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LE RÉGIME DE TRAVAIL IMMIGRANT EN AGENCE DE PLACEMENT TEMPORAIRE

3. LE PARCOURS EN AGENCE DE PLACEMENT

3.1. Un recrutement rapide et informel et la normalisation du travail en agence

Pour les travailleurs immigrants récemment arrivés au Québec et qui sont confrontés à la non-reconnaissance de leurs diplômes et de leurs expériences professionnelles passées, les agences de placement temporaire constituent le moyen le plus rapide et le plus simple pour trouver du travail et subvenir à leurs besoins. On constate d’ailleurs que le recrutement des personnes se fait souvent de manière informelle selon les témoignages des participants. Ils expliquent ainsi que c’est souvent de bouche à oreille qu’on en prend connaissance, à

travers des amis qui les informent sur le fonctionnement du marché du travail et sur la manière d’obtenir un emploi très rapidement. Souvent, le travail s’obtient dans la foulée, quelques jours voire quelques heures après l’entretien d’embauche.

« Un jour, un ami m’a conseillé de travailler à Prizunik. Il connaissait quelqu’un qui travaillait là. Va le voir, il m’a dit. Le type m’a dit qu’il fallait passer par une agence de placement. J’y suis allé, je suis entré, j’ai rempli une application et 2 jours après on m’a appelé et je suis allé travailler ». (Francis)

« Comme je ne connaissais pas comment trouver du travail ici, j’ai été amené à faire des applications dans des agences de placement. Je ne savais pas encore que les agences de placement, ça existait. Un ami du YMCA m’a appelé pour me dire que [l’agence] M. engageait du monde, vers Côte de Liesse. Je me suis présenté et puis ils m’ont fait commencer le lendemain ». (Christian)

Ce mode de recrutement répond d’ailleurs parfaitement à l’urgence de la situation des travailleurs qui ont besoin de trouver rapidement un emploi rémunéré.

« Quand je suis arrivé, il fallait subvenir à mes besoins les plus élémentaires. Il fallait trouver quelque chose en attendant de trouver un meilleur travail dans mon domaine. J’ai des amis camerounais qui m’ont permis de détecter des agences de placement. J’ai fait plusieurs entrevues chez plusieurs agences et j’ai commencé aussitôt ». (André)

« Donc, dans ma situation, je suis allé vers ce qui s’offrait de plus simple. (…) Et c’était donc les agences de placement oui, car elles ne demandent rien. Tu viens là, tu veux du travail, bon, remplis ces papiers. Ok, tu as les bottes de sécurité, OUI ? Donc on va t’appeler dès qu’on a quelque chose » (Christian).

D’autres fois, des travailleurs ont recours aux réseaux plus formels de recherche d’emploi, à travers des sites Internet d’offres d’emploi, la presse spécialisée ou en se déplaçant dans des agences. Kami dit avoir eu recours aux services d’Emploi-Québec qui relaient des offres d’emploi sur son site Placement en ligne123, incluant celles proposées par des agences

de placement temporaire, sous couvert parfois des entreprises clientes.

« … J’ai tapé Emploi-Québec, par exemple, Sears. Donc tu vois un emploi comme manutentionnaire, commis de service, aide-caissière, etc. Après deux ou trois jours, ils m’ont appelé. Mais je ne savais pas qui m’appelait. En fait, c’est l’agence qui m’appelait, mais je pensais que c’était l’employeur exact. Alors je suis allé à l’agence Q., et j’ai eu

123 Emploi-Québec : http://placement.emploiquebec.gouv.qc.ca/mbe/ut/condtcherc.asp?CL=french, consulté le 31 juillet 2016.

une entrevue : “Qu’est-ce que tu fais? Est-ce que tu peux charger, par exemple 50 livres? – Oui, je sais!”. Je lui ai dit oui (rire).» (Kami)

Ces processus de recrutement qui passent soit par les réseaux communautaires des travailleurs qui profitent des conseils prodigués par des amis, soit par les réseaux institutionnels de recherche d’emploi, comme ceux d’Emploi-Québec, montrent que l’emploi en agence s’est institutionnalisé dans les trajectoires de ces catégories d’immigrants diplômés, comme un passage obligé pour l’intégration au marché du travail. Nos participants racontent qu’ils n’ont déjà plus d’illusions de trouver un emploi à leur niveau de qualifications, lorsqu’ils se résignent à s’inscrire dans des agences de placement. D’ailleurs, pour postuler auprès d’agences, Kami a produit un CV de manutentionnaire qui ne mentionne ni ses diplômes, ni son expérience d’ingénieur civil :

« J’ai essayé d’envoyer mon CV, mais comme j’ai été déçu, j’ai décidé d’écrire un autre CV pour le travail général. Par exemple, chez Sears, j’ai écrit que je suis manutentionnaire, je peux ranger les rangées, charger et décharger les camions, etc. ». (Kami)

La chose est donc entendue pour les personnes : c’est l’une des seules perspectives de travail que la société québécoise offre à ses nouveaux arrivants diplômés. Cette solution d’emploi qui se retrouve officiellement légitimée par les services de l’État, à travers Emploi- Québec qui en diffuse les annonces, l’est tout autant par les membres d’une même communauté qui sont aussi passés par le même chemin. Samuel explique : « La femme de mon ami, parce qu’elle aussi, quand elle est arrivée, elle a aussi dû travailler pour des agences de placement. Elle m’a donné le nom, je suis allé là-bas directement ». Or, si ce sont les conditions précaires de travail qu’on normalise pour certaines catégories de travailleurs voués à la déqualification, c’est aussi le rôle d’intermédiaire des agences de placement temporaire, qu’on légitime socialement et politiquement, en acceptant qu’elles soient devenues incontournables dans certains secteurs d’emploi.

« Bien quand je suis arrivé ici, celui avec qui je cohabite, m’a dit : “Adama, si tu veux trouver un emploi dans le travail général, il faut passer par les agences de placement. C’est comme ça que ça se fait. Parce que si tu vas directement dans les compagnies ils vont te dire, bien, il faut passer par les agences” ». (Adama)

Par ailleurs, on note l’informalité qui préside au processus de recrutement de la main- d’œuvre par les agences de placement temporaires faisant passer des entretiens d’embauche relativement courts, « une trentaine de minutes », nous dit André, et dont le but est de s’assurer que les travailleurs sont fonctionnels et ne présentent pas d’empêchements majeurs de type légal ou sanitaire pour commencer à travailler.

Quand j’arrive, je leur dis : “Bonjour, je cherche du travail”. Ils me disent : “Ici, on ne donne que du travail général”. J’ai dit : “Mais c’est exactement ce que moi je suis en train de chercher”. On me demande de remplir une feuille. Ici, je ne sais pas comment le système fonctionne. Parce que moi, j’étais toujours habitué à voir un contrat de travail en Italie, mais ici, je remplis, c’étaient deux feuilles comme ça, tu remplis, l’autre feuille, c’est elle qui remplit, elle te pose la question : “Tu as déjà travaillé, ici? – Non. – Tu as déjà eu un accident du travail?” Elle remplit ça : “En bas tu signes” ». (Samuel)

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