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Contexte historique, théorique et méthodologique

Chapitre 1 : Contexte socio-historique de la thèse

1.3. Migra(c) tion : pourquoi partir ?

1.3.2. Les objectifs migratoires

Les objectifs motivant les personnes à venir et souvent de s’installer dans un nouveau pays sont très variés. Ils sont influencés par dessus tout, des insatisfactions vécues dans le pays natal. Partir, pour le sujet migrant, est un moyen de faire exister par lui-même, exister aussi par le regard de l’autre, celui qui reste, mais aussi celui qu’il va rencontrer. La migration évoquée dans les récits de vie a une raison d’exister, elle doit résonner au propre sujet, mais aussi à l’autre. Une fois qu’elle découvre un « sens » (pas forcément lié à son désir

subjectif), la migration devient l’objectif principal de toute la vie du sujet qui part. À partir des travaux de Almeida (2013), nous avons réussi à identifier, à travers divers récits de migrants, trois types d’objectifs migratoires : la migration étudiante, la migration affective et la migration professionnelle.

Nous observons que la migration des brésiliens interrogés ne se limite pas à un seul profil identifié, c’est-à-dire qu’une migration étudiante est devenue une migration affective et une migration professionnelle est aussi devenue une migration affective dans la plupart des cas. L’objectif premier de la migration a été modifié une fois arrivé dans le pays de destination. La migration s’inscrit alors dans un double-mouvement qui change et bouscule sans cesse la vie des sujets. Nous diviserons les entretiens recueillis selon les modalités migratoires établies.

1.3.2.1. La migration étudiante

L’interaction universitaire et institutionnelle France-Brésil déjà évoquée renforce l’idée que la relation entre les deux pays, avec le développement de l’enseignement scolaire et secondaire au Brésil, est en grande partie liée à une formation étrangère. Nombreux sont les intellectuels partis à l’étranger en quête d’instruction et de développement et ce, depuis les années 20 et 30. Les travaux de Xavier de Brito (1991 apud. Almeida, 2013), nous expliquent que l’histoire du Brésil s’inscrit dans un rapport de dépendance à des acteurs étrangers et que la formation à l’étranger prend une dimension extrêmement importante dans l’univers académique et culturel du pays. La France, en particulier, par la teneur de ses idéaux politiques et artistiques, a attiré l’attention de certains brésiliens dès le XVIII ème siècle.

Malgré la présence massive d’étudiants brésiliens en France, ces derniers possèdent souvent un visa étudiant qui ne leur permet pas de rester plus d’un an dans ce pays d’accueil. Nous avons choisi de ne pas intégrer ce profil à notre travail de recherche. Nous estimons que le temps de séjour dans le pays étranger est révélateur, car le regard du migrant envers son pays d’accueil change au fur et

à mesure qu’il s’intègre. De plus, l’étudiant en échange international évolue dans un rapport au temps (limité), différent de celui qui part sans vraiment savoir quand il revient.

Dans le cadre de notre étude, nous avons pu identifier sept entretiens évoquant une migration vers la France partiellement ou principalement liée aux études. André, Natalia, Lorena, Roberta et Yvonne sont venus pour poursuivre des études universitaires. Flavio et Soraia sont venus pour étudier exclusivement la langue française. André est venu une première fois pour un échange universitaire et a suivi une année de licence en génie mécanique ; il est revenu pour faire son doctorat. Le jeune homme possédait une bourse du gouvernement brésilien pour réaliser ses études. Lorena, la femme d’André, a, elle aussi, poursuivi ses études de psychologie en France, car c’était la seule façon pour elle de pouvoir accompagner son mari. Natalia a fait ce voyage grâce aux accords bilatéraux proposés par les universités. Étudiante en arts plastiques, son intérêt pour la France était plus ancien, car elle fréquentait des cours de langue française avant même de songer à sa venue. Elle n’a jamais obtenu de bourse étudiante. Roberta

est venue pour préparer son Master dans une université française et bénéficiait d’une bourse d’études. Elle a poursuivi son doctorat ainsi que son post-doctorat dans le domaine du génie chimique. Yvonne, grâce à un billet d’avion offert par un ami, a eu la possibilité de venir préparer en France une licence en Arts du Spectacle. Même si son départ n’était pas exclusivement lié aux études, elle a fréquenté l’université pour obtenir un visa étudiant et rester dans les règles au pays. L’importance de l’obtention d’une bourse d’études est considérable pour l’organisation du séjour des migrants. Sans bourse, Natalia et Yvonne ont vécu des difficultés financières influant sur leurs conditions de séjour et d’étude.

La venue de Flavio est liée à l’apprentissage de la langue française. La France représentait un endroit stratégique dans son « plan de fugue ». En vérité, le jeune homme a raconté qu’il voulait vraiment fuir le Brésil et le seul moyen légal était de s’inscrire dans un cours de langue. Plus tard, Flavio a rejoint l’université et obtenu un diplôme de Master. Il a déclaré n’avoir jamais reçu de bourse, ni brésilienne ni française, mais une aide financière de ses parents. Soraia quant à elle, a été invité par sa sœur qui habitait déjà en France, à fréquenter un cours de

langue française pendant quelques temps. Parce qu’elle avait perdu son poste de journaliste au Brésil, elle a accepté l’invitation. Après quelques mois de cours de français, elle a pu intégrer une université française.

Avoir la possibilité de réaliser une partie des études universitaires à l’étranger est, selon Ribeiro de Almeida (2013), une stratégie personnelle dans un marché de travail symbolique qui vise le cosmopolitisme. Dans les propos de Mazza (2009)63, la mobilité universitaire devient une nécessité qui passe d’un simple droit à un devoir. Pour la plupart des entretiens recueillis, nous avons observé que l’objectif premier de la migration avait changé au cours du séjour. On constate une évolution dans la migration et un changement de statut qui permet au migrant de trouver une place plus ou moins importante au sein de la nouvelle culture. Dans le cas de la migration étudiante, Seuls Roberta, Flavio et Soraia ont vu leur modalité migratoire changée en se construisant une vie professionnelle et personnelle en France. Les autres migrants étudiants ont conservé leur statut de départ.

1.3.2.2. La migration affective

Nous vivons dans une ère marquée par la mobilité, qu’elle soit représentée par les voyages internationaux et les contacts virtuels, que les réseaux sociaux proposent à la société, ce qui induit une augmentation des migrations motivées par l’affectivité. La migration affective a lieu dès lors qu’un sujet migrant quitte son pays pour se mettre en couple ou se marier avec une personne de nationalité différente de celui-ci. Elle est aussi appelée migration matrimoniale (François

63 MAZZA Débora, 2009, « Intercâmbios acadêmicos internacionais: bolsas Capes, CNPq e Fapesp » in : Cadernos de Pesquisa, v. 39, n. 137.

Héran, 2018). Selon Marta Silva (2012)64, ce rapport entre deux personnes de nationalités différentes est souvent associé à une grande accélération de la formation juridique (par le biais du mariage) de leur union. Le mariage est, dans une migration affective, le seul moyen de permettre au conjoint étranger de trouver sa place légale dans le pays. Parmi les brésiliens interviewés, nous avons repéré dix récits de vie dont la migration « par amour » est la raison principale du déménagement. Celle-ci est souvent liée à une rencontre amoureuse ou, parfois, à un regroupement familial, comme pour Talita, venue en France pour accompagner sa mère qui avait pris la décision de changer de pays.

Pour les neuf autres entretiens, huit femmes ont rencontré leur futur mari et un homme a rencontré sa future compagne au Brésil ou dans un autre pays (hormis la France). Cependant, tous les couples formés ont choisi d’habiter en France, un voyage nécessitant pour les brésiliens, un effort supplémentaire d’adaptation.

Karina a connu son futur mari quand elle était encore étudiante au Brésil et lui aussi. Elle a décidé de passer des vacances en France et est tombée enceinte, ce qui a prolongé son séjour dans le pays et induit lemariage. Yasmin a rencontré son futur époux au Brésil, pendant que celui-ci poursuivait des études en Master. Elle est venue en France rencontrer sa famille puis ils se sont fiancés et mariés civilement au Brésil avant de repartir pour la France. Daniela, quant à elle, a rencontré son mari sur un site de rencontre. Après un séjour en France pour s’assurer des bonnes intentions du Français, elle a abandonné son travail au Brésil pour se marier avec cet homme et venir habiter en France. De même pour

Tassiana, qui a connu son mari au Brésil, mais qui a longtemps retardé la décision de se marier. Il aura fallu trois ans après leur première rencontre pour qu’ils se marient et que la jeune femme vienne s’installer en France.

64 SILVA Marta dos Santos, 2012, « Casamento franco-brasileiro: mulheres brasileiras casadas com franceses e morando na França ». In: PADILLA, Beatriz et al (org). Novas e velhas configurações da imigração brasileira na Europa. Atas do 2º seminário de estudos sobre a imigração brasileira na Europa. Lisboa: ISCTE, 2012. p. 363-375. Disponível em:

<repositorio-Pour Florence, Jussara et Valentina, la rencontre avec les futurs époux n’a pas eu lieu au Brésil, mais dans un pays étranger. Florence a rencontré son mari pendant des vacances au Chili. Ils ont décidé de se marier quand la jeune femme a choisi de venir s’installer en France avec lui. Jussara a connu son (ex) mari lorsqu’elle habitait avec sa tante en Guyane Française. Elle avait vécu une première expérience en France qui avait été décevante. Ils se sont mariés en France quand Jussara a appris qu’elle attendait un enfant. Enfin, Valentina a rencontré son fiancé quand elle était étudiante à Dublin, en Irlande65.

Paula a connu son futur mari français dans un bar espagnol appelé Café Cancun, dans sa ville natale.Contrairement aux autres femmes citées, elle n’a pas reçu de « promesse » de mariage et a été d’abord invitée à partager la vie de celui qui est devenu son mari. Nous observerons, lors des analyses, l’importance et l’influence de la culture espagnole dans la vie de Paula.

Le seul homme interrogé ayant quitté le Brésil pour rejoindre sa future conjointe s’appelle Dênis. Celui-ci a rencontré une française de passage au Brésil, venue pour un stage de capoeira. Dênis a alors décidé de quitter son pays pour vivre en France, car la jeune femme était tombée enceinte. Ils ont habité ensemble pendant quelques temps, mais ne se sont jamais mariés. Ils se sont, d’ailleurs, séparés peu de temps avant l’accouchement de sa compagne. Au moment de l’entretien, Dênis vivait avec une autre femme de nationalité française.

Selon Almeida (2013), la légalisation de l’union entre deux personnes de nationalités distinctes peut induire les institutions juridiques à « douter » de la véracité des actes et des sentiments amoureux en raison d’une nécessité ou d’un intérêt (les papiers, la nationalité). Les migrants brésiliens interviewés n’ont pas eu de réticences à évoquer ce sujet. Seule Jussara a évoqué un problème concernant les brésiliennes en Guyane Française, souvent identifiées comme

65 Lorsque nous avons du catégoriser les récits selon les modalités de migration, nous avons hésité concernant le récit de Valentina. La « motivation » première du départ de la brésilienne a été pour étudier l’anglais en Irlande. C’est quand elle rencontre son futur époux qu’elle a décidé de venir s’installer en France. Cependant, puisque notre travail concerne des migrants brésiliens installés en France, nous avons considéré la France comme première modalité migratoire.

désireuses de rencontrer un Français pour pouvoir migrer en France66. Parmi les dix récits de vie de brésiliens ayant vécu une expérience migratoire par « amour », on peut mentionner deux divorces, celui de Karina et de Jussara. Dênis ne s’est jamais marié, mais a toujours fréquenté des femmes d’origine française.

1.3.2.3. La migration par le travail

La migration par le travail ou migration professionnelle concerne les brésilien(ne)s dont la venue en France n’est pas prioritairement motivée par un lien affectif ou un projet d’étude. Parmi les onze récits de vie recueillis, nous avons pu identifier les personnes venues pour travailler en tant que fille au pair et artistes / danseuse et musicien(ne) venues pour promouvoir la culture brésilienne. Nous avons aussi rencontré trois brésilien(ne)s qui sont venus travailler dans les domaines de la construction civile et des travaux domestiques.

La plupart des personnes interviewées ne se sont pas épanouies professionnellement. Cela est dû à un décalage entre le métier pratiqué en France et celui qu’elles exerçaient au Brésil. Nous avons d’ailleurs observé que la majorité d’entre eux a changé de modalité migratoire passant d’une migration professionnelle à une migration affective ou une migration étudiante.

Pour Alessandra, Valéria, Valesca et Fatima, l’arrivée en France est due à une opportunité de travail comme jeune fille au pair. Cette activité est certainement le moyen le plus simple de vivre une expérience dans un pays étranger, tout en ayant une assurance, un confort et un séjour légal en pays

66 À ce sujet, nous connaissons de travaux de : Simonian (2005) SIMONIAN Ligia & FERREIRA Rubens, 2005 « Trabalho e vida em terra estrangeira : o caso dos imigrantes brasileiros na Guiana Francesa »in : Historia Revista 10 (2) p.227-253 et Martins & Rodrigues (2012) MARTINS Roseane Ferreira & RODRIGUEZ Carmem Izabel, 2012 « Fronteiras em construção: representações de migrantes brasileiros na Guiana Francesa » in : Novos Cadernos NAEA v. 15, n. 1, p. 333-351.

d’accueil. C’est aussi un travail pour lequel il faut savoir conjuguer patience, pédagogie et sens des responsabilités. Les quatre femmes sont venues pour s’occuper d’enfants, mais également pour étudier la langue française dans une école de langues. Alessandra est venue pour s’occuper d’un jeune garçon habitué aux jeunes filles au pair. Au Brésil, elle avait quitté son emploi dans une agence de tourisme pour tenter l’expérience. En France, elle a étudié la langue française et a rencontré celui qui est devenu son mari. Valéria a été invité par un couple d’amis Français à venir s’occuper de leurs deux enfants. Elle connaissait déjà la famille et a accepté de quitter son emploi de fonctionnaire pour vivre cette expérience en France pendant un an. Durant cette période, elle a connu l’homme qui est devenu son mari. Valesca éprouvait un désir profond de quitter le Brésil, mais sa seule échappatoire a été d’être engagée comme fille au pair en France. Dès son arrivée, elle a trouvé les moyens d’intégrer une école d’enseignement supérieur, laissant au deuxième plan son travail auprès des enfants. C’est seulement deux années plus tard qu’elle a rencontré celui qui deviendrait son mari. Fatima est bien la seule femme à être passée par les trois catégories de migration identifiées. Elle a quitté le Brésil pour devenir fille au pair. N’étant pas satisfaite de son travail, elle a décidé de poser sa candidature pour réaliser un Master. Et enfin, pendant ses études, elle a rencontré O. avec qui elle a contracté un PACS pour ensuite se marier.

Mariana, Laura, Carlos et Ricardo sont venus en France pour exercer leur activité artistique ; le chant, la danse et la musique. Mariana est danseuse. Elle était en tournée avec sa compagnie et a ressenti, en passant en France, le désir de rester dans ce pays. Son talent lui a permis de créer un réseau artistique important et d’étendre ses compétences au chant. Elle a eu un enfant, mais ne s’est pas mariée. Laura, elle aussi était en tournée quand elle a décidé de rester en France. Elle entretenait une relation avec le directeur du restaurant dans lequel elle dansait. Elle a finalement cessé de travailler et fondé une famille avec un autre homme, changeant ainsi de catégorie de migration. Carlos était aux Caraïbes quand il a décidé de passer par la France avant de rentrer au Brésil ; il a alors été motivé par d’autres brésiliens musiciens à rester dans le pays. C’est l’encouragement des autres qui l’a poussé à s’installer en France. Son parcours a

également été modifié par un mariage. Cependant, au moment de l’entretien, Carlos était divorcé.

Certains sont venus pour travailler et n’ont pas changé de trajectoire. C’est le cas de Clarinda, Lena et Gustavo. Ils ont quitté le Brésil dans l’espoir de (re)trouver une vie meilleure ailleurs, dans le pays de migration. Ils sont arrivés en France en tant que touristes et y sont restés illégalement. Clarinda est venue sur l’invitation d’une amie française. Elle a travaillé comme femme de ménage et exerce encore ce métier ainsi que celui de cuisinière dans un restaurant. Lena est aussi venue pour travailler en tant que cuisinière, même si elle a suivi une formation universitaire au Brésil pour un métier qu’elle n’a jamais pu exercer.

Gustavo, le frère de Clarinda, est arrivé en France sur l’invitation de sa sœur et de son frère aîné. Il est venu travailler dans la construction civile en tant que maçon, mais fait aussi des spectacles de capoeira pour compléter ses revenus. Au moment de l’entretien, aucun de ces trois interviewés n’avaient obtenu de papiers pour rester légalement en France. C’est un sujet qu’ils n’ont pas souhaité aborder, mais qui a été révélé en dehors de l’entretien, sans plus de détails.

Almeida (2013) atteste que l’émigration brésilienne a connu un développement à partir des années 1980, suite à un fort problème d’inflation précarisant une grande partie de la population au Brésil. Certains se sont alors engagé dans une dynamique migratoire, même si le pays de destination choisi par la majorité d’entre eux n’était pas la France67. Par la suite, le nombre de brésiliens venant s’installer en France a connu une forte croissance et cela, quels que soient les objectifs migratoires.

Dans le deuxième chapitre, nous allons aborder le cadre théorique de la thèse et les questions essentielles qui nous aiderons à analyser les récits de vie recueillis.

67 Une vague d’immigrants est allés s’installer aux États-Unis (MARGOLIS, 1994; SALES, 1999), le Japon (KAWAMURA, 1999) et dans quelques pays d’Europe comme l’Italie et le Portugal (BÓGUS, 1995 – apud Almeida, 2013).