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Influences de la langue et de la culture françaises au Brésil – XVIIIème et XIXème siècles

Contexte historique, théorique et méthodologique

Chapitre 1 : Contexte socio-historique de la thèse

1.1. France / Brésil : bilan d’une histoire (é) mouvante

1.1.2. Influences de la langue et de la culture françaises au Brésil – XVIIIème et XIXème siècles

Les rapports franco-brésiliens ne furent pas exclusivement belliqueux (Roman de Oliveira, 2007). Une sorte de quête culturelle rapprochait les deux nations. Les français s'intéressaient davantage à la nature exotique, s’inspiraient des paysages rêveurs et profitaient du manque de connaissances des indiens-brésiliens. Pour ces derniers, la France et les français incarnaient les idéaux des Lumières, d’espoir et de révolution. Le siècle des Lumières fut pour les français le moment de diffuser et de répandre leurs idées philosophiques et pour les brésiliens, le moment d’absorber toute cette idéologie pré-révolutionnaire que représentait la France30.

Au cours du XVIIIème siècle, le Brésil accueillit quelques personnalités françaises comme le peintre Jean-Baptiste Debret, le dessinateur du baron von Langsdorff, Hercule Florence (créateur de la photographie au Brésil) et l'astronome Charles-Marie de La Condamine, qui descendit l’Amazone entre 1743

30 « L’attirance pour la France des Lumières, qui était d’abord d’ordre idéologique et qui préparait une laïcisation des institutions et des comportements, incluait l’apprentissage de la langue et le gout par les usages. À Bahia, par exemple, João de Deus do Nascimento, tailleur, métis lieutenant de la milice, s’habillait à la française pour manifester son désir de construire une société égalitaire et vivant dans l’abondance » (Carelli, 1993: 45)

et 1744 dans l’espoir de renforcer les images de la géographie brésilienne dans l'imaginaire français. En Europe, Coïmbre fut la destination privilégiée des universitaires brésiliens pendant plusieurs années. Cependant, à la fin du XVIIIème siècle, le centre d’intérêt des brésiliens se déplaça vers la France, à Paris, mais également dans d’autres villes. Le brésilien Domingos Vidal Barbosa fit ses études de médecine à Montpellier. De retour au Brésil et grâce aux idéaux de la Révolution française, il adhéra à un mouvement républicain contre l'exploitation des impôts sur l’or du Minas Gerais mené par Joaquim José da Silva Xavier, alias Tiradentes31. Ce mouvement connu comme Inconfidência Mineira

tient une place importante dans l’histoire du Brésil.

Les idées de la Révolution française inspirèrent également les protagonistes de la Guerra dos Farrapos qui éclata en 1835. L’actuel Rio Grande do Sul fut constamment l'objet de conflits entre les républicains et les conservateurs. Afin de mettre un terme aux affrontements, les révolutionnaires acceptèrent l’accord proposé par le gouverneur nommé Duque de Caxias pour gérer ce conflit et la guerre se termina en 1845 sans succès de la part des républicains.

La France et le Brésil maintinrent une relation d’intérêt économique et surtout culturel. Parallèlement, la rupture avec les traditions luso-brésiliennes s’accentua en 1816 lors de la venue de la Mission Française à Rio de Janeiro. Cette mission avait pour but de créer une Académie des Beaux-arts inspirée de celle de Paris. Des inspirations artistiques et littéraires firent de Paris le « modèle incontesté du progrès ainsi que la référence mythique des artistes » (Carelli, 1993:149). Gonçalves de Magalhães fut influencé par Chateaubriand et Joaquim Nabuco fut un francophile amoureux de la IIIe République. « Tout au long du XIXème siècle, les élites politiques et intellectuelles brésiliennes ont trouvé à

31 Tiradentes face à l’importante exploitation portugaise des richesses naturelles, souhaitait la liberté du peuple brésilien et l’instauration d’une république au Brésil. Son plan fut un échec qui lui condamna à une mise à la mort en place publique.

Paris les modèles qui leur ont permis de poser des fondements de leur nation qui s’est consolidée entre l’empire et l’instauration de la République » (Op.cit. : 152). Les brésiliens n’hésitaient pas à se rendre à Paris pour de longs séjours et apportaient, dès leur retour, tout le charme, la nouveauté et la modernité que Paris inspirait.

L’indépendance du Brésil fut proclamée en 1822. En même temps, « l’empereur du Brésil, Pierre Ier, envoya le Major Schaeffer en mission secrète, en France. L’objectif était de s’infiltrer au sein de la franc-maçonnerie française et de l’Ordre de la Rose-Croix allemand32, en quête d’intellectuels et d’artistes pour la formation de la nouvelle élite brésilienne » (Roman de Oliveira, 2007 : 16). Le Brésil souhaitait acquérir une indépendance non seulement politique mais également artistique et intellectuelle. L’élite brésilienne de l’époque était ouverte à toutes les nouveautés (littéraires, artistiques), toutes les modes venues de Paris. Toutefois, les brésiliens n'étaient pas totalementdépendants de l’Europe et de ses enseignements.

Le second empire brésilien fut marqué par une série d’épisodes qui consolidèrent l’influence de la pensée philosophique française dans l’imaginaire de l’élite brésilienne. En effet, deux personnages français sont considérés comme des mentors et des sources d’inspiration de premier plan par les intellectuels brésiliens : Victor Hugo et Auguste Comte (Santiago, 2009)33. Le premier, romancier le plus célèbre de la littérature française, inspira le dramaturge Gonçalves Dias qui écrivit l’équivalent à la préface de Cromwell pour le Brésil. Justiniano José da Rocha traduisit certaines œuvres de Victor Hugo et José de Alencar se lança dans le nationalisme afin de définir la réalité brésilienne. « Au

32 L’ordre de la Rose-Croix est ordre secret, fondé au XVème siècle en Allemagne, relevant de !l’hermétisme chrétien, du néoplatonisme et du paraceltisme.

!!"SANTIAGO Silviano, 2009 « Presença da língua e da literatura francesa no Brasil (Para #$%"historia dos afetos culturais franco-brasileiros) » in : Letras, Santa Maria, v. 19, n. 2, p. 11– 25.

Brésil, à l’instar de l’évolution en France, le romantisme ne se limite pas à un programme artistique, mais correspond à l’émergence historique d’aspirations nationales et de transformations sociales » (Carelli, 1993 : 114). Les messages transmis dans les romans et poèmes de Victor Hugo étaient pour les écrivains brésiliens un appel à la fin de l’esclavage et à l'abolition de la peine de mort, ainsi qu'à la lutte en faveur du nationalisme.

Cependant, dans le cadre du combat pour l'instauration d’une République, les brésiliens firent appel aux idées d’une école française, le positivisme, et de son meneur Auguste Comte. Plus qu’une idée à suivre, le positivisme devint une «doctrine militante» (Ibid. : 118). Certains intellectuels menèrent des actions démesurées. Par ailleurs, le drapeau brésilien arbore une devise positiviste inspirée de ce même discours : Ordem e Progresso (Ordre et Progrès).

Dans le rapport entre la France et le Brésil, il n’existe plus de dominant ni de dominé. Chacune des deux nations jouit de richesses culturelles et les exploite à sa façon. Nous estimons que cette relation franco-brésilienne des siècles passés est le point de départ d’une série d’autres événements et transforment le regard sur la langue-culture française chez les brésiliens. D’ailleurs, nous nous interrogeons sur l’importance de la langue française durant la Belle Époque. Comment et où les brésiliens apprenaient-ils la langue française ? Que pensaient-ils de la langue française qui, tout comme la culture, représentait la modernité ? Selon Pietraroia (2008)34, l’enseignement obligatoire de la langue française dans les établissements brésiliens commença en 1837 avec la création du collège Pierre II. Dans les programmes d’enseignement, le français était l’une des principales disciplines et certains livres étaient en langue française. La méthode utilisée fut celle connue sous le nom de « grammaire-traduction35 ». Le contact avec la langue et la culture

34 PIETRAROIA Cristina Casadei, 2008 « A importância da língua francesa no Brasil : marcas e marcos dos primeiros períodos do ensino » in : Estudos Linguísticos, São Paulo 37 (2) p. 7-16.

35 En règle générale, cette méthode consiste à travailler sur l’étude du vocabulaire, de la grammaire pour former des traducteurs de la langue littéraire.

française permet selon l'auteure, une sensibilisation aux questions sociales puisque les classes les moins favorisées peuvent ainsi prendre connaissance des idéaux révolutionnaires. L’apprentissage de la langue avait pour objectif d'apporter à l’étudiant les compétences nécessaires à la lecture des grands auteurs français. Pietraroia présente le programme des examens du Collège Pierre II en 1850 :

1º année : Grammaire (formation du pluriel des substantifs et des adjectifs, formation du féminin des adjectifs, adjectifs et pronoms possessifs, verbes)

2º année: Buffon, Morceaux Choisis 3º année: Fénelon, Morceaux Choisis 4º année: Massillon, Petit Carême 5º année: Montesquieu: Sélecta de Blair 6º année: Racine, Athalie

7º année: Bossuet, prières funèbres (Pietraroia, Ibid. : 10).

Selon Carelli (1993 : 138), « la langue française était en effet considérée, au tournant du siècle, comme la seule langue réellement adaptée aux exercices de l’esprit et comme le signe de la distinction ». Le mot distinction ici désigne la différence et la discrimination établie entre l’élite brésilienne et les catégories dominées intellectuellement ou financièrement. Il fut un temps où l’apprentissage de la langue française était destiné à la seule bourgeoisie brésilienne.

Malgré la faiblesse numérique de notre émigration et l’infériorité de notre commerce, la langue française a pénétré partout dans le pays, entraînant avec elle notre influence intellectuelle. Aussi est-elle sue aujourd’hui plus ou moins par toute personne instruite et est-elle très souvent usitée comme véhicule de l’enseignement supérieur, au point que l’intellectualité des classes dirigeantes est pour ainsi dire française. Ainsi s’explique cette fascination que, de leur propre aveu, la culture française exerce sur les brésiliens […] (Anthouard, 1911 in Carelli, 2003 : 138).

Ainsi, la langue française est synonyme de richesse intellectuelle apportée à certains brésiliens et son enseignement garantit la formation et l’image de la jeunesse brésilienne. À travers cette langue, l’homme devient plus instruit, capable de comprendre les écrits philosophiques qui furent la base d’inspiration de plusieurs nations y compris le Brésil. Les relations entre les deux pays ne s’arrêtent pas au XIXème siècle. Nous verrons que le XXème siècle fut aussi marqué par de nouvelles influences, dont le retentissement s’étend jusqu'à nos jours.

1.1.3. Influences de la langue et de la culture françaises au Brésil