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CONSIDÉRATIONS MÉTHODOLOGIQUES, APPROCHE ÉPISTÉMOLOGIQUE ET OBJET DE

1. HISTORIQUE DE L’OBJET DE RECHERCHE

Le Groupe interuniversitaire et interdisciplinaire de recherche sur l’emploi, la pauvreté et la protection sociale (GIREPS) de l’Université de Montréal, dirigé par Pierre Joseph Ulysse et Frédéric Lesemann, m’a proposé une bourse doctorale en 2010, dans le cadre d’une programmation de recherche subventionnée par le FRQSC pour la période 2010-2014. Centrant sa programmation sur la problématique de la pauvreté en emploi et du travailleur pauvre, le GIREPS structurait alors ses recherches autour de quatre axes : (1) les mutations du marché du travail et des statuts de l’emploi ; (2) la pauvreté en emploi et les dynamiques de restructurations familiales et conjugales ; (3) les interventions publiques étatiques ; (4) les sphères des structures médiatrices et des innovations sociales. C’est principalement autour du troisième axe portant sur les interventions publiques et comprenant la protection sociale et les interventions législatives que je construisais mon projet doctoral initial intitulé « une analyse des effets des politiques publiques canadiennes et québécoises de soutien au revenu sur les trajectoires socioprofessionnelles de travailleurs pauvres immigrants » (2012). En résonnance avec l’implication politique et sociale du GIREPS dans le champ de la lutte à la pauvreté en emploi, mon projet de recherche s’inscrivait dans une volonté de participer à produire une compréhension du phénomène des travailleurs pauvres à partir de leurs témoignages – c’est à dire en s’intéressant au sens qu'ils donnent à leurs situations en emploi et à la manière dont ils intègrent les mesures de protection sociale à leur stratégie, professionnelle, économique et familiale –, afin notamment d’identifier de nouvelles pistes d’action publique pour une meilleure protection de la main-d’œuvre la plus vulnérable sur les marchés de l’emploi.

Partant du constat de plusieurs auteurs mettant en évidence l’inadéquation des systèmes de protection sociale avec les trajectoires atypiques, instables et aléatoires des travailleurs pauvres (Bernier et al. 2003, Lippel 2004, Vallée 2005, Lesemann et D’Amours 2006, Ulysse 2009), mon projet de recherche avait donc pour objectif d’analyser les effets des mesures canadiennes et québécoises de protection sociale sur les trajectoires socioprofessionnelles caractérisées par la précarité et la pauvreté en emploi. Ainsi, des dispositifs fédéraux et provinciaux définis comme des mesures de soutien au revenu intervenant sur les situations socioéconomiques de travailleuses et travailleurs à bas salaire (au niveau fiscal, à propos des situations familiales ou du logement), étaient retenus pour constituer les unités d’analyse des interventions publiques. Je faisais l’hypothèse qu’en visant l’objectif de maintenir les personnes en emploi même précaire, les mesures de protection sociale, à travers les dispositifs de soutien au revenu, participent à structurer la précarité et la pauvreté en emploi des personnes.

La méthodologie de recherche envisagée se situait dans une démarche qualitative, visant une compréhension approfondie et contextuelle de la manière dont ces mesures de soutien au revenu influencent les trajectoires socioprofessionnelles de travailleurs pauvres auprès desquels j’avais prévu de récolter des données primaires. Les travailleuses et travailleurs immigrants apparaissant parmi les catégories « les plus susceptibles de devenir des travailleurs pauvres » (Ulysse 2006 :51), au côté des femmes, des autochtones, des personnes peu qualifiées et des jeunes décrocheurs (Heisz 2007 ; Picot et Myles 2005 ; Picot, Hou et Coulombe 2007), leur situation en emploi constituait donc un observatoire privilégié des transformations contemporaines du travail et des modes de régulations étatiques sensés y répondre. Par ailleurs, concevant un échantillon par homogénéisation inspiré par Pires4 (1997), il semblait premièrement utile de neutraliser autant que possible les effets des spécificités du secteur de travail sur les situations socioprofessionnelles des personnes, choisissant alors de circonscrire l’étude au secteur de l’hébergement et des services de restauration, considéré comme peu rémunérateur, proposant une proportion importante de

4 Avec l’échantillon par homogénéisation, « l’analyste veut étudier ici groupe relativement homogène, c’est à

statuts d’emploi atypique et concentrant un grand nombre de travailleurs immigrants. Deuxièmement, il était prévu de constituer l’échantillon de personnes immigrantes arrivées au Canada depuis au moins six ans, afin d’évacuer les effets statistiques de la précarité des nouveaux arrivants sur le marché du travail, vécus par les immigrants récents et abondamment documentés dans la littérature (Ulysse 2006, Galarneau et Morissette 2008, Belhassen 2009, Chicha, 2009, Arcand et al. 2009). Il semblait ainsi particulièrement intéressant de comprendre comment des immigrants réunissant des conditions théoriquement et statistiquement idéales pour se stabiliser professionnellement, connaissaient néanmoins des situations de précarité et de pauvreté en emploi. L’objet de recherche consistait donc en une analyse des effets de politiques publiques de soutien au revenu sur les parcours socioprofessionnels de travailleurs pauvres immigrants non récents, œuvrant dans le secteur de l’hébergement et des services de restauration. Il s’agissait ensuite de réaliser une comparaison intragroupe (Pires id.) en donnant une part égale aux hommes et aux femmes, ainsi qu’aux personnes ayant ou non des responsabilités familiales, afin de comprendre les effets des mesures de soutien au revenu sur les situations socioprofessionnelles de personnes affectées par les inégalités de genre et ayant des enfants ou d’autres membres de la famille à charge, qu’ils soient au Canada ou dans le pays d’origine.

Montrant une certaine cohérence théorique, l’échantillon s’est révélé néanmoins extrêmement difficile à constituer empiriquement. Devant la difficulté de recruter des personnes réunissant tous les critères pensés en amont, plusieurs entretiens exploratoires furent réalisés avec des travailleuses et travailleurs immigrants, dans le but de mettre à l’épreuve la grille d’entretien semi-directif. Bien que les participants ne correspondent que partiellement au profil de l’échantillon, ces entretiens se révélaient relativement riches du point de vue de la compréhension des trajectoires socioprofessionnelles des personnes depuis leur arrivée, de leur expérience de déqualification, des processus de reconnaissance des diplômes, ainsi que des impacts de leur situation familiale sur leur situation en emploi5. Cela dit, ces entrevues

5 Certains de ces entretiens ont d’ailleurs servi à écrire des profils de travailleuses et travailleurs pauvres publiés dans l’ouvrage de Carole Yerochewski Quand travailler enferme dans la pauvreté et la précarité, Travailleuses et travailleurs pauvres au Québec et dans le monde (Yerochewski 2014).

exploratoires faisaient surtout émerger la difficulté d’accéder aux informations primaires permettant de comprendre les effets des mesures de protection sociale, dont celles de soutien au revenu sur les trajectoires socioprofessionnelles des personnes. Il était extrêmement difficile de savoir avec les participants, le nombre et l’étendue des mesures de protection sociale dont ils bénéficiaient, compromettant alors la faisabilité du devis de recherche.

2. CHANGEMENT DE MÉTHODE – LE CHOIX DE

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