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Conclusion du chapitre 1

Chapitre 2 : Cadre théorique de la thèse

2.1. Le sujet, l’identité et les positions subjectives : définitions théoriques

2.1.3. Les positions subjectives

Dire que le sujet est celui qui occupe une place attitrée dans une formation discursive c’est dire également que cette place est aussi fluctuante que le sujet lui-même. Cela signifie que le sujet assume plusieurs positions dans le discours. « Le changement de discours, de position d’énonciation ou de langue est fonction de l’autre imaginaire auquel nous nous adressons. Il est changement de position subjective ». (Prieur, 2006 :114)105.

2.1.3.1. Les positions subjectives selon Jean-Marie Prieur

Le sujet parlant, hétérogène, multiple, se situe constamment dans un changement de positions subjectives. Jean-Marie Prieur (2001 :139)106 mentionne que l’identité de l’individu n’est ni « un cadre ni un état, ni une construction harmonieuse, mais un agencement composite d’éléments disparates, hétérogènes, en dynamique, bref un devenir107. Le devenir du sujet parlant est ainsi directement lié à une situation de contact de langues, participant de la formation de la subjectivité. Un sujet vit les situations de contacts qui mettent en évidence « cette logique disjonctive de la subjectivité » (Prieur, 2006a). Dans son article Contact

de langues et positions subjectives, Jean-Marie Prieur (Idem) développe cette

notion108 peu traitée par les chercheurs dans le domaine des sciences humaines. Il

105 PRIEUR Jean-Marie, 2006a, « Contact de langues et positions subjectives » in : Langage et société, n°116 p.111-118.

106 PRIEUR Jean-Marie, 2001, Frontières de sujets, frontières de langues : l’expérience subjective du passage, Thèse d’État, Strasbourg I, 351p.

107 Prieur évoque une citation d’Andrée Tabouret-Keller qui exemplifie ce « devenir-sujet » et montre qu’un sujet n’est pas une identité ni autonome « Un sujet n’est en aucun cas une entité autonome même si le nom propre peur lui en donner l’illusion : les étayages des ses identifications sont multiples et ses identités de même » (Tabouret-Keller, « Identités, processus d’indentification, nomination », in : Enfance, 1-2, 1er -2e trimestre, 1987 : 6).

108 Plusieurs de ses écrits sont consacrés à ce thème, notamment l’article intitulé : Des écrivains en contact de langues (2006b). Dans cet article, l’auteur explique que les situations des écrivains en contact de langues sont souvent associées à des situations de bilinguismes, ceux-ci refusant parfois la langue maternelle et désirant une autre langue, la langue étrangère (p.485) PRIEUR Jean-Marie,

nous montre le chemin possible d’une autre analyse de la subjectivité dans le langage, dépassant celles de la linguistique de l’énonciation ou de la sociolinguistique des représentations et des imaginaires (Ibid. :111). Prieur considère la subjectivité comme une tension qui transite dans les différentes modalités du discours. Cette tension est « la manifestation même de la subjectivité » (Ibid. : 112). C’est ainsi que le sujet circule entre plusieurs logiques de discours, des situations concrètes ou abstraites et parfois contradictoires.

Les positions subjectives du sujet parlant traduisent l’expérience de l’entre-deux, entre-deux langues, entre-deux discours. Le sujet n’est pas un, il incarne une multitude d’identifications, de représentations et, en ce sens, une multitude d’identités. La position qu’un sujet prend face à une situation, à une personne, à une langue ou une culture change constamment et ce changement participe de notre condition dans le langage. À ce propos, Prieur (2001) conclut que la subjectivité peut être liée à l’usage de différentes langues, mais aussi à différents styles et usages au sein d’une même langue :

Si la subjectivité peut-être « mise en relation » de différents signifiants dans différentes langues, expression de la potentialité multilingue d’un sujet échangeur entre les langues (…) cette potentialité s’exprime également par la multiplicité des styles et des usages du langage auxquels recourt l’individu monolingue. (Prieur, 2001 : 140)

Un sujet109 n’est donc jamais le même face à une situation qui se répète. Il possède plusieurs langues (Idem.) entre registres, langages techniques et professionnels, dialectes, etc. Le sujet est fluctuant et se positionne subjectivement en fonction de chaque action discursive qu’il met en oeuvre ; il exprime différentes versions de sa subjectivité (Ibid.). Dans les dires d’Authier-Revuz (1995 :75)110, « ce sujet effet de langage est un sujet divisé : c’est sa « prise » dans l’ordre symbolique du langage qui impose au sujet la division conscient-inconscient ».

2006b, « Des écrivains en contact de langues », in : Ela. Études de linguistique appliquée 2006/4 (n° 144), p. 485-492.

109 Prieur le nomme sujet multistyle ou sujet multilingue.

Erik Porge (2009)111 partage les mêmes vues que Prieur dans son article sur la notion de sujet et de subjectivité à notre époque112. L’auteur affirme que « selon la place du sujet dans chaque discours, les rapports entre les énoncés et les énonciations subiront des déterminations différentes et auront des effets différents sur les autres » (Ibid. : 30), « Maisle sujet reste le même, toujours aussi divisé et une parole singulière, dans une expérience subjective particulière, peut toujours s’affranchir de ces déterminations, par exemple en passant à un autre discours. Chacun des discours est susceptible de permuter dans un autre, par rotation des termes à une place différente. »

Le sujet prend donc une position subjective selon l’environnement et selon son discours (et celui des autres) et devient un autre(ou plusieurs). Il est traversé par son discours, le discours de l’autre et ne reste pas fidèle à son image. Dans les dire de F. Noël « Je ne suis pas le même selon la langue que je parle. Je lis en français, je travaille sur des textes anglais, mais j’ai toujours aimé l’espagnol. Pour moi cette langue est le vieux substrat de la passion » (Noël, in : Prieur, 2001 : 139). Le sujet est pluriel et hétérogène dans sa subjectivité.

Devant cette complexité des notions de sujet(s) et de subjectivité(s), la sociologie a aussi essayé comprendre la place de l’individu dans la société et son rôle en tant que sujet parlant. Bernard Lahire (2001) mène une discussion qui lie sociologie et psychanalyse concernant la multiplicité des positions de l’individu.

111 PORGE Erik, 2009, « Un sujet sans subjectivité », in : Essais 2009/1 (n° 22), p. 23-34.

112 L’auteur fait référence à un colloque auquel il a participé à Bruxelles en 2014 qui avait comme titre « Quelle subjectivité pour notre époque ? ». Il cite les discussions menées pas Jean-Pierre Lebrun et Charles Melman quant à une « nouvelle économie psychique ».

2.1.3.2. Les dispositions des individus selon Bernard Lahire

Bernard Lahire est l’un des seuls sociologues à vouloir associer la psychanalyse à ses questionnements sociologiques. Dans son livre L’homme

pluriel. Les ressorts de l’action (2001), l’auteur engage une discussion à propos

d’une réalité sociale contraire à la définition d’habitus de Pierre Bourdieu et développe une réflexion sur ce qu’il appelle la disposition des individus. Il dégage dans un premier temps, la notion d’acteur113 pluriel : « un acteur pluriel est le produit de l’expérience de socialisation dans des contextes sociaux multiples et hétérogènes. Il a participé successivement au cours de sa trajectoire ou simultanément au cours d’une même période de temps et d’univers sociaux variés en y occupant des positions différentes » (Ibid. :60). Le sociologue évoque ensuite l’hétérogénéité de contextes qui va de pair avec les discours. Occuper plusieurs places tout au long de sa vie, est chose ordinaire pour tout sujet dès son insertion dans la société, donc dès sa naissance. À chaque place que le sujet occupe dans son discours, il est question pour lui de s’engager vis-à-vis de l’autre, un être supposé accompli et complet. Or, ce qui anime tout sujet est le désir et plus précisément le désir de l’autre.