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La langue maternelle : langue de l’intime

Conclusion du chapitre 1

Chapitre 2 : Cadre théorique de la thèse

2.1. Le sujet, l’identité et les positions subjectives : définitions théoriques

2.2.1. La langue maternelle : langue de l’intime

« Que reste-il ? La langue maternelle. » (Hannah Arendt)

La langue d’accès au langage de tout sujet parlant est généralement appelée la langue natale ou maternelle, du latin maternus ; la langue de la mère122. C’est en effet la première langue utilisée pour communiquer avec l’enfant dès sa naissance et le plus souvent par sa mère. Lorsqu’il commence à parler, à son entrée dans le langage, il apprend à symboliser les objets et à les identifier. C’est dans et par la langue que le sujet se construit et construit le monde qui l’entoure (Benveniste, 1966).

Pour le dictionnaire Larousse, la langue maternelle est la première langue apprise par un sujet parlant (dit alors locuteur natif) au contact de l'environnement familial immédiat. Cette première langue est souvent liée à la figure de la mère, mais elle peut aussi être liée à la figure d’attachement de l’enfant123. C’est la première langue de contact de l’enfant avant d’aller à l’école. Pour Coracini (2003 : 145), l’école propose avant tout un enseignement dans la langue natale, associée à la langue officielle du pays dans lequel elle se trouve. C’est la langue dans laquelle l’enfant a été alphabétisé.

La langue maternelle pour Bernard Casanova (1982 : 108) 124, est celle où l’on peut se permettre de « tout dire » (Freud, apud Casanova) « sans aucune

122 Selon Coracini (2003), il existe des sociétés dont la langue enseignée est celle du père.

123 C’est le cas des enfants qui ne sont pas élevés par leur mère biologique ; les enfants adoptifs, les enfants nés sous X. La figure d’attachement est la personne avec laquelle l’enfant a le plus de contact. Cela peut être le père, la grand-mère ou même une nounou. Vierling-Weiss confirme cette possibilité de la manière suivante : « Quand on dit qu’elle (la langue) est maternelle, on ne veut pas seulement dire qu’un enfant et sa mère la parlent dès le berceau, ou avant, on veut dire qu’il y a quelque chose de commun, de fusionnel entre un sujet et une langue, comme le lien fusionnel entre une mère et un enfant »

124 CASANOVA Bernard. « Psychanalyse et langue maternelle ». In: Langue française, n°54, 1982. Langue maternelle et communauté linguistique. pp. 108-113.

retenue, se laisser faire, se laisser mener, traverser, surprendre par la parole, ne plus finir de s'étonner de ce qu'« elle dit », en éprouver la singularité ». Dans les dires de l’auteur (Idem. : 113), c’est la mère qui va « charger de sens tout vagissement, tout cri, son et en faire autant de demandes auxquelles elle va répondre par la satisfaction du besoin ; c’est en elle, la mère, première incarnation de l’Autre, que l’enfant va puiser les signifiants où son désir pourra s’articuler » (Casanova, Ibid). Le rapport à l’autre naît donc de cette première communication mère-enfant.

La question que Michèle Vierling-Weiss (2006)125 pose, ne laisse personne indifférent et permet d’ouvrir une discussion : quelle est ta langue maternelle ? Qu’elle soit langue de la mère, langue de l’intime ou des souvenirs, cette première langue est déterminante dans la construction du langage de tout individu lors des ses deux premières années de vie. L’immersion linguistique de l’enfant a lieu avant même sa naissance. Il peut en effet reconnaître les sons de la langue-mère dans le ventre de sa mère126.

Ainsi, si la langue maternelle est aussi la langue de l’autre, de la mère ou des ressortissants du pays natal, c’est celle qui nous permet d’atteindre notre plus profonde intimité. D’ailleurs, il n’y a de langue maternelle que singulière à chacun (Casanova, 1982). C’est refuge, un port sécurisé où l’on se sent bien. C’est la langue de la jouissance et du repos, comme le conçoit Milner (1978)127, la langue-mère, langue des origines.

125 VIERLING-WEISS Michèle « Que reste-t-il ? La langue maternelle », Che vuoi ? 2006/2 (N ° 26), pp. 11-21.

126 Les études concernant la sensibilité fœtale au cours de la grossesse n’ont pu être réalisées qu’à partir du dernier demi-siècle, quand se sont développées des méthodes non-invasives qui permettait de capter les réactions d’un fœtus face à un stimuli extérieur. Nous avons consulté certains articles qui évoquent ce thème : Marie-Claire BUSNEL & Anne HERON (2010) Le

développement de la sensorialité fœtale. Article publié dans LA NAISSANCE : histoire, cultures

et pratiques d’aujourd’hui. R. Frydman & M. Szejer, Albin Michel : pages 633-643 ; Carolyn Granier-Deferre, Marie-Claire Busnel« L'audition prénatale, quoi de neuf ?», Spirale 2011/3 (n ° 59), p. 17-32.

Dans certains cas, elle aide à extérioriser les mots manquants dans la langue de l’autre, car c’est, a priori, la langue la mieux maîtrisée. Pourtant, certains ne parviennent pas à s’exprimer et se sentent limités dans leur langue natale. Et trouvent, dans la langue étrangère, des mots précis et sans équivalent parfois dans leur langue maternelle. La complexité des liens entre la pensée et le choix de la langue s’illustre finalement dans le rapport au monde du locuteur. Ainsi, en associant la langue maternelle à la figure de la mère, on établit une intéressante dichotomie langue maternelle / langue étrangère. L’histoire familiale facilitera ou non l’acquisition d’une langue. Selon Coracini (2013), la langue est constituée par la formation discursive dans laquelle son usage s’inscrit (Foucault, 1969), par un discours toujours en mouvement.

Dans les récits de vie recueillis, la langue de communication avec l’enquêtrice est la langue maternelle, « la langue qu’on a vécu et pensé, dès les premiers instants de vie, et qu’on ne pourra jamais remplacer par une autre (Tourn 2009)128. Le migrant, même s’il souhaite, par la langue étrangère, devenir un autre, ne pourra pas renoncer à cette langue première, porteuse d’identité et qui représente au mieux l’intimité de chacun. La langue dite « maternelle » est, pour tous nos interviewés, la langue de la mère129. Par la suite, elle devient la langue d’intégration scolaire130. C’est cette langue qui permet de se connecter aux tréfonds affectifs, de penser au passé, de faire ressurgir la mémoire. Mais, pour certains, la langue maternelle est peu à peu abandonnée, abandon qui s’accompagne d’un sentiment d’éloignement du lieu d’origine. Il faut laisser la place à la langue-culture étrangère…

128 TOURN Lya, 2009, Chemin de l’exil. Vers une identité ouverte. Paris, Campagne première.

129 Nous observons dans le récit de vie de Karina que celle-ci dit avoir parlé plus souvent le tupi-guarani (langue indienne), langue de son père, que le portugais, langue de sa mère, avant d’intégrer l’école. Elle estime que sa première année scolaire a été difficile à cause de ce problème linguistique.

130 Dans le récit de vie de Talita, nous observons que son alphabétisation s’est faite majoritairement en français car la jeune femme a fréquenté l’école française pendant 1 an entre 5 et 6 ans puis a quitté le Brésil définitivement à l’âge de 9 ans.