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CONSIDÉRATIONS MÉTHODOLOGIQUES, APPROCHE ÉPISTÉMOLOGIQUE ET OBJET DE

3. UNE IMMERSION AU CTI, LA CONSTRUCTION EMPIRIQUE DE L’OBJET ET LA PLACE DU

CHERCHEUR SUR LE TERRAIN

C’est le CTI8 basé dans le quartier Côte-des-Neiges de Montréal, qui s’est révélé particulièrement propice pour satisfaire les besoins liés à ma recherche. Premièrement, offrant des services d’aide individuelle et organisant des campagnes collectives de défense des droits, il était aisé d’entrer en contact avec des travailleuses et des travailleurs immigrants connaissant des situations de précarité en emploi. Deuxièmement, le CTI connaît un fonctionnement qui privilégie l’intégration d’étudiants à ses activités, soit en leur permettant d’effectuer un stage pratique servant aux étudiants de premier cycle en travail social, en affaires publiques et communautaires ou en sciences juridiques, par exemple, soit en accueillant des étudiants de maitrise ou de doctorat souhaitant réaliser une recherche de terrain. Pour ces étudiants chercheurs, un échange de services est alors rendu possible, l’équipe du CTI facilitant l’intégration dans les collectifs de travail et l’accès aux informations pour les chercheurs, qui à leur tour participent activement au développement des activités de défense des droits des travailleuses et travailleurs immigrants. C’est dans ce cadre qu’une immersion ethnographique fut entamée sur le mode d’une participation aux activités du CTI

8 En fin de section 4 (pp.26-27), un encadré est dédié à la description du CTI, revenant sur son histoire, ses objectifs et ses activités.

entre décembre 2012 et juillet 2014, m’amenant ainsi à embrasser les objectifs de mobilisation et de défense des droits des travailleuses et travailleurs immigrants, poursuivis par le centre communautaire.

Inspiré d’un courant épistémologique qui a mis en évidence le caractère illusoire de la neutralité supposée du chercheur en sciences humaines, compte tenu de sa position dans l’espace social (Becker 1967 ; Hammersley et Atkinson 1983 ; Hacking 1999 ; Bourdieu 1994, 2001), j’ai choisi de faire de mon engagement actif au CTI réalisé durant mon étude empirique, la base de la construction de mon objet d’étude. Autrement dit, c’est à partir des réalités rencontrées sur le terrain que des enjeux spécifiques sont apparus en lien à la situation de travailleuses et travailleurs immigrants et migrants temporaires, lesquels enjeux sont devenus centraux à mon objet de recherche. Il serait certes inexact d’affirmer que je suis arrivé sur mon terrain dans une neutralité théorique, puisque mon projet doctoral initial que j’ai décrit dans la section 1 de ce chapitre m’aura permis de forger certaines représentations concernant la précarité en emploi de la main-d’œuvre immigrante au Canada et au Québec et aura orienté en partie la construction de mon objet de recherche, dont par exemple le thème du rôle de l’État dans la construction de certains régimes de travail précaires concernant les travailleurs immigrants. Cela dit, c’est principalement à partir des données récoltées sur le terrain à travers ma participation, mes observations, mes interactions avec les membres du groupe communautaire (incluant les travailleurs) et des entretiens de recherche réalisés avec ces derniers, que mon objet s’est précisé progressivement pour porter sur la construction des conditions d’accès à l’emploi pour certaines catégories de travailleuses et travailleurs immigrants et migrants temporaires. Pires explique en ces termes le lien entre la construction de l’objet et la méthodologie de recherche.

« La notion d’objet construit désigne aussi la démarche méthodologique du chercheur. En effet, qu’on le veuille ou non, le chercheur sélectionne des faits, choisit ou définit des concepts, interprète ses résultats, etc. bref, il construit, à son tour, son objet techniquement et théoriquement ». (Pires 1997 :20)

D’ailleurs, si l’objectif premier de cette recherche consiste à dévoiler de manière critique la construction sociale des mécanismes de l’accès à l’emploi pour certaines catégories de travailleurs immigrants – incluant d’en identifier les acteurs institutionnels, législatifs,

privés et individuels et d’en comprendre les interactions –, il s’agit aussi de considérer le processus de recherche qualitative comme une construction dans laquelle le chercheur est un acteur qui fait certains choix et qui prend part à la réalité qu’il étudie. Pour reprendre les paroles de Hammersley et Atkinson, « in a sense, all social research is a form of participant observation, because we cannot study the social world without being a part of it » (Hammersley and Atkinson 1983 : 249). Partant, en choisissant une immersion au CTI qui passe par mon engagement auprès de ses membres et ma participation à ses activités, j’assume ainsi pleinement un engagement intellectuel et social à travers mon soutien et ma solidarité à l’égard des travailleuses et travailleurs immigrants en situation de précarité et des membres du centre communautaire.

Parmi les approches méthodologiques qui s’intéressent aux liens entre la recherche, la participation et l’engagement, nombre d’auteurs définissent la démarche du chercheur sur un continuum allant de la participation totale à l’observation totale. Palys et Atchison (2007) proposent un schéma (voir Figure 1.1 - Annexe 1) qui reprend ces deux pôles entre lesquels se déclinent des postures de recherche donnant plus ou moins d’importance à la participation ou à l’observation9.

9 Ce continuum qui se définit entre la participation totale et l’observation totale est déjà décrit par Gold en 1958 dans un article portant sur les rôles possibles du chercheur lors des observations sociologiques de terrain. (Cf. GOLD, R.L. (1958). « Roles in sociological field observations ». Social Forces, 36, 217-223).

Entre le rôle du participant total défini par le fait que l’observateur ne déclare pas qu’il est un chercheur et le rôle de l’observateur total où tous les acteurs ont connaissance de la présence du chercheur, ce dernier limitant radicalement sa présence à l’observation, les auteurs présentent deux déclinaisons possibles de la démarche ethnographique de recherche, à travers les figures du participant en tant qu’observateur et de l’observateur en tant que participant, renvoyant sans les nommer à la participation observante et à l’observation participante. Or, notons d’emblée que si les deux approches ont des implications différentes au plan épistémologique et méthodologique et qu’il est donc important de caractériser une démarche de recherche par l’une ou l’autre, la pratique du terrain peut nous faire passer de l’une à l’autre, selon les étapes de la recherche telles que l’intégration au terrain, la prise de connaissance des enjeux du groupe qui nous accueille ou le partage de la routine de certaines activités avec les autres membres du groupe dans lequel on s’insère, par exemple. Palys et Atchison expliquent ainsi le caractère parfois flou de la limite qui sépare la posture

participante ou observante du chercheur en contexte de terrain.

« The two middle roles in the observational continuum are labelled participant-as- observer and observer- as-participant10. As their titles suggest, both involve a mixing of the participatory and observational roles, with the difference based on which of the two predominates. This in itself may not be particularly clear-cut, and participant observers often float back and forth between the two, depending on the particular situation ». (Palys et Atchison 2007 : 209)

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