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Nom Carlos

Âge 56 ans

Origine Santo André – São Paulo

Profession au Brésil Musicien

Lieu de résidence Paris

Profession en France Musicien et acteur

État civil Divorcé - sans enfants

Niveau de scolarité Niveau Secondaire complet

Vit en France depuis… 25 ans

Nous avons fait la connaissance de Carlos à travers un ami Brésilien, que nous avons en commun. Notre rencontre s’est déroulée dans un bar, à Paris. La personne qui nous a présentés est arrivée quelque temps plus tard. Nous étions en présence de M., avec la permission de notre interviewé. Carlos est un homme passionné par son métier de musicien, très engagé politiquement et qui possède son franc-parler, un langage direct et osé. Il est expressif et énergique. Malgré un discours assez critique sur certains aspects du Brésil (notamment la culture musicale brésilienne), c’est un homme amoureux de son pays. C’est un homme qui raconte certains passages de sa vie avec beaucoup de détails, de références artistiques et musicales, se rappelant des prénoms et des situations anecdotiques. L’ébauche de son portrait selon une chronologie biographique a donc été difficile à réaliser.

Famille et enfance

Carlos a commencé par parler de son âge et de sa fierté à le souligner

J’ai cinquante-six ans et je n’ai aucune honte à le dire. J’adore mon âge »).

Carlos est le cadet de quatre frères et sœurs. Il est le seul à être né dans l’état de São Paulo alors que toute sa famille vient du Minas Gerais. Quand Carlos est né, ses frères étaient déjà adultes (« Mes frères étaient très adultes pour moi. Alors, comme je suis arrivé tard tout le monde était déjà bien adulte. J’ai grandi avec des adultes malgré le fait que j’avais des copains de mon âge dans mon

quartier »). Il est le dernier à venir au monde, mais aussi le pionnier de la famille

dans la région de São Paulo. Il souhaite marquer sa différence et cela depuis son enfance. Carlos a parlé de ses frères en détails et avec beaucoup d’admiration

Mon frère aîné était un poète journaliste. Il est mort en 2002, il a eu une

carrière brillante on peut le dire parce qu’il était publicitaire, acteur, directeur

de théâtre. Mon autre frère, celui qui vient après, c’est lui qui m’a appris à jouer.

Il était musicien, un excellent guitariste, autodidacte. Si tu le voyais jouer de la

bossa nova, c’est comme découvrir un tableau, je ne sais pas, de Monet … »). Le

frère qui lui a appris à jouer de la guitare est celui qui l’a invité à aller habiter dans les Caraïbes (« Je suis allé aux Caraïbes, invité, ce n’est pas moi qui ai demandé.

Je suis resté là-bas pendant trois ans »).

Mariage

Carlos a été marié à une française, mais la relation n’a pas fonctionné

J’ai été (marié), j’ai été (marié), mais je suis divorcé ici. J’ai été marié avec

une française, c’est une grande amie à moi, sans problèmes »). C’est à travers le

mariage qu’il a réussi à obtenir la nationalité française et malgré le divorce, il a gardé une bonne relation avec son ex-femme.

Politique, drogues et religion

Carlos a souhaité aborder des thèmes assez polémiques comme la politique, la drogue et la religion. Il très engagé politiquement. Il possède un regard très négatif du Brésil et multiplie les répétitions à ce sujet au fil du récit. Ce

sont les problèmes politiques qui l’ont découragé à retourner au pays (« Quand je regardais le Brésil et toute cette saloperie que Collor a fait. C’est Collor qui a volé tout l’argent et j’ai dit je n’y retourne plus. J’allais y retourner, je suis un

brésilien qui aime le Brésil. Quand j’ai vu que le Brésil était de pire en pire, la

destruction de la culture brésilienne était immense, le Brésil n’était plus le

même»).

Le problème de la drogue est aussi évoqué dans son récit (« En 97 au Brésil, je suis allé acheter du pain. Il y avait un gamin au coin de la rue en short et claquettes avec les yeux complètement défoncés. ‘Alors tonton tu veux combien ?’ et il a ouvert son short. Dedans il y avait plein de petits sachets de

cocaïne »). Cette scène l’a choqué, toutefois quand je lui demande s’il a utilisé des

drogues, Carlos répond : (« Toutes, grâce à Dieu ! Grâce à Dieu, non, pardon, c’est dommage que j’en ai eu. C’est dommage mais j’en ai eu et je ne vais pas le nier non. Comme on ne pouvait rien faire avec la dictature en même temps, j’ai

expérimenté par curiosité »). Plus tard, il a ajouté : (« Je pense que personne ne

devrait prendre des drogues. Je pense que c’est une bêtise, aucun type de drogue.

De l’alcool, quand c’est du vin, une commémoration, un champagne, peut-être »).

La religion est présente dans le discours de Carlos, implicitement avec tout d’abord, l’expression « grâce à Dieu » utilisée à plusieurs reprises dans son récit, puis plus explicitement lorsqu’il évoque l’origine de son prénom choisi d’après un Saint car sa mère était très religieuse. Il essaie finalement d’expliquer sa position religieuse sans s’attacher à une religion précise (« Le monde est en train de se diviser parce qu’il y a les personnes qui pensent à Dieu et il y a les autres qui

sont perdus. Il y a l’argent, argent, argent, argent. J’ai fait ma première

communion mais aujourd’hui je déteste tout ça parce que c’est un putain de

mensonge.Mais, la foi des personnes catholiques, non catholiques, musulmanes

doit être respectée. Parce que, l’heure où il n’y aura plus tout ça, qui va diriger

cette planète, celui qui a deux cornes sur la tête. Tu as compris? Et là c’est fini.

Je ne cache pas, je n’ai peur de rien tu comprends, parce que ma foi me protège »).

Retour au Brésil

Carlos a dit qu’il ne pouvait pas retourner au Brésil, car sa mère lui disait de rester où il était, que la situation du pays n’était pas bonne et que son fils serait plus en sécurité au loin (« Alors ma mère me disait : ‘mon fils reste là-bas car ici ils vont te tuer, ils vont voler ta voiture et ta guitare, vont te brûler’. Je suis resté ici parce que ma mère ne me laissait pas y retourner. Elle m’a dit mon fils profite

de cette chance, tu viendras me voir quand tu pourras, parce que ici… »). Carlos

s’est fixé sur cette idée qu’au Brésil il serait banni. D’ailleurs, à un moment de l’entretien, il s’est inquiété de la finalité de cet enregistrement (« J’espère que tout ce que je suis en train de dire ne sera pas publié. Comme tu avait dit ce truc c’est juste pour un travail à toi […]. Parce que ce que je suis en train de dire sur le Brésil, je vais être abattu, de nos jours je peux être abattu. De nos jours les personnes qui donnent leur opinion ne travaillent plus, elles sont éliminées. Et si

tu parles beaucoup, tu meurs, crois-moi »).

Enfance et problème de vue

Carlos a parlé de ses parents et des difficultés auxquelles il a été confronté pendant l’enfance. (« Mon enfance je me souviens qu’elle a été très difficile ma mère était une, elle était couturière. Elle travaillait à la maison et aidait mon père qui ne gagnait pas beaucoup. Mon père est tombé malade avec un diabète qui a

détruit sa vie »). Carlos a évoqué un événement qui l’a marqué : à l’âge de quatre

ans, il a perdu la vue à cause d’une bactérie dans les yeux. Il a passé presque deux ans sans voir (« C’était à Minas. Un insecte a uriné dans mon œil et ça s’est transformé en infection et je ne voyait plus. Je marchais avec des lunettes de

soleil et ils m’appelaient Ray Charles (rires) et après Steven Wonder »). Cette

comparaison avec divers musiciens dès l’enfance démontre l’omniprésence de la musique dans sa vie.

Musique

Elle est entrée très tôt dans son existence grâce à son frère qui lui a appris à jouer de la guitare. C’est ainsi qu’il a commencé à jouer puis qu’il a appris de

façon autodidacte et s’est investi dans la musique contre le gré de son père.

Mon père aimait la musique. Tout le monde aimait, mais personne voulait que

je sois musicien (rires). J’ai eu une enfance très musicale, très musicale, soit à la

télévision soit dans le quartier »). Carlos est très minutieux dans la description de

tout ce qui concerne la musique. Il a détaillé les marques de guitares, a cité les noms des musiciens importants de São Paulo, etc. Il tient à développer patiemment toute son histoire en lien avec la musique. Les interruptions de son récit ne l’ont pas gêné y compris lorsque la personne qui nous a présentés est venu se joindre à nous pour l’écouter. Il a parlé de son apprentissage de la musique et a évoqué une nouvelle fois son désir de retourner au Brésil, car, selon lui, le pays a besoin de personnes instruites et sensées (« Je vais y retourner. Le Brésil en a besoin je veux y aller parce qu’ici, ici c’est fini pour moi. Je trouve que je vais être plus utile au Brésil et je trouve que je dois ça à ma famille. Mais, j’espère

réussir à faire les choses auxquelles je pense sans être assassiné, agressé »).

En présence de notre ami en commun, Carlos est revenu sur certains sujets de conversation, dans la volonté de partager aussi sa vie avec son ami. Il a détaillé l’histoire de sa cécité pendant l’enfance et a raconté le moment où il avait retrouvé la vue. Carlos estime que sa facilité avec la musique vient de cette période de sa vie, lorsqu’il devait développer son ouïe.

Période scolaire

Carlos s’est dit bon élève à l’école et a connu la différence d’une école privée et d’une école publique, avec un niveau d’enseignement bien différent. Il a longuement parlé du faible niveau de l’école publique au Brésil à son époque. Il affirme avoir essayé d’intégrer l’université en architecture en cachette de sa famille, car son père ne voulait pas qu’il suive la carrière de musicien. (« Je suis allé jusqu’au bout en terminale et je suis rentré en cachette sans que personne sache mais j’ai fait le baccalauréat en architecture, parce que je voulais être

architecte »). Nous pensons que Carlos voulait prouver à son père qu’il pouvait

faire autre chose dans la vie que d’être musicien. Seulement, la musique était la seule chose qu’il aimait faire avec passion.

Langue française

À propos de la langue française, Carlos dit avoir étudié le français au collège. Ensuite, la femme de son frère (qui est d’origine française) a commencé à lui enseigner la langue alors qu’ils étaient encore aux Caraïbes. Il a affirmé n’avoir jamais eu de problème avec le français ni avec les langues étrangères d’une manière générale (« Mais, si tu me laisses toute la journée avec des Français à la fin de la journée ils disent tous : ‘tu es Français, ce n’est pas possible’. J’y arrive, j’ai ce pouvoir avec l’anglais, avec le français, avec

l’espagnol, avec l’italien »). Il a critiqué les brésiliens qui habitent en France et

qui ne savent pas bien parler le français. Carlos a souligné qu’il n’acceptait pas qu’un brésilien corrige ses fautes de langue (« Je n’aime pas quand un brésilien arrogant vient corriger, tu comprends ? Surtout, tu peux être là depuis cinquante ans et tu viens me corriger, je dis : ‘tu n’as aucune autorité’. Je trouve que ça blesse quand tu corriges. Un Français, à chaque fois qu’il a dit c’est zéro, j’ai

baissé la tête, il a raison… »).

Expériences musicales

Carlos a continué à raconter ses expériences de scène, auprès d’artistes brésiliens connus et de la présence de ses parents pour la première fois dans un concert. Il a aussi cité son expérience de musicien aux Caraïbes et son rêve d’étudier aux États-Unis (« Parce que mon grand rêve, ce n’est pas une frustration, c’est un rêve. J’ai toujours voulu étudier à Berkeley. À mon époque, le

seul moyen d’avoir une école de musique décente, c’était d’aller à Berkeley »). La

culture américaine a été critiquée par le brésilien, mais il a avoué sa grande déception de ne pas être allé étudier aux États-Unis.

Carlos a également évoqué la mort de son père, diabétique, après 15 jours d’hospitalisation. Cet événement est lié à un moment-clé de sa carrière, lorsqu’il a pu jouer avec une chanteuse brésilienne très connue et appréciée de son père. Celui-ci était dans le coma et Carlos allait souvent lui rendre visite à l’hôpital

Je suis passé à UTI199 et mon père avait plein de machines et du coup je lui ai dit : ‘père, ça y est, maintenant c’est bon. Je vais jouer avec Angela Maria. Pour

moi c’est très important que tu saches que je vais jouer avec Angela Maria »).

Processus migratoire

Nous sommes arrivés à parler de sa migration. Au départ, Carlos est allé aux Caraïbes chez son frère puis, au moment de revenir au Brésil, il a dû passer par la France. Il y a rencontré des amis qui l’ont incité à rester car, à l’époque, les musiciens brésiliens trouvaient facilement du travail («Quand je suis arrivé, certains musiciens m’ont dit : ‘mec qu’est-ce que tu vas faire au Brésil ? C’est

horrible là-bas’»). C’est ainsi que Carlos a décidé de s’installer en France pour y

développer sa carrière. Il y a beaucoup voyagé et fait de belles rencontres musicales. Lorsque je lui ai demandé si, à un moment, il s’était senti différent, Carlos m’a répondu que c’était le jour où il a demandé la nationalité française

La seule fois où j’ai ressenti une grande tristesse, c’est quand j’ai demandé la

nationalité française. Je me suis senti un traître »). Il affirme ne jamais s’être

senti étranger en France, mais a raconté s’être fait agresser à deux reprises par des arabes qui le prenaient pour un étranger, un kabyle, un juif… (« Jamais, jamais, ils ne m’ont fait sentir comme une « cucaracha ». Ici tout ce que j’ai demandé, légalement, ils me l’ont donné. Mais, j’ai été agressé deux fois dans la rue, par des arabes. Et la dernière fois, j’ai pris une poubelle et je me suis battu avec eux.

J’ai perdu trois dents »).

Retour au Brésil

Nous avons parlé des possibilités d’un retour au Brésil et il a confié qu’il souhaitait y retourner même s’il sait qu’il ne s’adaptera pas là-bas (« Je ne vais pas m’adapter au Brésil, c’est le Brésil qui va s’adapter à moi. Parce que mes

valeurs sont celles d’avant, d’avant les années 80 »). Carlos garde cette fierté et une grande confiance en lui-même, en son travail, après toutes ces années d’expérience à l’étranger. Avant de finir notre entretien, Carlos a demandé à voir la pièce d’identité de l’enquêtrice ainsi qu’un document de l’université (« Je peux te demander une chose avant que j’oublie. Tu me permets de voir ton document ? Je veux juste le voir. Tu permets ? Parce que je t’ai confié ma vie ici et je trouve que j’ai ce droit (rires) »). Il a commencé à poser des questions et a dit qu’il estimait son enquêtrice trop jeune pour comprendre beaucoup de choses de la vie

Vingt-sept ans (rires) ? Tu n’as même pas d’âge. Rentre chez toi prendre un

biberon, va (rires) ». Nous avons accepté ces commentaires sans s’interposer.

Nous avons achevé notre conversation ainsi.