant l’Année du Brésil en France : une représentations stéréotypée et sexiste. Mémoire de Master 2 en Média et Société. Université Paris VIII, Paris, 150p.

19 CARELLI Mario, 1993, Cultures croisées. Histoire des échanges culturels entre la France et le Brésil, de la découverte aux temps modernes. Paris: Editions Nathan.

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Le Brésil n’était pas inconnu des français lors de sa découverte, au XVIe siècle. Grâce aux informations portugaises, les marins français se lancèrent dans l’aventure, à la recherche des Indes. Les relations entre les deux pays débutèrent en 1535, lorsque Binot Paulmier de Gonneville fut le premier français à fouler les côtes brésiliennes (et non indiennes !). Il rentra en France sept mois plus tard, ramenant avec lui un Indien Carijó nommé Essomeriq20. Ce dernier fut probablement le premier brésilien à marcher sur le sol français. Il y fut initié aux coutumes françaises, se maria et eut des enfants. Nous ignorons s’il rentra au Brésil.

De retour au Brésil, les français, désireux de connaître un peu plus ce nouveau monde, établirent un contact avec un groupe d’indiens-brésiliens et essayèrent d'apprendre leur langue. Il semble qu’ils furent plus appréciés des indiens que leurs premiers colonisateurs portugais21. Au départ, la rusticité des indiens brésiliens effraya les européens, mais leur image évolua rapidement grâce à leurs participations aux fêtes de la cour22 qui initièrent la publication d’une série de documents consacrés à la présence des indiens en France.

Aussitôt le premier contact établi, quelques années plus tard, dans la baie de Guanabara, actuelle Rio de Janeiro, le vice-amiral breton Nicolas Durand de Villegagnon fonda en 1555 la « France Antarctique23 ». Inspiré par les réformistes

20 Essomericq se marie en Normandie avec une française, avec qui il a 14 enfants. Son arrière petit-fils, Jean Paulmier de Gonneville, né en 1632, était chapelain de l’église Notre Dame de Lisieux et, dans ses mémoires il mentionne avec fierté son ascendance brésilienne. Il n'y a aucun document sur ses perceptions de l'Europe. (Roman de Oliveira, 2007 : 12).

21 « Des « truchements », interprètes français, souvent très jeunes, laissés au Brésil, y apprenaient les langues indiennes et servaient d’interprètes à leurs compatriotes. Leurs rapports avec le Tupi étaient des meilleurs à tel point que beaucoup « s’ensauvagèrent » (…). Ils semblaient préférer les maïrs, Français à barbe rousse, aux péros, Portugais plus basanés ». (Carelli, 1993 : 26)

22 « Étude de documents iconographiques montre que l’affirmation d’une présence brésilienne en France fut très précoce : dès le XVI siècle, à Rouen, certains Indiens participent déjà à une fête brésilienne, et avant même 1550, des navigateurs normands entrent en contact avec les Indiens Tupinambas. (Guicharnaud-Tollis 2008 : 13) (GUICHARNAUD-TOLLIS Michèle (coll), 2008, Regards croisés entre la France et le Brésil. Paris, Harmattan.)

23 En hommage au roi Henri II, Villegagnon construisit le fort de Coligny et posa la première pierre d’Henryville (nom donné à l’endroit) qu’il avait baptisé « la France Antarctique »

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et les huguenots, il instaura des colonies religieuses. Le chevalier de Malte24 souhaitait évangéliser les indiens grâce à la présence de « bons chrétiens français pour peupler la colonie » (Carelli, 1993 : 27). Ce sauvage serait baptisé, exorcisé et civilisé pour, ensuite, être mythifié (Ibid. : 23). Néanmoins, les affrontements entre catholiques, calvinistes et réformateurs eurent raison de ses idées et amenèrent à la destruction de la France Antarctique par le gouverneur du Brésil de l’époque, le portugais, Men de Sá.

« Cette découverte d’un pays infini semble de grande considération », écrivit Montaigne ([1580]2008 : 11-12)25 dans son Essai sur le nouveau monde.

Le philosophe, tout comme le cordelier André Thevet et le calviniste Jean de Léry, faisait part de ses impressions sur la découverte du Brésil26. La barbarie et la civilisation, l’enfer et le paradis étaient des thèmes récurrents dans la littérature de l’époque. Thevet et Léry participèrent à l’instauration du fort-Coligny et, de retour en France, publièrent respectivement « Les singularités de la France Antarctique » (1557) et « Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil » (1578) (Chaves de Mello, 2010). Montaigne écrivit son recueil à partir de récits de vie de témoins français sur leurs expériences lors de la découverte du nouveau monde27. Lévi-

24 Nom attribué à Villegagnon in : Montaigne, Michel de [1580] Des Cannibales suivi de La peur de l’autre (anthologie), Paris, Gallimard, 2008.

25 MONTAIGNE Michel de, [1580] 2008, Des cannibales suivi de La peur de l’autre (anthologie).

Par Bénévent C. Collection Folioplus classiques (n° 143). Paris, Gallimard.

26 Nous tournons notre regard vers Jean de Léry qui fut impressionné par les pratiques anthropophages des indiens. « Par quoi qu’on n’abhorre plus tant désormais la cruauté des sauvages anthropophages, c'est-à-dire mangeurs d’hommes : car puisqu’il y a de tels, voire d’autant plus détestables et pires au milieu de nous, qu’eux qui, comme il a été vu, ne se ruent que sur les nations lesquelles leur ennemies, et ceux-ci se sont plongés au sang de leurs parents, voisins et compatriotes, il ne faut pas aller si loin qu’en leur pays, ni qu’en l’Amérique pour voir choses si monstrueuses et prodigieuses» (Léry, 1578) Livre en ligne in : http://www.bvh.univ- tours.fr/Epistemon/XUVA_Gordon1578_L47.pdf. Consulté le 18/03/2015.

27 Même si pour certains auteurs, comme Léry, l’indien brésilien est un sauvage et vit au stade de la barbarie, Montaigne, lui croit à la différence de nature et de culture entre les peuples. « Il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu’on m’en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ; comme de vrai, il semble que nous n’avons d’autre mire de la vérité et de la raison que l’exemple et idée des opinions et usances du pays où nous sommes. » (Montaigne [1580]2008 : 16)

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