• Aucun résultat trouvé

LE RÉGIME DE TRAVAIL IMMIGRANT EN AGENCE DE PLACEMENT TEMPORAIRE

3. LE PARCOURS EN AGENCE DE PLACEMENT

3.2. Flexibilité et instabilité du lien d’emploi au cœur du travail d’agence

3.2.1. La multiplication d’emplois à durée incertaine

Or, on constate avec les participants que le caractère expéditif et informel du processus de recrutement va de pair avec la flexibilité et l’instabilité du lien d’emploi. Alors que les travailleurs nous disent repartir de l’entretien d’embauche sans aucun document officiel, après avoir rempli et signé le formulaire d’inscription, le lien qui les unit dorénavant à l’agence dépendra uniquement de la demande sur le marché du travail, faisant d’eux des travailleurs journaliers qui ne savent jamais à l’avance s’ils seront appelés pour le lendemain. Ainsi, nombre de travailleurs rencontrés pendant notre recherche de terrain décrivent la pluralité des lieux de travail sur lesquels ils sont appelés pour des périodes limitées pouvant aller de un jour à plusieurs mois. Christian explique la grande incertitude qui accompagnait chacune de ses premières missions effectuées en agence.

« La toute première agence, avant que je parte à Prizunik, j’y ai travaillé presque deux mois comme ça. Mais c’était tellement instable que je ne pouvais pas continuer avec eux, car aujourd’hui, tu vas là-bas, tu te pointes le matin, ils te disent “aujourd’hui, bon on a besoin seulement de trois personnes”. Mais vous êtes là à quatre. L’agence nous amenait travailler dans les légumes, une autre fois, dans une boulangerie, une autre fois, dans un champ où il fallait ramasser des roches. Donc beaucoup de petits travaux comme ça, mais c’était très instable. Tu n’es pas sûr le matin quand tu te réveilles et que tu te pointes là- bas, que tu vas vraiment aller travailler ». (Christian)

Par ailleurs, même pendant les périodes les plus longues passées sur un même lieu de travail, pouvant atteindre plusieurs mois, voire plusieurs années, on fait savoir quotidiennement aux travailleurs s’ils seront ou non, attendus le lendemain, l’heure à laquelle ils devront commencer le travail et le nombre d’heures qu’ils auront à travailler, ces conditions pouvant par ailleurs changer en cours d’activité, selon les besoins les plus immédiats des entreprises. Dans ce contexte, les travailleurs en agence ont le plus souvent des trajectoires en emploi discontinues, qui voient se succéder des périodes travaillées et des périodes de chômage. Adama témoigne de la fin de son premier emploi en entrepôt.

« Il manquait de travail, c’est ce qu’ils m’ont dit. Donc j’ai arrêté, ils m’ont arrêté du moins. Ils m’ont dit : “Bien écoute, c’est la fin, on n’a plus de travail pour toi”. Donc, je suis parti encore au niveau de l’agence D. pour leur dire : “Bien écoutez, mon travail est fini, est-ce que vous avez un autre travail pour moi?”. Ils m’ont dit que malheureusement pour le moment, ils n’avaient rien pour moi. Donc je suis allé voir au niveau de l’autre agence X. ». (Adama).

Ainsi, avant d’avoir été appelés pour travailler dans un entrepôt de Prizunik, la majorité des participants ont accumulé différentes expériences de travail en agence, plus ou moins formelles et impliquant plusieurs lieux de travail. On observe d’ailleurs, que le nombre variable de leurs expériences de travail n’est pas toujours proportionnel au temps qu’ils ont passé au Canada. Ainsi parmi les participants les plus récemment arrivés (ayant entre une et deux années d’installation au Québec), une partie d’entre eux avait connu des expériences de travail impliquant 1 ou 2 agences de placement sur 1 ou 2 lieux de travail, alors que d’autres en avait connu bien plus. Par exemple, un an et 1 mois après être arrivé sur le territoire, Jimmy est ainsi passé par trois agences de placement qui l’ont envoyé vers 9 lieux de travail différents, pour des expériences pouvant durer de deux jours à sept mois. De leur côté, les participants étant arrivés au Québec depuis une période allant de quatre à six ans, ont pu recourir aux services de 2 à 4 agences, pour avoir travaillé dans un maximum de 7 à 8 lieux de travail distincts. Ce dernier chiffre nous est donné par un travailleur qui avoue par ailleurs ne pas se souvenir de toutes les entreprises par lesquelles il est passé, tellement elles sont nombreuses, indiquant une forte probabilité qu’il y en ait eu davantage. Par ailleurs, cette pluralité d’expériences de travail implique des périodes d’inactivité plus ou moins courtes, lors desquelles les travailleurs recourent quelques fois, mais pas toujours, à l’aide sociale ou à l’assurance emploi.

3.2.2. Répondre à la demande débridée de flexibilité des entreprises 3.2.2.1. Baisses d’activité et activités dites « saisonnières »

Les agences fournissent donc des emplois généralement peu durables qui servent à combler des besoins présentés comme étant ponctuels par les entreprises clientes qui utilisent la flexibilité inhérente au travail en agence, comme une variable d’ajustement selon leurs niveaux d’activité. Par exemple, les participants confirment que dans certains cas, l’activité d’entreprises manufacturières pour lesquelles ils ont travaillé, s’apparente presque à celle d’un secteur saisonnier. Christian qui a travaillé pour une fabrique de pièces en plastique servant à la construction de jouets, nous dit qu’après Noël, l’entreprise ne reçoit plus de commande, ce qui met fin au travail des employés d’agence.

« C’était une entreprise qui fabrique des blocs en plastique avec des jouets pour les enfants. Mais, comme c’est un travail qui dépend de commandes, ces commandes sont périodiques, quand ils n’ont plus de commandes, ils sont obligés de dégraisser du personnel. C’est pour ça qu’ils embauchent des travailleurs d’agence. J’ai commencé en avril et en décembre il n’y avait plus assez de commandes. Neuf mois après. Donc ils m’ont dit de rester à la maison, et quand l’activité reprend, ils allaient me rappeler. ». (Christian)

Dans une usine de laminage qui fabrique des pièces pour l’industrie électronique, Francis observe la même chose.

« J’ai fait 2 semaines. Eux, ils ouvrent quand il y a des commandes. On faisait du laminage. Ce sont des parties qu’on met dans les appareils vidéo. On découpe du papier, on fait des paquets. C’était 2 semaines, parce que quand il y a pas de commandes, il ferme sa boutique. Il ne reste que 2 ou 3 employés fixes qui mettent de l’ordre. Quand il a des commandes, il s’adresse à des agences de placement pour avoir sa main-d’œuvre ». (Francis)

Pour sa part, Pascal nous apprend qu’un des cinq entrepôts de Prizunik s’est spécialisé notamment dans le conditionnement de paquets spéciaux pour les périodes des fêtes, qui comprennent Halloween, Noël, Pâques, la Saint Valentin, la Saint Patrick ainsi que certaines fêtes fédérales ou provinciales. Selon les périodes, Pascal témoigne de l’augmentation du nombre de travailleurs d’agence dans l’entrepôt qui passent d’une cinquantaine à une centaine, estime-t-il.

3.2.2.2. De l’usage permanent d’une main-d’œuvre temporaire

Mais, si certaines petites et moyennes entreprises manufacturières semblent devoir « compléter » leur main-d’œuvre permanente avec des travailleurs d’agence, selon des commandes de nature « saisonnière », d’autres semblent faire du travail d’agence un usage sur toute l’année ou presque. Ainsi, même si son entreprise prétexte une activité liée principalement à des commandes qui s’arrêtent en décembre, Christian aura tout de même passé neuf mois à y travailler continuellement, s’apparentant davantage à un travail permanent. Dans ce contexte, on a du mal à comprendre que cette entreprise n’ouvre pas un poste permanent, qui pourrait éventuellement impliquer des horaires annuels à temps partiel. Plus encore, l’entreprise Prizunik montre une activité régulière toute l’année dans la plupart de ses entrepôts, si l’on en croit les niveaux exponentiels de croissance que l’entreprise présente annuellement. Comme nous l’avons vu dans la section 1 du chapitre II, Prizunik est l’exemple type des grandes entreprises fondant leur modèle économique – visant une maximisation des profits – sur l’utilisation permanente et systématique de travailleurs temporaires tout au long de l’année, qui constituent plus de 90% de leur force de travail.

C’est la raison pour laquelle l’expérience la plus longue de travail de tous les participants a eu lieu chez Prizunik, pour des périodes allant de sept mois pour André qui a arrêté pour commencer sa formation professionnelle, à deux ans pour Francis qui suivait des cours du soir et avait commencé des démarches pour devenir auto-entrepreneur. Notons que deux ans après le premier entretien, Francis nous apprenait qu’il travaillait encore à Prizunik, allongeant sa période de travail à quatre ans sur le même lieu de travail. En outre, des participants indiquent que certains travailleurs d’agence côtoyés sur les lieux de travail y sont depuis sept, huit voire dix ans. La cadence du volume de travail exigé qui correspond à une activité commerciale en croissance, engendre une régularité du travail qui n’existe pas dans d’autres entreprises, selon les participants. C’est d’ailleurs parfois l’unique élément qui apporte un peu de sécurité dans leur situation en emploi caractérisée par la précarité et l’incertitude. Demandant à Samuel s’il trouve un intérêt à travailler à Prizunik, il répond :

« Hum… (silence) Avec l’emploi, puisque c’est ce qu’on appelle du travail, disons que j’ai un travail, généralement. Satisfait pourquoi? Parce qu’au moins là-bas, il y a une

Outline

Documents relatifs