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Nom Alessandra

Âge 35 ans

Origine Rio de Janeiro – Rio de Janeiro

Profession au Brésil Employée dans une agence de Tourisme

Lieu de résidence Paris

Profession en France Femme au foyer

État civil Mariée - 3 enfants

Niveau de scolarité Niveau Universitaire (Licence)

Vit en France depuis… 13 ans

L’entretien avec Alessandra s’est déroulé chez elle, dans son appartement, en banlieue parisienne. Nous étions en présence de sa fille de trois ans, de sa mère qui était de passage en France et de la femme de ménage (d’origine portugaise). Nous avons discuté dans le salon pendant que la femme de ménage travaillait puis Alessandra m’a invitée à aller boire un café et nous nous sommes dirigées vers la cuisine. Au début de l’entretien, sa fille est restée auprès de nous, mais peu de temps après, sa mère lui a demandé de partir. Sa fille ne parle pas portugais mais

peut comprendre quelques mots. Le récit d’Alessandra est marqué par de nombreuses pauses, de longs moments de silence.

La famille au Brésil

Notre entretien a commencé par l’évocation de la famille d’Alessandra.Sa mère a toujours travaillé dans le secteur administratif. Elle a arrêté ses activités pendant un moment et a commencé à faire de l’artisanat pour rester à la maison près de ses enfants (« Ma mère a fait beaucoup de choses (rires), ma mère a

beaucoup travaillé »). Alessandra a parlé de son beau-père, avec qui sa mère a eu

un enfant, son frère cadet et éludé la question de son père biologique, mentionnant seulement qu’elle ne le connaissait pas et soulignant son malaise par un long silence. C’est sa seule allusion à son père et la figure masculine est peu présente dans son discours. À propos de son frère cadet, Alessandra a présenté sa situation et critiqué ses choix de vie (« Il habite encore avec ma mère. Il suit encore les traditions brésiliennes n’est-ce pas, qui sort de la maison seulement quand on se

marie (rires). Comme il n’a pas l’intention de se marier, il reste avec elle »). La

jeune femme désapprouve cette attitude car elle explique avoir désormais une nouvelle façon de voir les choses (« Ah, j’ai déjà une mentalité plus française parce que je suis ici depuis longtemps. Je trouve que les enfants doivent, ils

doivent partir, oui »). Elle a développé un regard critique sur le mode de vie de sa

famille. Elle évoque par ailleurs des préoccupations concernant sa mère, dont la maison est située dans un quartier éloigné du centre de Rio (« Ma mère habite encore aujourd’hui dans la maison où j’ai grandi. C’est un quartier éloigné de tout que j’ai toujours haï. J’ai toujours détesté et je n’ai jamais compris pourquoi.

Tous les jours une heure et demie - deux heures de trajet »). Elle s’inquiète de la

voir faire un long trajet pour aller travailler. Cette maison, distante de tout, constitue un mauvais souvenir d’enfance.

Parcours scolaire et langues étrangères

Alessandra affirme ne pas avoir été une bonne élève, mais donne peu de détails sur son parcours scolaire. Celui-ci a été bouleversé par de nombreux changements d’établissement, des changements liés aux conditions financières de

ses parents. Elle appréciait tout de même l’école pour les rencontres qu’elle y faisait (« J’aimais aller à l’école parce que j’étais populaire, j’avais des

amis… »).

Elle a pratiqué les langues étrangères, et plus particulièrement l’anglais, pendant sa scolarité et durant sa licence en tourisme à Rio de Janeiro (« Ah, j’ai toujours eu l’anglais n’est-ce pas, à l’école, on a toujours appris l’anglais, à mon

époque, il n’y avait pas encore l’espagnol »). Après l’obtention de sa licence, elle

a commencé à travailler dans une agence de tourisme et s’est interrogée sur ses connaissances en langue (« Je me suis dit, si je parle anglais, seulement anglais,

euh, je vais rester limitée et je n’ai rien qui me distingue d’une autre personne»).

Le désir de partir et d’apprendre une nouvelle langue correspond donc pour elle à une soif de différence. Ainsi, lorsque sa marraine lui a appris qu’elle pouvait aller en France comme fille au pair, elle y a vu une opportunité à ne pas manquer.

(«Alors cette opportunité de venir ici est apparue et j’ai trouvé qu’il serait bon d’apprendre le français plutôt que de perfectionner l’anglais pour pouvoir avoir

un, une différence »). L’apprentissage d’une langue étrangère est pour Alessandra

une façon de trouver sa voie, de se libérer d’une maison familiale éloignée de tout et de cette langue anglaise maîtrisée par tous. Elle cherchait un moyen de changer ses habitudes. La jeune femme a donc décidé de tenter l’expérience sans aucune connaissance de la langue du pays. Alessandra tient à préciser que son départ a été entièrement préparé et que toutes les procédures étaient suivies dans les règles

Ma marraine, qui est avocate, m’a donné toutes les informations et m’a dit : ‘je

pense que tu devrais partir’. Je suis passée par une agence qui était bien

organisée »). Alessandra a précisé le métier de sa marraine pour, semble-t-il,

donner plus de crédibilité à sa décision de partir dans la légalité.

Départ vers la France

Quelques mois avant son départ, elle a commencé à suivre des cours de français auprès d’un organisme privé, mais lorsqu’elle est arrivée, elle ne comprenait pas beaucoup cette langue. Elle employait l’anglais pour discuter avec la famille qui l’a accueillie. Pendant notre conversation, la femme de ménage est

venue lui poser quelques questions auxquelles elle a répondu en français. En effet, la personne qui l’aide actuellement est d’origine portugaise (cité auparavant), mais Alessandra affirme ne pas comprendre un seul mot de ce qu’elle dit (« Je ne comprends rien du portugais je n’arrive pas à comprendre le portugais. Ils

parlent trop vite c’est très compliqué »). Alessandra fait référence à la langue

portugaise parlée au Portugal un peu différente du portugais du Brésil. Cependant, nous retrouvons dans ce passage une trace importante de sa subjectivité. La langue portugaise était en train de devenir une langue étrangère pour notre interviewée.

Premières impressions

Ses premières impressions de la France ne lui ont pas donné envie de rester longtemps (« Je devais rester dix mois et je voulais rentrer chez moi […] je

ne voulais pas du tout rester ici »). Toutefois, pendant cette période, elle a

rencontré un homme qui est aujourd’hui devenu son mari (« Je l’ai rencontré dès

que je suis arrivée ici, par chance ou par malchance (rires) tout est relatif »). Ce

n’est pas seulement la rencontre avec son futur époux qui la fait changer d’avis, mais l’immersion au sein d’une famille française traditionnelle. Alessandra trouvait tout tellement différent de ses habitudes, qu’elle éprouvait une répulsion vis-à-vis du changement. Avec le temps, elle a su adopter cette nouvelle façon de vivre et, aujourd’hui, éduque ses enfants selon les traditions qu’elle a découvertes à son arrivée en France (« Rien à voir avec moi, avec l’éducation que j’ai reçue. Ma famille, parce qu’ils sont devenus ma famille, ils étaient bien traditionnels et

aujourd’hui c’est l’éducation que je donne à mes enfants ») (« Ils ont dû me

montrer leur éducation, faire mon éducation. Je n’étais pas habituée à tout ça.

J’étais jeune euh… chez moi c’était plus, moins rigoureux, je trouve »). Ce

changement de culture, d’éducation et de langue a été décisif dans la vie de la jeune femme, car cette immersion a modifié et transformé son regard sur la France et sur elle-même.

Être étrangère

Alessandra a dit qu’elle se sentait plus française que brésilienne, mais à son arrivée, être étrangère la faisait souffrir (« Aujourd’hui, je suis totalement beaucoup plus française que brésilienne mais, à l’époque cela me faisait souffrir. Je me sentais, discriminée. Pas comme brésilienne mais je me sentais discriminée

comme étrangère »). C’est le sentiment d’être étrangère qui a poussé la jeune

femme a vouloir rapidement rentrer au Brésil. Elle confie se sentir étrangère à chaque fois qu’elle doit prononcer un mot, trahie par son accent. (« Chaque fois que j’ouvre la bouche, je n’ai pas terminé ma phrase que les gens me demandent

d’où je viens.») (« Le problème, c’est mon accent. Pour moi, c’est un problème.

Chaque fois que je parle je montre que je ne suis pas française et ça me dérange.

Je voulais passer inaperçue »).

Place du français et du portugais

En France, ses débuts en tant que fille au pair n’ont pas été faciles en raison de la langue. Bien que l’enfant dont elle s’occupait fût habitué aux filles au pair étrangères, l’anglais a été la première langue de communication avec les parents de l’enfant puis, plus tard avec son futur mari. Avec le temps, Alessandra a appris le français à l’école et cette langue est devenue sa langue principale aujourd’hui. Elle a avoué que ses enfants ne parlent pas portugais, d’ailleurs sa mère a commencé des cours de français à Rio de Janeiro pour pouvoir communiquer avec ses petits-enfants (« Elle a appris tard alors ce n’est pas aussi facile, mais elle se débrouille bien et elle l’a fait pour les enfants. Les enfants

parlent seulement en français et ne veulent pas parler portugais »). Lors de

l’entretien, sa fille a brièvement interrompu la conversation pour lui parler en français. Alexandra a expliqué qu’elle n’avait parlé que le portugais avec ses enfants jusqu’à leurs deux ans, tant qu’ils n’avaient pas acquis le langage, (« Alors avec les enfants, tant qu’ils ne parlaient pas, de la naissance jusqu’à deux ans, seulement portugais. Parce que pour moi c’est plus facile, parce qu’ils ne répondent pas. Et très vite je suis passée au français parce que, ça va plus vite,

Aujourd’hui, elle préfère s’exprimer en français, sauf pour les consignes pratiques (aller se coucher, se laver les dents, etc) pour lesquelles elle utilise sa langue maternelle. Elle le regrette, mais ne parvient pas à changer et, bien que son mari parle couramment le portugais, la langue de communication de la famille reste le français. Il lui arrive que ses enfants lui interdisent de parler portugais (« ça arrive qu’ils disent : ‘arrête de parler portugais, tu peux me parler en français

s’il-te-plaît’. Ils savent très bien que le Brésil est mon pays »). Finalement, Alessandra

est restée enfermée dans un monologue au sujet de sa langue maternelle en répétant que ses enfants refusent d’écouter cette langue dans laquelle ils ont baigné, pourtant, dès les premiers instants de leur vie.

Ni brésilienne, ni française…

La jeune femme a détaillé le besoin qu’elle éprouve de se trouver une place en France et au Brésil. Le sentiment d’être étrangère est aussi lié au lieu

Aujourd’hui, je ne me sens pas, je ne suis ni brésilienne ni française, je me sens

entre les deux…») (« Quand je vais au Brésil c’est la même chose, je ne me sens

plus brésilienne. Il y a beaucoup de choses qui m’agacent »). Le retour à son pays

d’origine n’est pas envisageable pour Alessandra, même si elle n’a pas encore trouvé sa place en France (« Je n’ai pas encore trouvé ma place, je ne vais pas la trouver, jamais. Ma place n’est pas ici et je ne retournerai pas au Brésil d’abord parce que là-bas ça serait encore moins. Et mes enfants, non, mon mari, jamais il

s’y habituerait »). Cette peur du retour et des changements d’habitude n’est

probablement pas un sentiment éprouvé par son mari ou ses enfants, mais quelque chose qu’Alessandra ressent et qu’elle ne souhaite pas affronter.

Le métier abandonné

Professionnellement, elle déclare avoir travaillé pendant un moment dans une agence de tourisme à Paris pour finalement arrêter à la naissance de son deuxième enfant. Notre conversation touchait à sa fin quand Alessandra a commencé à marquer de longs silences entre les phrases. J’ai ressenti qu’on devait arrêter à ce moment. Elle m’a ensuite invitée à boire un café dans la cuisine et nous avons encore discuté de sa vie, de façon plus décontractée, sans

enregistrement. Alessandra a alors révélé que la France n’était pas un pays complètement inconnu, car elle était déjà venue à Paris une première fois lorsqu’elle avait quinze ans.